Intervention de Philippe Deslandes

Réunion du 30 octobre 2012 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public :

Le contournement autoroutier de Toulouse, le contournement autoroutier de Bordeaux et l'extension du port de Nice.

S'agissant de la prise en compte des nouveaux médias, nous sommes en train de réécrire les cahiers méthodologiques qui seront, cette année, joints au rapport d'activité.

Le débat se passe dans les réunions publiques, mais aussi sur Internet. Si vous allez sur les différents sites des instances du débat public, vous verrez qu'ils abritent des centres de discussion avec des avis et des réponses. C'est d'ores et déjà un moyen de recueillir des arguments – ce qui est, je le rappelle, notre but – à propos de la validité, ou non, du projet ; sur l'existence, ou non, de solutions alternatives ; et sur des améliorations possibles. Ces arguments permettent d'éclairer la décision et à ce qu'elle soit la plus conforme à l'intérêt général.

Mais Internet comporte aussi des risques. On ne sait pas très bien qui intervient. Nous avons d'ailleurs reçu des courriers d'internautes demandant de faire disparaître leur contribution. Encore faudrait-il que nous connaissions leur adresse IP. On peut organiser un débat sur le Net, en parallèle des réunions publiques, en créant des espaces de dialogue, à condition toutefois d'avoir un webmaster digne de ce nom car, sinon, la discussion risque de virer au n'importe quoi. Nous sommes avant tout des pragmatiques.

On ne peut pas nier l'importance d'Internet aujourd'hui mais il ne faut pas perdre le sens des préséances. Les participants à une réunion publique ont pris la peine de se déplacer et il nous a été dit et répété qu'ils ne supportent pas de se voir couper la parole par le président de séance pour écouter des internautes. Nous ne le faisons donc plus. En conséquence, il y a deux débats qui se déroulent, mais cela ne nous dérange pas, notre mission consistant à collecter des arguments, quelle que soit la façon dont ils nous parviennent.

Le principe de participation a été consacré par la loi Barnier de 1995, qui a créé la CNDP, après le sommet de la Terre à Rio de Janeiro où avait été adopté le principe selon lequel la meilleure façon de protéger l'environnement était d'associer tous les citoyens au niveau concerné. Mais cette loi ne prévoyait de saisine que par le ministre. En 2002, la CNDP est devenue une autorité administrative indépendante et c'est désormais en toute indépendance qu'elle décide ou non de lancer le débat. Ses décisions sont motivées et il leur arrive d'être attaquées devant le Conseil d'État.

S'agissant de la saisine, le décret pris en application de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité prévoit une dizaine de catégories d'opérations à l'occasion desquelles la Commission doit être saisie en fonction d'un critère physique, par exemple la longueur d'un tronçon d'autoroute, ou financier, environ 300 millions d'euros. Figurent dans la liste tous les équipements linéaires de transport – nous sommes saisis surtout par RFF, Voies navigables de France, par exemple au sujet de la mise à grand gabarit de la Seine entre Nogent-sur-Seine et Paris, car il se construit de moins en moins d'autoroutes – ou les grands équipements culturels ou scientifiques, comme les bâtiments universitaires d'une valeur supérieure à 300 millions, ou encore les équipements touristiques. S'agissant des équipements industriels, nous sommes rarement saisis parce que seul le prix du bâtiment intervient alors que ce qui coûte le plus cher ce sont les machines. Ce critère explique que nous n'ayons jamais été saisis pour les centres de traitement des ordures ménagères par incinération, ce qui a d'ailleurs provoqué un scandale à Marseille.

Les opérations sont à apprécier en fonction de deux seuils, le plus élevé détermine celles pour lesquelles la saisine est obligatoire, le second, fixé à la moitié du premier, correspond au montant au-delà duquel le porteur de projet doit publier les caractéristiques et les objectifs du projet dans un journal national et un journal local. Dans les deux mois qui suivent la publication, les associations agréées par Pôle environnement, les conseils municipaux, généraux ou régionaux concernés, peuvent saisir la Commission qui décide souverainement s'il y a lieu de tenir un débat public.

La procédure de saisine est très encadrée et nous ne pouvons pas nous autosaisir. Quand nous recevons des lettres, nous adressons leurs auteurs au porteur du futur projet, ou bien au ministre de l'Environnement qui peut saisir la Commission d'une demande de débat sur « les options générales », par exemple les nanotechnologies ou la gestion des déchets radioactifs.

En ce qui concerne la concertation, la CNDP a pour mission de veiller à la participation du public au processus d'élaboration des projets d'équipement ou d'aménagement, mais elle a aussi une mission d'appui méthodologique. Elle intervient à ce titre auprès des collectivités ou des maîtres d'ouvrage qui souhaitent employer nos méthodes. Pour le débat sur la transition énergétique, nous avons dit au directeur de cabinet de Mme Delphine Batho que nous étions prêts à transférer toutes nos méthodes à la commission nationale qui sera chargée d'organiser le débat car nous savons que, si elles ne sont pas suivies, le débat n'aura pas lieu. Le débat sur les nanotechnologies a montré que le temps d'information du public doit être assez long. Le ministre était très pressé, nous avons suivi un calendrier forcé avec sept ministres maîtres d'ouvrage. Nous avons mis près de six mois à mettre au point un document sur un état des lieux des nanotechnologies à l'époque. De très bonne qualité, il constitue l'apport le plus significatif de ce débat dans la mesure où son élaboration a obligé sept ministères à se parler pour arriver à une politique partagée.

Pendant le débat lui-même, il y a eu une forte opposition de Pièces et main-d'oeuvre, un groupe de Grenoble, parfois virulente. Mais, en l'absence d'opposition frontale, on n'aurait jamais parlé de ce débat. Pour la presse, c'est un sujet extrêmement compliqué à traiter : un univers inconnu, difficile à appréhender, où les matériaux se comportent différemment. Ainsi, le fer, qui est inerte dans notre monde, prend immédiatement feu à l'échelle nanométrique. Allez expliquer cela au public. Il s'est immédiatement intéressé à l'impact sur la santé et a posé des questions sur les crédits publics alloués aux recherches sur la toxicité de ces nouveaux produits.

À la suite du débat, il a été décidé il y a quelques mois que l'État s'engagerait à consacrer une partie des crédits publics à ces recherches. Jusqu'ici, rien n'était fait, contrairement à ce qui se passait pour les produits chimiques, qui sont sous surveillance depuis la directive REACH. Il faut savoir que l'on ne produit pas plus d'une tonne par an de nanoparticules. Or, comme c'est le seuil retenu par la réglementation européenne, on pouvait donc mettre sur le marché tous les produits nanotechnologiques, sans aucun contrôle ni étude de toxicité. L'avantage du débat est d'avoir fait connaître l'état des lieux. L'opposition frontale a fini par susciter l'intérêt de la presse qui a publié quelques bons articles de fond. Aujourd'hui, le mot nanotechnologies est un peu moins ignoré.

Nous sommes de plus en plus sollicités par les élus au sujet de la concertation, qui nous demandent de désigner des garants pour leur commune. Nous répondons toujours favorablement. L'avantage pour l'élu est de faire organiser la consultation par quelqu'un qu'il n'a pas nommé. Le garant veille au respect des principes et à ce que la procédure se déroule correctement, c'est-à-dire à la bonne information du public et à sa participation. Il fait en sorte aussi que les arguments développés soient entendus sinon acceptés.

Nous avons organisé un débat public volontaire en Corse, sans aucune obligation. Il s'agissait de raccorder l'île au gazoduc allant de l'Algérie à la Sardaigne, de façon à desservir les centrales de Bastia et d'Ajaccio. Le diamètre était de 40 centimètres alors que le critère retenu est de 60 centimètres, mais nous sommes intervenus. Le débat s'est d'ailleurs fort bien passé : même les nationalistes ont participé au débat, parce que la population veut sortir du pétrole lourd qui est plus polluant. Le débat a duré quatre mois, il s'est tenu dans de nombreuses communes s'étendant du sud au nord de la Corse. Cet exemple montre que nous n'hésitons pas à sortir du cadre formel.

En général, nous intervenons, dans la mesure de nos moyens mais, jusqu'à présent, ils ont toujours suffi. Le problème se posera si nous montons en puissance en matière méthodologique.

Pour l'instant, la Commission, composée de vingt-cinq membres, s'appuie sur un effectif permanent de dix personnes, mais cette petite équipe a toujours fait en sorte de répondre aux demandes. S'il fallait intervenir en appui méthodologique, il faudrait probablement redimensionner cette formation restreinte. Mais si la montée en puissance se fait progressivement, elle devrait pouvoir suivre.

Il faut toujours prendre le temps de préparer le débat. Entre la saisine et le début du débat, il s'écoule au moins six mois, pendant lesquels la commission particulière fait le tour des acteurs et des territoires concernés, veille à ce que le dossier soit aussi complet que possible et propose un périmètre au débat, et des calendriers de réunion. Commence alors la phase du débat proprement dit, d'une durée de quatre mois, à l'issue de laquelle s'ouvre une période de deux mois qui sert à faire le bilan. La commission particulière dresse alors le compte rendu du débat. Tout ce qui a été dit est consigné sur Internet : le verbatim de toutes les réunions, toutes les contributions. La force du débat public réside dans sa publicité. Pendant le débat, on explore surtout les controverses, mais on ne les règle pas. Néanmoins, leur identification est de nature à éclairer le porteur du projet.

Dans les trois mois qui suivent la publication du bilan et du compte rendu, le maître d'ouvrage doit rendre publique sa décision finale. S'il poursuit le projet, il doit dire comment, en tenant compte des enseignements du débat. Comme il s'agit d'un acte public, il sera donc versé au dossier de l'enquête publique.

Depuis la loi « Grenelle II », les choses ne s'arrêtent pas là. S'ouvre une phase de concertation post-débat public. Il s'agit de débattre non plus de l'opportunité du projet, mais de ses caractéristiques. Cette phase, qui peut durer jusqu'à trois ou quatre ans, est l'occasion de déceler des convergences ou de trouver des compromis. C'est à mon avis l'apport le plus important de cette loi pour la CNDP et le débat public lui-même.

En ce qui concerne le projet de Bure, nous déciderons le 7 novembre d'ouvrir un débat public, notre seul choix résidant dans la faculté de le confier à l'ANDRA ou de le prendre en charge nous-mêmes en nommant une commission particulière. Dans la foulée, nous désignerons un garant qui a l'habitude des débats publics. Aussitôt nommé, il partira à la rencontre des acteurs sur le terrain pour définir le périmètre du débat. S'agissant d'un projet d'envergure nationale, il sera amené à rencontrer des associations nationales. Le calendrier n'est pas encore arrêté. Mme Delphine Batho m'a demandé que ce débat s'articule avec celui sur la transition énergétique. Nous voudrions éviter les mois d'été car craignons que les Grünen ne viennent camper sur le site pendant deux mois…

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