Ce n'est pas le cas pour l'instant.
Par ailleurs, EDF fait entrer en ligne de compte sa créance sur l'État de 5 milliards d'euros au titre de la CSPE (contribution au service public de l'électricité). Qu'il s'agisse d'EDF ou du CEA, les actifs dédiés sont en fait des créances sur l'État ou s'y apparentent : directement ou indirectement, l'État apparaît, pour reprendre les termes de la Cour, comme le financeur en dernier ressort.
Pis, le journal Les Échos du 16 décembre 2013 rapporte qu'AREVA souhaite recourir à des financements « innovants » s'agissant des EPR britanniques, en utilisant notamment les provisions dédiées au démantèlement pour financer en capital ces chantiers. J'espère que le Gouvernement n'y donnera pas suite, mais on voit bien que cet argent, qui est l'argent des Français, risque d'être utilisé en dehors du contrôle de l'État et du Parlement.
Nous proposons donc la création d'un fonds indépendant qui permettrait de constituer un financement en dehors du bilan des opérateurs. Ce n'est pas chose facile et je vous invite à observer la manière dont les Suédois et les Finlandais s'y sont pris.
Rappelons que la société TEPCO a fait faillite quelques jours après la catastrophe de Fukushima. L'argent figurant au bilan d'EDF, d'AREVA ou du CEA – argent que ces entreprises, au surplus, utilisent en partie pour financer leurs opérations – n'est pas ce qui permettra, demain, de financer le démantèlement des centrales ou la gestion des déchets.
Le fonds dont nous préconisons la création serait géré par la Caisse des dépôts et consignations, dont c'est le métier. Afin d'éviter les à-coups dans le bilan d'EDF, on le constituerait progressivement à partir des provisions actuelles puis on l'alimenterait, comme en Suède, par un pourcentage infime du prix de chaque kilowattheure produit par le nucléaire. On rassemblerait ainsi la masse financière nécessaire pour faire face à ces questions, en procédant à des réévaluations en fonction des connaissances techniques et des coûts de démantèlement.
Ce dispositif est en vigueur en Suède, où il semble bien fonctionner. Je comprends que les opérateurs fassent la grimace à l'idée de perdre ce volet mais je considère que, s'il faut leur laisser la responsabilité technique, la question du financement est à part.
Vous aviez d'ailleurs signé en 2006, monsieur le président, aux côtés de la nouvelle ministre de l'écologie, de l'actuel Président de la République et de bon nombre de députés de l'opposition de l'époque, une proposition de loi tendant à constituer un fonds indépendant. C'était une très bonne idée pour préserver ces provisions dont nos enfants et petits-enfants auront besoin, et j'invite votre commission à la mettre de nouveau en exergue.
Plusieurs personnalités de tous bords ont d'ailleurs signé la lettre ouverte que nous avons rédigée à ce sujet. On y trouve, aux côtés d'anciens ministres de l'écologie verts, Mmes Chantal Jouanno et Nathalie Kosciusko-Morizet.
La question n'est pas tant de savoir s'il faut conserver une part de production nucléaire que d'affirmer la nécessité de la transition énergétique et du rééquilibrage entre les sources d'énergie. Il revient aux politiques et à l'Autorité de sûreté nucléaire de décider s'il faut fermer ou non le parc. En revanche, nous nous soucions de la constitution des moyens financiers pour des démantèlements qui interviendront forcément.
Entretemps, l'argent provisionné pourrait servir à la transition énergétique. Une solution gagnant-gagnant est envisageable : les fonds ainsi collectés, protégés du risque de figurer dans le bilan des opérateurs, seraient placés auprès d'un organisme public contrôlé par le Parlement et contribueraient au financement de la transition énergétique.
Cette transition repose en grande partie sur des progrès en matière de sobriété, c'est-à-dire sur des investissements à dix ou quinze ans que les banques accordent difficilement, tant le coût de la liquidité sur le long terme est élevé dans leur bilan. L'argent en provenance du nucléaire pourrait servir à financer la transition énergétique en apportant aux opérateurs financiers une liquidité peu chère.
À titre d'exemple, il est possible de réduire de 30 % le coût de l'éclairage public dans les communes. La technique existe en France, chez Bouygues ou chez Vinci par exemple, mais exige des investissements importants, rentabilisés sur une durée de dix à quinze ans : changement des ampoules, connexion informatique avec le réseau électrique. Une partie de l'argent du démantèlement pourrait contribuer à ce financement tout en évitant le risque de mise en défaut. Il s'agirait d'apporter de la liquidité à des opérateurs financiers de premier plan, qui prendraient la responsabilité de rembourser sur leur bilan en cas de défaut.
Avec une trentaine de milliards d'euros, on pourrait ainsi amorcer assez rapidement le financement de la transition énergétique au moyen de l'argent du nucléaire