Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du 6 mai 2014 à 19h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin, rapporteur :

Mon propos sera un propos introductif. Je voudrais présenter, à grands traits, la problématique qui a justifié la réalisation du rapport que nous étudions aujourd'hui sur l'OCM « sucre ».

L'Organisation commune du marché du sucre a été créée en 1968. Elle est actuellement régie par le règlement CE n° 3182006 du Conseil du 20 février 2006 qui repose sur un système classique de quotas de production et de prix de soutien.

Il est possible de dire quelques mots sur ces quotas et sur ces prix de soutien :

– Actuellement, c'est-à-dire pour la campagne de commercialisation 20132014, le quota global de production de sucre pour l'Union européenne à 28, c'est-à-dire intégrant la Croatie à compter du 1er juillet 2013, s'élève à 13,5 millions de tonnes annuels, cette quantité étant calculée en équivalent sucre blanc. La France, à cette même date, dispose d'un quota de production annuel de 3,437 millions de tonnes. Dans le cadre de ce contingent, un quota de 432 220 tonnes concerne spécifiquement les départements d'outre-mer.

– Le prix de soutien pour le sucre blanc est de 404,4 euros la tonne. Ce prix est supérieur au prix mondial du sucre blanc qui s'élève à 296,2 euros la tonne, sur le marché de Londres, en janvier 2014.

– Enfin, compte tenu de l'aide apportée par Bruxelles au secteur du sucre, le niveau des exportations de l'Union européenne est très encadré par l'Organisation mondiale du commerce. Ainsi, la capacité d'exportation de l'Europe est-elle limitée à un peu plus d'un million de tonnes de sucre par an. Dans le cadre de ce contingent, la France exporte environ 350 000 tonnes de sucre par an.

La durée de validité du règlement européen de 2006 prend fin à l'issue de la campagne de commercialisation 20142015. Elle a cependant été prolongée de deux ans, dans le cadre de l'OCM unique créée en 2007, par le règlement (UE) n° 13082013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013.

À compter du 1er octobre 2017, l'Union européenne va donc retrouver toute sa capacité d'exportation. À l'inverse, il n'y aura plus de prix de soutien pour les producteurs de sucre nationaux, ni de garantie d'achat en cas de mévente. Par ailleurs, les prix européens du sucre vont probablement perdre leur autonomie qui était liée aux prix de soutien. Ils vont très certainement s'aligner sur les prix du marché mondial.

Cette situation ne peut que préoccuper les industriels des départements d'outre-mer producteurs de sucre, c'est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion.

Les inquiétudes de ces industriels peuvent être résumées en rappelant les données suivantes :

– La fin des quotas, décidée depuis 2006, sera effective en 2017 ; on ne peut pas remettre en cause cette mesure qui a recueilli un large assentiment au niveau européen. En effet, les sucreries européennes continentales – celles qui produisent du sucre de betterave – y voient une opportunité pour augmenter leur production qui ne sera plus limitée par ces contingents.

– L'évolution des marchés du sucre, tant européens que mondiaux, est difficile à anticiper, notamment en termes de prix ; on se heurte là à la volatilité des marchés de matières premières.

– Ainsi, les cours des marchés mondiaux ont-ils été plus élevés que ceux des marchés européens sur la période qui s'étend du mois d'octobre 2009 au mois de janvier 2013. En revanche, depuis 2014, les cours des marchés mondiaux sont en baisse et, comme je l'ai indiqué précédemment, ils sont inférieurs au prix de soutien européen.

– Toutefois, malgré les incertitudes qui peuvent subsister sur l'évolution des cours, si les prix mondiaux n'évoluent pas significativement, il existe de fortes probabilités pour que les prix européens, en 2017, enregistrent une forte baisse – et cela d'autant plus que les sucreries européennes vont augmenter leur production.

– On devrait donc constater une baisse du prix du sucre blanc sur les marchés européens.

– Les sucreries européennes continentales, plus compétitives, pourront supporter cette baisse des prix ; elle sera compensée, en outre, comme je viens de le dire, par l'augmentation de la production.

– Mais les choses seront plus difficiles pour les industries sucrières des DOM.

– À terme, la filière « sucre » des DOM sera conduite, elle aussi, à augmenter sa compétitivité (grâce, notamment, à la mécanisation et à la recherche). Elle pourra poursuivre son développement en tablant sur la production de sucres spéciaux (notamment le sucre roux). Elle pourra également augmenter la valorisation des coproduits de la canne à sucre, ce qui permettra de viser de nouveaux débouchés et donc d'accroître les marges bénéficiaires dégagées par le secteur.

– Cependant, dans l'immédiat, avec la baisse du prix du sucre sur le marché européen, la filière va avoir le plus grand mal à conserver sa rentabilité. La filière « sucre » des DOM en effet – outre les difficultés économiques structurelles des régions ultrapériphériques, difficultés reconnues par l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne conclu le 13 décembre 2007 – souffre de deux handicaps majeurs : des coûts de production plus élevés que dans l'hexagone et une quasi-impossibilité de réaliser rapidement des économies d'échelle. Par suite, la filière ne pourra pas compenser la baisse des prix par une hausse équivalente de la production. Elle risque donc de connaître très vite une situation de crise.

Face à ce constat, il paraît évident qu'il faudra aider la filière « sucre » des DOM, au moment de la mise en oeuvre de la réforme de l'OCM.

Comme vecteur pour cette aide, on pourrait penser spontanément au POSEI. Toutefois, ce programme ne paraît pas aujourd'hui être le support idéal. Il se heurte en effet à deux difficultés. D'une part, certains craignent la baisse de l'enveloppe « sucre », ne serait-ce que parce qu'il faudra bien dégager des crédits pour des actions nouvelles ou de nouveaux attributaires du programme. Or, si cela est avéré, il peut paraître un peu illusoire de penser que l'on pourra mobiliser de nouveaux crédits d'accompagnement au titre d'un POSEI dont les dotations globales concernant le secteur en cause sont en baisse. Et, d'autre part, il est certain que l'Europe ne voudra pas s'engager dès 2017 ; elle ne voudra le faire qu'après constatation des dommages éventuels survenus à la filière à la suite de la disparition des quotas, c'est-à-dire au cours d'une période qui sera postérieure à l'année de suppression ; or, au moment où l'Europe procédera à ces évaluations, il sera peut-être trop tard pour les industries concernées.

Nous proposons néanmoins dans le rapport qu'à partir de 2017, il y ait un suivi de l'évolution des prix sur le marché européen qui puisse être mis en place pour voir l'impact réel de la suppression des quotas sur la production des DOM (prix et quantités). En fonction de cette évolution, une compensation financière pourra être demandée à l'Europe.

Mais, dans l'immédiat, il paraît indispensable de recourir à une aide gouvernementale. Le règlement (UE) n° 2282013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 autorise un soutien de l'État à la filière à hauteur de 90 millions d'euros annuels. Selon nous – mais en accord avec les professionnels du sucre – il faudrait le déplafonner et le porter à 128 millions d'euros.

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