J'ai bien compris, monsieur Picard, qu'il vous était difficile de chiffrer le coût du risque nucléaire et d'en définir les mécanismes d'internalisation adéquats. Mais en tant que rapporteur de cette commission d'enquête, mon objectif consiste à comparer entre elles les différentes filières de production électrique en termes de risque d'accident afin de déterminer quelle subvention virtuelle l'État apporte à la filière nucléaire en instituant ce type d'assurance. Car si nombre de personnes ne sont guère rassurées par le nucléaire, c'est bien parce qu'il présente un risque. Or l'une des manières de calculer le risque à internaliser consiste à mesurer le coût auquel s'élèverait l'assurance s'il devait être assuré.
J'ai d'ailleurs trouvé votre propos tout à fait pertinent lorsque vous avez jugé illégitime que ce soit les générations futures qui assument les conséquences financières d'un accident nucléaire plutôt que ceux qui consomment aujourd'hui l'électricité produite par les centrales et les dirigeants politiques ayant décidé de recourir à cette technologie pour la fournir. Si j'entends bien les remarques formulées par le président de la commission en matière de provisionnement du risque et reconnais que la situation du nucléaire n'est pas comparable à celle des millions de véhicules automobiles aujourd'hui en circulation, il reste que l'on recense cinquante-huit réacteurs en France et plusieurs centaines au niveau mondial. Ne pourrait-on par conséquent instituer un système de mutualisation du risque entre ces réacteurs, même si tous, parmi eux, ne représentent pas le même risque ?
MM Trembley et Corrihons ont quant à eux évoqué les modifications apportées par le protocole de Bruxelles à la convention de Paris et notamment le fait que le plafond de responsabilité des exploitants ait été porté de 91,5 à 700 millions d'euros : bien que ce plafond demeure très en deçà du coût potentiel d'un accident nucléaire, quelles sont les conséquences d'une telle augmentation sur le système d'assurance ? M. Trembley a certes parlé à ce propos de « bouleversement », mais il est resté très évasif. Or on peut lire dans le document de référence d'EDF que « le groupe EDF ne peut garantir que dans les pays où il est exploitant nucléaire, les plafonds de responsabilité fixés par la loi ne seront pas augmentés ou supprimés. Ainsi les protocoles portant modification de la convention de Paris et de la convention de Bruxelles, actuellement en cours de ratification, prévoient un relèvement de ces plafonds. L'entrée en vigueur de ces protocoles modificatifs ou toute autre réforme visant à relever les plafonds de responsabilité des exploitants nucléaires pourrait avoir un impact significatif sur le coût de l'assurance que la société n'est pas aujourd'hui en mesure d'estimer. Et le groupe ne peut pas garantir que les assurances couvrant cette responsabilité seront toujours disponibles ou qu'il arrivera toujours à maintenir ces assurances. » De toute évidence, EDF prend ici les plus grandes précautions pour expliquer aux potentiels actionnaires les conséquences de ces modifications.
Autre question d'ordre technique : dans son rapport, la Cour des comptes estime que la construction de pools nationaux est anticoncurrentielle et manque de transparence. Qu'en pensez-vous ? En outre, si les exploitants ont obligation de se couvrir par garantie bancaire ou par assurance à concurrence des montants fixés dans les conventions internationales, il n'existe selon la Cour aucun moyen de vérifier que ces obligations sont remplies parce qu'il n'existe aucune liste des exploitants devant s'y conformer et que la garantie financière instituée doit être agréée par le ministère de l'économie – cette exigence n'étant pas respectée. Datant de 2012, ces remarques sont-elles toujours pertinentes ou bien l'exploitant nucléaire principal et les autres entreprises nucléaires se sont-ils assurés comme ils le doivent depuis lors ?
Quant aux mécanismes de réassurance, comment sont-ils censés fonctionner dans l'hypothèse défavorable d'un accident dépassant le plafond d'assurance, et dont l'IRSN a évalué le coût moyen entre 120 et 450 milliards d'euros – selon qu'il s'agit d'un accident grave ou d'un accident majeur ? L'IRSN a certes précisé qu'il s'agissait de coûts globaux qui n'étaient pas totalement indemnisables, mais leur partie indemnisable dépassera les 1,5 milliard d'euros.
Qu'adviendrait-il en cas d'accident dont les conséquences – telles que les nuages radioactifs – ne se limiteraient pas au territoire national ? Ma question vise notamment les centrales de Fessenheim et de Cattenom. Quelle indemnisation nos voisins pourraient-ils alors réclamer à l'État français ?
Enfin, le risque nucléaire étant exclu des contrats d'assurance couvrant les biens mobiliers et immobiliers des particuliers, si l'on doit demain évacuer une grande ville ou une ville moyenne devenue inhabitable du fait d'un nuage radioactif, comment ces particuliers pourront-ils se faire indemniser de la perte de biens acquis après avoir économisé toute leur vie ? Faudrait-il prévoir, dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, des mécanismes d'indemnisation comparables à ceux qui ont été instaurés en cas de catastrophe naturelle ?