Intervention de Christian Leyrit

Réunion du 6 mai 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public, CNDP :

On peut peut-être se poser la question de l'opportunité d'un débat public sur le projet de centre de stockage de déchets radioactifs, mais il faut rappeler que son organisation était prévue par la loi de 2006. D'habitude, la CNDP est saisie par le maître d'ouvrage du projet, mais, dans ce cas précis, la loi faisait du débat public une étape préalable au dépôt, par l'ANDRA, d'un dossier de demande d'autorisation.

Je souhaite insister sur un point fondamental : l'organisation d'un débat public sur un projet, au sens où l'entend la CNDP, implique en principe que la décision de lancement du projet ne soit pas encore prise. Toutes les options doivent demeurer ouvertes : réaliser le projet, ne pas le réaliser, choisir un projet alternatif. Or, dans le cas de Cigéo, le public avait, à tort ou à raison, le sentiment que la décision était déjà prise. Il avait le sentiment que les jeux étaient déjà faits, d'autant plus que le processus ayant conduit au choix du site de Bure, à la construction du laboratoire et au vote de la loi de 2006 s'est étalé sur une durée extrêmement longue, à partir du début des années 90.

Il en est de même pour les quatre projets de parcs éoliens en mer : avant même la conclusion des débats publics, l'État avait arrêté le choix des sites propices – Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc –, lancé les appels d'offre et sélectionné des consortiums.

Si nous voulons redonner confiance aux citoyens, je recommande donc de n'organiser des débats publics que lorsque l'on a encore le choix de faire ou de ne pas faire.

J'ai passé plusieurs heures à discuter avec les opposants au débat public, car je voulais entendre ce qu'ils avaient à dire. Selon eux, l'impact sur l'opinion de leurs actions est plus fort que s'ils s'étaient contentés d'exposer leurs arguments. De fait, tant que la presse continuera, sur des sujets aussi importants, à donner plus de poids aux gens qui empêchent la tenue de réunions publiques qu'au contenu de ces dernières, le débat public restera difficile à organiser.

De tels actes sont pourtant passibles de sanctions pénales, mais la loi, dans cette situation, n'est pas facile à faire respecter. J'en avais d'ailleurs parlé à l'époque avec le directeur des libertés publiques du ministère de l'intérieur, avec le ministre lui-même et avec le préfet. Certains juristes estiment paradoxalement que les sanctions seraient plus efficaces si elles étaient de nature civile et non pénale. En tout état de cause, il s'agit d'une question grave, qui a d'ailleurs conduit quatre personnalités éminentes – dont deux anciens premiers ministres – à signer une tribune sur ce sujet dans Libération. Notre démocratie peut-elle accepter que quelques dizaines de personnes empêchent un débat de cette importance, dont les enjeux portent sur des centaines de milliers d'années ?

M. Bertrand Pancher a évoqué la possibilité d'organiser des réunions de type « Tupperware », au retentissement médiatique plus faible. Nous l'avions envisagé, mais les premières rencontres n'ont pas pu avoir lieu : même dans les plus petites communes, il s'est trouvé des gens pour les empêcher. De même, des réunions prévues dans des lycées ont été annulées au dernier moment, car le personnel enseignant les jugeait soudain inopportunes.

Je le répète, si les choses semblent décidées à l'avance, il ne faut pas organiser un débat public, au risque de dévaluer ce type de débat et de décrédibiliser la Commission nationale.

Hier, l'ANDRA a réuni son conseil d'administration afin de décider des suites qu'elle donne au projet de stockage géologique profond. Je me réjouis de voir que l'Agence a tenu largement compte de nos préconisations, qu'il s'agisse du nouveau jalonnement du projet, de l'association de la société civile à son élaboration ou de l'insertion d'une phase pilote entre le travail en laboratoire et la phase industrielle.

Plusieurs d'entre vous ont insisté sur l'incertitude pesant sur les coûts du projet. L'ANDRA s'est engagée à en proposer une estimation en 2014.

S'agissant des réseaux sociaux, nous souhaitons bien évidemment en développer fortement l'usage. Ils peuvent aussi permettre à des citoyens « leaders d'opinion » d'inciter d'autres citoyens à intervenir. Mais nous voulons également aller au-devant des gens, sur les marchés, dans les universités, les lycées, les gares.

La CNDP ouvre le 15 mai un nouveau site, qui servira de portail pour la Commission nationale et pour l'ensemble des commissions particulières. Cela favorisera l'interactivité. D'une manière générale, le débat sur Cigéo a donné lieu à des réunions de debriefing afin de tirer de cette expérience tous les enseignements possibles. Il reste sans doute nécessaire d'élaborer de nouvelles méthodes.

Pour autant, on ne peut pas dire que les réunions publiques sont complètement obsolètes. C'est tout de même un lieu de confrontation utile entre le public, le maître d'ouvrage, les associations et les pouvoirs publics. L'idée est plutôt de multiplier les formes différentes d'intervention du public.

Bien entendu, madame Catherine Quéré, l'interactivité a caractérisé les débats sur Cigéo.

S'agissant de la conférence de citoyens, l'objectif n'est évidemment pas d'en faire un organe de décision, car il ne serait pas légitime. Dans le cas du débat sur le projet Cigéo, les dix-sept membres de la conférence ont été choisis par des instituts de sondage en veillant à respecter un équilibre des points de vue à l'égard du nucléaire. Mais le document de dix pages qu'ils ont élaboré au bout de trois week-ends est beaucoup plus riche que le résultat de n'importe quel sondage.

L'intérêt de cet outil est d'apporter un autre éclairage sur de grands sujets de société. Des conférences du même type ont d'ailleurs été organisées au sujet de la fin de vie. L'objectif est d'aider les décideurs à trancher, mais pas d'octroyer une quelconque responsabilité aux citoyens concernés.

Monsieur Martiel Saddier, le calendrier du projet, sur lequel l'Autorité de sûreté nucléaire a exprimé à plusieurs reprises des réserves, fera l'objet d'un aménagement par l'ANDRA.

Aujourd'hui, la CNDP organise des débats publics sur des projets ponctuels. Si on lui demande d'intervenir sur la préparation de projets de loi, monsieur Caullet, elle ne devra pas nécessairement employer les mêmes méthodes.

M. Guillaume Chevrollier a souligné la nécessité de réduire les coûts. Mais le renforcement de l'indépendance de la CNDP va de pair avec cet objectif. Si la Commission passait elle-même les appels d'offre, je suis sûr qu'elle parviendrait à des économies d'au moins 15 %. Dans la situation actuelle, en effet, le responsable de l'organisation change en permanence – un jour RFF, le lendemain la Fédération de rugby, l'ANDRA ou Auchan –, ce qui implique la participation de nombreux consultants ou intermédiaires. L'adoption d'une vision unique en matière d'appels d'offre permettrait de réduire les coûts.

Cette réduction est une priorité, car le coût du débat public demeure trop élevé. Certes, il ne représente qu'un pourcentage infime du coût total du projet, mais là n'est pas la question. Le débat sur le projet Cigéo a dû coûter 1,2 million d'euros, celui sur les projets de ligne à grande vitesse, un million d'euros : cela représente tout de même beaucoup d'argent, surtout dans le contexte actuel. La réduction du nombre de réunions publiques, qui mobilisent beaucoup de moyens, permettrait également de faire des économies.

J'en viens à l'organisation de débats publics à l'échelon local. Nous sommes prêts à aider toutes les collectivités souhaitant se donner les moyens de mieux associer les citoyens à leur politique. Mais si elles sont maîtres d'ouvrage du projet concerné, ce souci relève de la concertation, non du débat public au sens où je l'entends. Il est important pour le citoyen de bien faire la distinction. La CNDP n'est en effet pas partie prenante des projets à propos desquels elle organise des débats publics, alors que les instances de dialogue créées par les régions, les départements ou les communautés d'agglomération restent sous l'autorité de l'exécutif.

Le Parlement lui-même, dans le cadre de la loi du 27 décembre 2012, a souhaité mettre à la disposition du public tous les projets de texte concernant l'environnement et confier, à titre expérimental, à la Commission nationale du débat public le soin de désigner des personnes qualifiées et de réaliser la synthèse des observations formulées. Cependant, le décret d'application n'a été signé que le 27 décembre 2013, alors qu'il devait paraître avant le 1er avril. L'expérimentation n'a donc commencé que le 1er janvier 2014. En outre, les textes soumis à la concertation sont tellement abscons – le mot n'est pas trop fort – que le nombre de contributions a varié entre zéro et cinq ! On peut d'ailleurs s'interroger sur l'opportunité de soumettre au public des dispositions d'une telle technicité.

Dans ces conditions, le bilan que nous allons rendre public le 1er octobre risque d'être succinct, à moins qu'un projet de loi sur la chasse soit proposé d'ici là…

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