Intervention de Céline Grislain-Letrémy

Réunion du 17 avril 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Céline Grislain-Letrémy, économiste de l'assurance et de l'environnement à l'INSEE :

En ce qui concerne l'indemnisation du risque nucléaire, le régime repose sur la responsabilité sans faute de l'exploitant, limitée dans son montant et dans le temps, avec un système en trois tranches : la première est à la charge de l'exploitant, la deuxième de l'État, et la troisième à la charge des États signataires de la Convention de Bruxelles de 1963.

En 2004, un protocole a proposé d'augmenter les montants de ces tranches successives, ce qui est tout à fait souhaitable puisque le système actuel repose sur des valeurs désuètes, même en supposant un accident nucléaire d'une gravité modérée. Même si l'augmentation des plafonds est souhaitable, nous arrivons à organiser l'indemnisation jusqu'à hauteur de 1,5 milliard, ce qui est bien inférieur au coût de 120 milliards d'euros calculé par l'IRSN.

Se pose donc la question du provisionnement du coût restant – la majorité du coût – en cas d'accident nucléaire. À cet égard, il nous semble que trois voies méritent d'être envisagées, au moins intellectuellement.

La première solution repose – et c'est le cas actuellement – sur la solidarité nationale. C'est finalement une situation par défaut : aucun provisionnement n'est anticipé et, en cas d'accident nucléaire, l'indemnisation se fera aux frais des contribuables par une hausse d'impôt.

À l'opposé, la deuxième solution consisterait à considérer la responsabilité illimitée de l'exploitant, comme c'est le cas en Allemagne et comme, selon notre interprétation, pourrait le permettre le protocole de 2004. Bien entendu, cela ne signifie pas que l'exploitant sera solvable. Pour appliquer ce régime de responsabilité, une possibilité serait alors de s'inspirer du régime d'assurance des catastrophes technologiques qui fonctionne de la façon suivante. Lorsque vous êtes assurés en multirisques habitation, vous payez une surprime de quelques euros par an – une surprime catastrophe technologique – qui vous permet d'être indemnisé, en cas d'accident technologique, directement par votre assureur qui se retourne ensuite contre l'exploitant responsable ou l'assureur de ce dernier. Ce système, mis en place à la suite de la catastrophe d'AZF, a pour objet d'améliorer la couverture des victimes par deux moyens, la réduction des délais d'indemnisation, d'une part, et la couverture contre le risque de non-indentification, mais surtout d'insolvabilité de l'exploitant, d'autre part. Cette modalité d'application pourrait être étendue non seulement aux ménages, mais aussi aux entreprises et aux collectivités locales qui ont des contrats d'assurance multirisques entreprise et collectivité locale.

D'un point de vue normatif, cette solution de la responsabilité illimitée de l'exploitant nous semble préférable. Néanmoins, et malgré la modalité d'application permettant d'améliorer la couverture des victimes contre l'insolvabilité de l'exploitant, elle reste peu crédible.

Une troisième possibilité, intermédiaire, serait de conserver ce régime de responsabilité illimitée de l'exploitant, mais de créer un fonds dédié. L'idée serait que l'État explicite et organise son rôle d'assureur et demande à l'exploitant de lui payer une prime d'assurance venant alimenter un fonds qui lui permettrait de couvrir ses dépenses en cas de catastrophe nucléaire.

Nos calculs nous ont conduits à considérer qu'il serait raisonnable de proposer une alimentation de ce fonds à hauteur de 700 millions d'euros par an, ce qui représenterait sur quarante ans un provisionnement de 80 milliards. Ce provisionnement, inférieur au coût mentionné par l'IRSN pour un accident grave, de 120 milliards, est malgré tout relativement conséquent. Je pourrai détailler notre calcul si vous le souhaitez.

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