Intervention de Jean-Claude Fruteau

Réunion du 6 mai 2014 à 19h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau, président :

Après le propos liminaire de M. Philippe Gosselin, je voudrais aborder le coeur du rapport, c'est-à-dire, en fait, ses propositions qui sont au nombre de sept et qui sont destinées à compenser les effets négatifs de la suppression des quotas par des mesures d'accompagnement dont le but est d'aider et de consolider la filière « sucre » des départements d'outre-mer.

Parmi ces propositions, la plus importante est la proposition 3 qui prévoit une augmentation de l'aide annuelle accordée par l'État aux acteurs de la filière.

Comme M. Philippe Gosselin l'a indiqué, la baisse des prix consécutive à la suppression des quotas va être révélatrice d'une situation où les industries sucrières des DOM ne pourront pas augmenter immédiatement les quantités produites pour opérer un rattrapage ; où les handicaps structurels liés au fait de produire dans des régions ultrapériphériques de l'Union européenne vont perdurer et où l'on va enregistrer, immédiatement, une perte de compétitivité par rapport aux industries sucrières opérant sur le sucre de betterave – cette perte de compétitivité nouvelle s'ajoutant à des désajustements déjà anciens entre les deux secteurs.

Les industries sucrières intervenant sur le sucre de betterave se sont en effet restructurées depuis 2006 ; elles peuvent aisément accroître les quantités produites et l'augmentation de leur productivité – qui n'attend pour démarrer que la disparition des quotas de production – va générer des économies d'échelle. La profession a ainsi évalué à 37 euros par tonne l'économie réalisée au titre de l'accroissement de productivité qui va faire suite à la réforme de l'OCM en 2017.

À l'inverse, les industries sucrières des DOM n'ont pas procédé à de telles restructurations. En particulier, les industries des DOM n'ont pas été éligibles au fonds de restructuration européen qui a été mis en place en 2006. En effet, la filière emploie près de 20 000 personnes – que ce soit de manière directe ou indirecte – et le Conseil des ministres de l'Europe avait jugé, à l'époque, que ce qui était prioritaire pour les DOM, c'était de maintenir l'emploi dans un secteur de culture traditionnelle. D'où les aides attribuées par le POSEI.

Ces aides n'empêchent pas, comme je viens de le dire, qu'il existe un différentiel de compétitivité – avant même la disparition des quotas européens – entre le sucre de canne et le sucre de betterave.

Ce différentiel repose sur deux chiffres : il y a un surcoût de revient (après transformation de la matière première) de la tonne de sucre de canne (brut) dans les DOM, après subventions, par rapport à la tonne de sucre de betterave (qui sort directement sous la forme de sucre blanc à l'issue du traitement au sein des sucreries) ; ce déficit s'élève à 135 euros (100 euros pour La Réunion et 135 euros en incluant les Antilles) ; et il y a, en outre, un surcoût (avant la vente) lié au raffinage, ce dernier « pénalisant » le sucre de canne (qui doit être raffiné avant de devenir du sucre blanc) par rapport au sucre de betterave (qui ne nécessite pas d'être raffiné) ; ce surcoût peut être évalué à 65 euros par tonne. L'ensemble des surcoûts s'élève ainsi à 200 euros.

C'est ainsi, au total, que les industries sucrières des DOM vont perdre une grande partie de leur rentabilité, en 2017, avec la baisse des prix du sucre qui ne pourra pas être compensée par une hausse de la production ; par ailleurs, elles vont subir une perte de compétitivité par rapport à la production du sucre de betterave (37 euros par tonne) ; enfin, cette perte de compétitivité va s'ajouter aux déficits de compétitivité déjà existants par rapport à ce secteur (200 euros par tonne).

Par conséquent, si l'on ne veut pas aboutir à une crise très profonde en 2017, il serait bon d'aider la filière « sucre » des DOM, en apportant une compensation à ces différents désajustements.

Le premier désajustement à compenser est donc la baisse des prix. Malheureusement, comme on ne peut pas savoir à quel niveau celle-ci va se fixer exactement en 2017, il est pour ainsi dire impossible de proposer un niveau de subvention à effet « contra-cyclique ».

Le second désajustement à compenser est la perte de compétitivité de la filière par rapport au secteur du sucre de betterave.

De ce point de vue, les choses sont plus simples : il suffit d'appliquer le montant de 237 euros par tonne (200 euros de surcoûts antérieurs à 2017 et 37 euros de déficit liés à la suppression des quotas en 2017) à un effectif de 160 000 tonnes, soit la totalité de la production des DOM, sauf celle du sucre roux, un sucre qui, assez peu concurrencé sur le marché européen, bénéficie d'un statut de « niche ». Le total donne 38 millions d'euros.

Il est donc proposé de compenser annuellement cette somme en faveur de l'industrie sucrière des DOM, en ajoutant ce montant à la dotation de 90 millions d'euros qui est allouée annuellement, en accord avec Bruxelles, à la filière « sucre » des Outre-mer par le Gouvernement.

Il est certain que cette dotation ne comblera pas tous les déficits. Néanmoins, cette mesure aura pour effet de restaurer les conditions normales de concurrence, à produit égal, sur le marché européen, entre le sucre de canne et le sucre de betterave. Plus techniquement, on peut dire aussi que cette mesure aura pour effet d'égaliser le coût de revient du sucre brut de canne raffiné en blanc et le coût de revient du sucre blanc de betterave produit dans les sucreries européennes.

Je vais maintenant présenter les autres propositions du rapport, en parlant au nom de M. Patrick Lebreton qui, comme je l'ai indiqué, a été retenu à La Réunion.

À part la proposition 3 que je viens de commenter, le rapport comporte encore six propositions.

– La première vise la création d'un observatoire chargé du suivi de l'évolution des prix sur le marché du sucre (proposition 1).

Il s'agit d'un observatoire public, tout particulièrement centré sur l'activité des départements d'outre-mer.

Cet observatoire, rattaché au ministère des Outre-mer, permettrait de dégager les grandes tendances propres au marché du sucre au sein de l'Union européenne ; il permettrait également d'analyser l'impact réel de la suppression des quotas sur la production des DOM, que ce soit en termes de prix ou de quantité ; enfin, il permettrait aux pouvoirs publics, en disposant d'études statistiques pertinentes, d'intervenir rapidement et à coup sûr, en cas de difficultés particulières.

– La seconde proposition s'analyse plutôt comme une résolution. Il s'agit d'affirmer le caractère indispensable de la poursuite d'une politique active de préservation du foncier agricole, et spécialement du foncier dédié à la culture de la canne à sucre (proposition 2).

Différentes mesures ont déjà été prises par le passé pour préserver le foncier (par exemple la création, en 2011, de la Commission départementale de la consommation des espaces agricoles).

D'autres mesures sont actuellement à l'étude, dans le cadre de l'examen au Parlement du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

Il convient en tout cas de souligner fortement que la préservation d'un espace foncier suffisant consacré à la culture de la canne à sucre – ce que les professionnels appellent la « sole cannière » – reste l'une des conditions essentielles pour assurer le développement futur de la filière « sucre » dans les DOM.

– La troisième proposition consiste à demander à EDF la réalisation d'une étude sur la possibilité d'augmenter le prix d'achat de la bagasse utilisée dans les centrales thermiques (proposition 4).

La bagasse est revendue 11,05 euros la tonne par les industriels à EDF, ce résidu de la canne à sucre servant de combustible pour certaines centrales produisant de l'électricité outre-mer.

Il serait intéressant que le Gouvernement puisse demander à EDF de réaliser une étude sur la possibilité d'augmenter le prix d'achat de cette source d'énergie.

Il va de soi que si la bagasse pouvait être achetée plus cher par les centrales, ce dispositif permettrait de réduire d'autant les subventions complémentaires issues de l'État et demandées précédemment en faveur de la filière « sucre ».

– La quatrième proposition consiste à demander que le Gouvernement accompagne les démarches des DOM visant à obtenir, au niveau européen, l'identification de leur production par le sigle IGP (proposition 5).

Ce sigle signifie « indication géographique protégée ». Il atteste du haut niveau de valeur ajoutée des produits labellisés, ainsi que du fait que ces produits tirent leurs caractéristiques propres du lien étroit qu'ils entretiennent avec leurs territoires d'origine.

Il est bien certain que la possession de ce label constitue une plus-value indéniable pour les productions des DOM, à commencer par les différents types de sucre.

– La cinquième proposition consiste à écarter le sucre roux des libéralisations accordées par l'Union européenne dans le cadre des accords commerciaux conclus avec les pays tiers (proposition 6).

Le sucre roux est un sucre particulier, produit, en Europe, quasi exclusivement par le département de La Réunion. Il n'est pas concurrencé sur ce marché, sauf par l'île Maurice ; mais cette dernière ne dispose pas d'un accord commercial préférentiel et elle acquitte donc des droits de douane à l'entrée aux frontières.

Demain cependant, l'île Maurice peut obtenir un accord privilégié de la part de l'Europe ; et il en va de même pour d'autres pays producteurs, tels que l'Australie ou Cuba.

Il serait donc souhaitable, pour préserver le marché de niche dont bénéficie le sucre roux, de maintenir les tarifs douaniers existants pour ce type de sucre, lorsqu'il est produit par des pays extra-européens.

– Enfin, la dernière proposition consiste à encourager de nouveaux débouchés pour la canne à sucre (proposition 7).

La canne à sucre est en effet susceptible de produire de très nombreux dérivés dans des domaines assez variés. Ces coproduits sont intéressants, dans la mesure où ils pourront accroitre les revenus des acteurs de la filière, dès lors qu'ils seront commercialisables.

Les recherches en ce sens doivent donc être fortement encouragées. Elles doivent passer le plus vite possible au stade de la recherche appliquée.

Au total, je propose donc à la Délégation l'adoption de l'ensemble de ces propositions.

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