Intervention de Philippe Mongin

Réunion du 17 avril 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Philippe Mongin, directeur de recherche au CNRS :

Nous sommes honorés de contribuer à votre réflexion.

L'objet de notre rapport n'est pas spécifiquement le risque nucléaire, mais le risque nucléaire à côté d'autres risques majeurs.

Les risques majeurs sont des risques comme les autres, si ce n'est que leurs conséquences socioéconomiques et environnementales sont considérables. Ce ne sont pas nécessairement des risques dotés de très petites probabilités, même si c'est le cas – et nous ne sommes pas les seuls à le croire – des risques nucléaires.

L'analyse du risque doit s'appliquer aux risques majeurs, puisque ce sont des risques. Elle s'applique sous la forme, chère aux géographes, des enjeux, de l'aléa, de la vulnérabilité ; sous la forme, chère aux ingénieurs, de la donnée d'une probabilité et d'un coût ; ou sous une forme chère aux économistes, qui raffinent le schéma précédent et introduisent notamment les attitudes par rapport aux risques et les primes de risque.

Nous avons pris le risque nucléaire – ou plus précisément le risque d'accident de centrale, car il ne sera question que de cela dans notre intervention – comme un risque majeur, à côté des risques de catastrophe naturelle et de catastrophe technologique, dont il est structurellement proche. Nous analysons donc le risque nucléaire par les mêmes moyens que ces deux autres risques. Cette position méthodologique, j'y insiste, ne va pas de soi.

En effet, les spécialistes de la sûreté nucléaire ont longtemps évité l'outil probabiliste ; les conceptions traditionnelles de la défense en profondeur sont déterministes. Il est vrai que des études plus récentes, dites probabilistes de la sûreté – les EPS –, font une certaine part aux probabilités, quoique pas suffisamment encore selon nous.

Le contraste est grand par rapport aux études sur les inondations, qui nous ont aussi beaucoup occupés dans le rapport, études que les réassureurs savent pratiquer en utilisant les données de coût aussi bien que celles de probabilité. L'administration française, sous l'influence des directives européennes, a également su développer des études de ce genre.

Une lecture attentive des rapports préparatoires à la commission d'enquête nous a permis de constater qu'il n'était guère question que des coûts, et que le mot « probabilité » n'y figurait pas ou peu. Nous expliquons cela par la tradition du domaine nucléaire – tradition avec laquelle, vous l'aurez compris, ce rapport voudrait rompre. En outre, les auditions précédentes ne semblent pas avoir privilégié le thème ; ce sera donc pour nous une raison de vous en parler.

M. Lahidji vous présentera nos réflexions sur les probabilités. Il vous parlera également des coûts qui, à notre avis, ne sont pas évalués de la manière la plus satisfaisante qui soit. Il combinera les coûts et les probabilités suivant le critère bien connu de l'espérance mathématique.

Nous distinguons la validité du critère de l'espérance mathématique comme une mesure synthétique du risque et la question de l'assurabilité. En d'autres termes, si le risque d'accident nucléaire majeur se prête mal à l'assurance – c'est un fait –, cela ne vient pas, selon nous, de ce que le critère de l'espérance mathématique ne s'appliquerait pas au nucléaire. Cela vient d'autres considérations, en particulier et peut-être le plus simplement du monde, d'une contrainte de liquidités.

Cela nous amène à la position selon laquelle il faut dire oui à l'assurance, mais aussi surmonter ce problème spécifique lié à l'immensité des enjeux. Nous considérons que l'État seul peut organiser l'assurance. Mme Grislain-Letrémy abordera plus précisément cette question et vous proposera en notre nom la création d'un fonds dédié, piste déjà ouverte par la Cour des comptes.

J'évoquerai un dernier aspect. Le risque nucléaire est un risque terrifiant. C'est aussi, sous un certain angle, le plus rassurant de tous. C'est en effet celui qui obéit au principe, que nous avons généralement recommandé dans le rapport, d'une séparation de l'évaluation et de la gestion, principe général malheureusement mal appliqué en matière de catastrophe naturelle et bien appliqué en matière de risque nucléaire. Le travail de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est universellement respecté. La distinction même, au sein des évaluateurs, entre un prescripteur et un expert est souhaitable et intéressante. Sous cet angle, le traitement du risque nucléaire a des leçons à donner au traitement des autres risques.

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