Intervention de David Azéma

Réunion du 6 mai 2014 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

David Azéma, directeur général de l'Agence des participations de l'état :

Dès mon retour à mon bureau, je vais vérifier ce qu'il est advenu de ce courrier qui avait été signé par les deux ministres précédents. Le remaniement en a peut-être interrompu l'envoi, je l'ignore. Nous allons, en tout cas, nous assurer qu'il vous sera bien adressé officiellement. Pensant qu'il l'avait été, nous avons diffusé sur notre site Internet ces éléments de doctrine, dont la primeur devait être réservée aux présidents des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.

L'APE a été créée en 2004 – non sans difficulté d'ailleurs puisqu'il a fallu près d'un an pour que tous les textes fondateurs soient pris –, sous l'impulsion de M. Francis Mer, qui a transformé l'ancien service des participations de l'État de la direction générale du Trésor en un service à compétence nationale. Tout d'abord rattachée au directeur général du Trésor avant de l'être en 2010 au ministre des Finances, elle a été placée, en 2012, sous la double tutelle du ministère des Finances et du ministère du Redressement productif, toujours d'actualité même si le périmètre des portefeuilles ministériels a changé. L'Agence fêtera cette année ses dix ans.

Depuis deux ans que j'ai pris mes fonctions, l'APE a oeuvré à ce que l'État actionnaire se dote d'une doctrine. C'est après les difficultés rencontrées avec le Crédit lyonnais puis France Télécom – qui n'était pas encore Orange –, deux événements considérés comme des défaillances de l'État actionnaire, qu'il avait été décidé de créer cette agence et qu'il lui avait été ordonné de gérer les titres de l'État en bon père de famille – à quoi se résumait l'essentiel de sa mission avant 2010.

En 2010, cette mission a été élargie et la fonction de commissaire aux participations créée, afin que l'État actionnaire ne se contente pas de gérer ses titres comme le ferait un notaire, en bon père de famille, mais ait également une préoccupation industrielle et sociale, sans laquelle il ne saurait y avoir d'entreprise qui vaille durablement.

Après cette première évolution doctrinale en 2010, nous avons, à partir de 2012, cherché à préciser encore les objectifs des participations de l'État. En gros, il est deux façons pour les États d'être actionnaire. Ils peuvent l'être par défaut, en cherchant à se débarrasser au plus vite des actions qu'ils ont pu être amenés à acquérir dans des situations exceptionnelles – c'est la doctrine implicite aux États-Unis qui a conduit l'État américain à entrer au capital de General Motors lorsque l'entreprise menaçait de faire faillite pour céder ses parts aussitôt la situation financière et industrielle de l'entreprise assainie. C'est aussi la doctrine sous-jacente en Grande-Bretagne, en Allemagne – en tout cas au niveau fédéral car il n'en va pas de même au niveau des Länder –, et au Japon. Pour autant, ce n'est pas la doctrine dominante au niveau mondial. La plupart des États ont choisi, sous des formes diverses, d'intervenir en fonds propres dans les entreprises, en acquérant des actions ou des instruments équivalents. De par son histoire, sa culture colbertiste et la taille de son patrimoine public, la France se range sans ambiguïté parmi les pays qui assument l'actionnariat de l'État et voient la détention de fonds propres dans les entreprises comme un outil de politique publique.

Mais pour quoi faire ? C'est en essayant de répondre à cette question que nous avons tissé, à grandes mailles, ce qui constitue d'ailleurs des lignes directrices plutôt qu'une doctrine. En effet, les règles qui nous régissent sont moins précises et moins strictes que celles qui s'appliquent, par exemple, à la Banque publique d'investissement – BPI –, obligée, elle, d'avoir une véritable doctrine – exerçant son activité pour le compte de deux actionnaires, en quasi-concurrence avec des fonds d'autre nature, son action est nécessairement davantage encadrée.

Il existe quatre grandes raisons pour l'État de participer au capital d'une entreprise. La première, celle qui vient immédiatement à l'esprit, est la nécessité d'être présent dans des entreprises jugées stratégiques pour des raisons de souveraineté nationale. Cela étant, il est des pays qui considèrent que, même dans ces secteurs, il n'est pas besoin d'actionnariat public. Les deux principaux secteurs concernés sont le nucléaire, qu'il s'agisse des principaux producteurs de la filière ou des opérateurs de centrales, et la défense nationale, secteurs pour lesquels l'État possède des actions – au moins une action, devrais-je dire – dans quasiment toutes les entreprises-clés.

La deuxième raison pour l'État d'être actionnaire est d'être présent au capital de sociétés qui, à un moment de leur histoire, ont assuré ou vont assurer un service d'intérêt national – on pourrait dire un service public, mais ce serait quelque peu restrictif. L'État doit s'assurer qu'elles sont assez résilientes pour répondre aux besoins fondamentaux du pays. Se classent dans cette catégorie La Poste, les opérateurs de télécommunications, en tout cas à un moment donné, les producteurs d'énergie électrique non nucléaire comme GDF-Suez, les opérateurs de transport. L'ont été aussi, à une époque, les sociétés d'autoroutes, lorsqu'il a fallu les mettre en place. Demain, de nouveaux opérateurs apparaîtront sans doute, appelés à répondre à de nouveaux besoins, et auxquels on ne pense pas spontanément aujourd'hui pour une entreprise publique ou à participation publique.

Troisième raison pour laquelle l'État peut entrer au capital d'une entreprise : participer à un tour de table actionnarial, à un niveau variable, à un moment de la vie d'une entreprise où celle-ci a besoin que son actionnariat soit stabilisé, consolidé ou renforcé, qu'il s'agisse d'accompagner sa croissance, ce qui exige des capitaux, ou sa consolidation, ce qui exige de pouvoir s'appuyer sur un actionnaire fort dans une logique de « noyau dur » – notion qui a existé par le passé dans le capitalisme français et qui, pour diverses raisons, prudentielles et stratégiques, s'est dissipée. C'est dans cet esprit, qui implique un actionnariat sans doute plus temporaire que dans les deux cas précédents, que l'APE est entrée directement au capital de PSA aussi bien que Bpifrance, investisseur public détenu à 50 % par l'État, accompagne la consolidation, la croissance ou le développement à l'international de certaines entreprises.

Le quatrième cas de figure, plus exceptionnel mais que l'on ne peut passer sous silence car il a toujours figuré parmi les raisons d'une intervention publique en fonds propres, est celui du sauvetage d'une entreprise dont la faillite pourrait présenter un risque systémique pour le pays. Cela a été le cas pour Dexia. De telles interventions doivent avoir reçu l'aval de la Commission européenne, qui doit les juger motivées par l'ampleur des risques que ferait courir une non-intervention. C'est ainsi que Dexia et certaines structures de défaisance héritées du passé sont entrées dans notre portefeuille.

À tout cela, s'ajoute un principe supplémentaire, celui du rendement, non pas financier, mais stratégique de chaque euro investi. La France n'est ni la Norvège ni le Qatar, elle ne dispose pas de revenus croissants à replacer dans l'économie nationale ou étrangère. Les pays que je viens de citer réinvestissent, en effet, beaucoup à l'étranger, tandis que l'État français le fait principalement dans des entreprises installées en France ou dont l'essentiel de l'activité s'y développe. Nos moyens n'étant pas extensibles, il nous faut faire des arbitrages.

Notre objectif est de rechercher le rendement stratégique maximal pour chaque euro investi. Si nous recherchons un contrôle minoritaire, nous n'avons pas besoin d'aller très au-delà, non plus que si nous recherchons un contrôle majoritaire. Dans ces deux cas, tout euro investi au-delà de l'objectif stratégique pourrait être utilisé autre part. Ainsi avons-nous cédé quelques points du capital détenu par l'État français dans Airbus Group, ex-EADS, sans que cela diminue en rien son pouvoir vis-à-vis de ses homologues allemand et espagnol tout en permettant de dégager plusieurs centaines de millions d'euros pour les réinvestir dans PSA Peugeot-Citroën et lui permettre de rebondir. C'est là un meilleur usage de l'argent public que de tout immobiliser dans Airbus Group en se privant de la possibilité d'intervenir auprès de PSA ou de recapitaliser BPI quand elle en a eu besoin. Nous devons toujours nous demander si notre participation dans une entreprise est à visée stratégique ou de pur rendement financier. Dans la deuxième hypothèse, on peut se poser la question de l'arbitrage en termes de risques. Il n'est pas de saine gestion que de tout placer dans le même secteur, la même activité ni la même zone géographique.

Il existe deux instruments principaux d'intervention. Tout d'abord, l'APE peut intervenir en direct ou en semi-direct, puisqu'il existe encore quelques holdings historiques de détention comme la SOGEPA pour Airbus ou TSA pour Thales. Il y a ensuite Bpifrance Participations, pôle investissements en fonds propres du groupe BPI, détenu pour moitié par l'État et par la Caisse des dépôts et consignations. Dans mon esprit, c'est un système de poupées gigognes : il existe entre les deux instruments un continuum. Il aurait été envisageable que ce soit Bpifrance qui entre au capital de PSA plutôt que l'APE en direct. Toutefois, compte tenu de l'ampleur du dossier, de la négociation avec les autorités chinoises pour qui il est important de discuter d'État à État, il était plus simple que ce soit l'APE. Mais il s'agit là d'un choix d'opportunité dans un cas d'espèce. Il n'est pas interdit à Bpifrance d'entrer au capital de grandes entreprises, même si elle compte aujourd'hui en portefeuille davantage de PME et d'ETI, catégories d'entreprises que l'APE, qui ne dispose pas des mêmes équipes qu'elle, a plus de mal à appréhender, même si elle en a, elle aussi, quelques-unes en portefeuille. L'Agence est, en effet, une toute petite structure, qui compte moins d'une trentaine de chargés ou directeurs de participations. Elle se concentre donc sur les grandes entreprises et les participations les plus pérennes.

Nous avons à jongler avec les multiples « casquettes » de l'État, celle d'actionnaire n'étant que l'une d'entre elles. C'est l'une des grandes difficultés, que nos homologues étrangers rencontrent également. Tout à notre rôle d'actionnaire, nous ne pouvons, en tant que tel, exprimer les préoccupations d'un régulateur, d'un taxateur et, à la limite, d'un responsable de rendement budgétaire. Car même si les dividendes ne sont pas versés au compte d'affectation spéciale – CAS – mais directement au budget de l'État, nous avons le souci que nos investissements non seulement répondent aux objectifs stratégiques du Gouvernement, mais aussi assurent un rendement financier. Celui-ci est aujourd'hui assez satisfaisant, notamment parce que la forte diminution du prix des actions dans la période précédente a gonflé d'autant le rendement apparent des dividendes, mais cet effet d'optique va s'atténuer. L'an passé, nous avons procuré 4,5 milliards d'euros de recettes budgétaires à l'État, ce qui est loin d'être négligeable. Nous assumons pleinement ce rôle de contributeur au budget de l'État.

En revanche, il n'est pas de notre rôle de réguler, par exemple, le marché de l'énergie à la place de la Commission de régulation de l'énergie ni de nous substituer au ministère chargé de l'Énergie, pas plus que nous ne pouvons effectuer les commandes militaires à la place de la direction générale de l'armement. Nous avons des échanges avec ces administrations et ces autorités administratives indépendantes mais, lorsque nous siégeons en conseil d'administration ou en assemblée générale en tant qu'actionnaire, nous ne défendons que l'intérêt social de l'entreprise ; un commissaire du Gouvernement éventuellement présent à nos côtés, comme c'est le cas à EDF, exprimera plus librement la position de l'État, car n'ayant aucune préoccupation ni d'administrateur ni d'actionnaire.

Pour l'application de la doctrine que je viens d'énoncer, nous avons, à l'APE, deux types de « casquettes ». En tant qu'actionnaire, nous nous exprimons généralement lors des assemblées générales, en amont desquelles nous avons maintenant institué l'envoi d'une lettre annuelle d'actionnaire aux dirigeants, leur indiquant les positions que nous défendrons en assemblée. Ainsi avons-nous très récemment fait savoir à quels critères devait répondre le package de rémunération décidé dans le cadre du « say on pay » pour être acceptable par l'État, et que, s'ils n'étaient pas remplis, nous voterions contre les résolutions afférentes.

Dans la quasi-totalité des entreprises dont l'APE est actionnaire, elle siège également au conseil d'administration. Dans les entreprises relevant des dispositions législatives relatives aux délégations de service public – DSP –, c'est-à-dire celles dont nous détenons plus de la moitié du capital en direct, nous avons un tiers des sièges d'administrateur. Dans les autres, le nombre de nos administrateurs est proportionnel à notre participation, dès lors que celle-ci est supérieure à 10 %. En général, un représentant de l'APE endosse le rôle de coordinateur et d'animateur des administrateurs représentant l'État au titre d'autres administrations, qui peuvent être des personnalités qualifiées un peu plus indépendantes, mais qui n'en doivent pas moins appliquer les consignes de l'État actionnaire.

Ce rôle d'actionnaire nous conduit à assumer collectivement des décisions au sein du conseil d'administration, en étant très attentifs, au nom de l'État, au respect des principes de bonne gouvernance ainsi qu'à la responsabilité sociale et environnementale. Le taux de féminisation des conseils d'administration des entreprises dont l'État est actionnaire est, en général, supérieur à la moyenne des conseils français. Nous avons aussi veillé à ce que, même dans les sociétés ne relevant pas des dispositions relatives aux DSP, les salariés soient représentés au sein du comité des nominations et du comité des rémunérations, avant même que le code AFEP-MEDEF ne le recommande. Dans toutes les entreprises dont nous sommes actionnaires, 90 % à 100 % des recommandations de ce code sont appliquées. Il en est toutefois certaines qui ne peuvent l'être, car ce code a été conçu pour des sociétés non contrôlées. Dans une société comme Thales, où le pacte d'actionnaires conclu avec Dassault la met sous contrôle, il est impossible d'avoir le nombre d'administrateurs indépendants recommandé par ce code.

Nous accueillons même parfois, à titre d'invités, au sein des conseils d'administration des personnalités qui ne sont ni administrateurs ni indépendantes. C'est le cas du président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, invité au comité d'investissement de Bpifrance Participations.

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