Intervention de Pierre Picard

Réunion du 10 avril 2014 à 17h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Pierre Picard, professeur au département d'économie de l'école Polytechnique :

L'un des objectifs du rapporteur étant de comparer le coût du risque et, partant, l'efficacité relative des différentes filières énergétiques, il lui faut prendre en compte dans son calcul le coût de l'ensemble des externalités existantes, y compris celui des émissions de gaz à effet de serre. Quant à la méthode de calcul proprement dite, en cas de grande catastrophe, c'est à l'État qu'il revient, au-delà des limites de couverture assignées aux mécanismes d'assurance, d'opérer un arbitrage éthique et politique entre le coût qui sera financé ex post par l'emprunt, c'est-à-dire par les générations futures, et celui qu'il accepte de supporter. Un tel arbitrage tient au degré de probabilité que l'on assigne à la catastrophe et aux scénarios sur lesquels on s'appuie pour en évaluer les coûts, et comportera toujours un élément d'extrême arbitraire. Une fois cet arbitrage opéré, reste à définir des mécanismes de provisionnement de la partie du coût de la catastrophe à laquelle on souhaite se préparer : on peut ainsi demander à l'opérateur nucléaire d'accroître son capital et à un expert financier de calculer le coût de la rémunération des actionnaires sur toute la durée de vie de ce provisionnement, en fonction du coût du capital.

Quant à savoir s'il serait possible d'améliorer le fonctionnement et la portée des mécanismes d'assurance traditionnels, il existe deux manières d'étendre la taille du provisionnement. Puisque nous avons déjà évoqué le mécanisme de mutualisation entre les pools, sachez qu'aux États-Unis, la présence de plusieurs opérateurs nucléaires a permis l'instauration d'un mécanisme tout à fait spécifique, défini par le Price-Anderson Act, de responsabilité conjointe obligatoire entre tous les opérateurs en cas d'accident, si jamais la première tranche – celle de l'opérateur directement impliqué – est dépassée. Ce système permet ainsi aux Américains de disposer d'une capacité de plus de 10 milliards d'euros, soit une somme bien supérieure à celle que l'on pourrait mobiliser en France. Autre exemple : en Allemagne, les quatre opérateurs nucléaires ont depuis peu une responsabilité illimitée – évolution qui s'est accompagnée d'un accroissement des mécanismes d'assurance. Il existe par ailleurs d'autres mécanismes de transfert de risque : ainsi, depuis une vingtaine d'années, les assureurs concernés par les grands risques ont développé des innovations financières afin de pallier les insuffisances de capacité qui s'étaient fait jour sur les marchés de réassurance à la suite de grandes catastrophes naturelles : il existe notamment des obligations-catastrophes pour les ouragans, les tremblements de terre et les risques de mortalité liés à des épidémies. Il vaudrait donc la peine d'aller de l'avant en recourant à ce type d'innovations. Il serait certes complexe, mais pas impossible, d'élaborer des obligations nucléaires, sachant par exemple que les agences de notation spécialisées sont capables de calculer le prix de provisionnement d'un risque de grand tremblement de terre en Californie et de déterminer le pourcentage à additionner au taux de base de telle sorte que les investisseurs acceptent de financer pendant plusieurs années des obligations-catastrophes. Encore faut-il que les acteurs aient la volonté d'innover car les conventions internationales, en limitant la responsabilité de leurs clients, limitent de ce fait la tâche des assureurs et des réassureurs qui ne sont guère incités à améliorer leur capacité d'indemnisation ni à connaître le prix du risque d'assurance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion