L'énergie finale est l'énergie livrée aux consommateurs, qu'ils soient particuliers ou industriels. Pour produire cette énergie, il a fallu au préalable transformer des énergies primaires, qui peuvent être importées ou produites sur le territoire national. La différence entre énergie primaire et énergie finale tient à la consommation d'énergie liée à cette transformation.
La trajectoire de réduction par deux de la consommation d'énergie repose sur deux secteurs : le bâtiment et les transports.
Dans le premier, nous supposons une amélioration des performances énergétiques des bâtiments. Elle passe par une performance accrue des bâtiments neufs rendue possible par l'obligation faite à ces derniers à compter de 2022 d'être des bâtiments à énergie positive. Mais les bâtiments neufs ne représentent qu'une faible part du parc en 2050 dont les deux tiers sont d'ores et déjà construits. En complément, un programme ambitieux de réhabilitation des logements – 500 000 logements par an –, qui a déjà été annoncé, doit donc permettre d'améliorer le stock existant. La réussite de ce programme demande des technologies de rénovation, l'accès au financement pour les ménages, et de la formation. Mais l'objectif nous semble réaliste. En matière de logement, la demande passerait ainsi de 44 millions de tonnes d'équivalent pétrole en 2010 à 21 en 2050 et 32 en 2030, sans baisse du confort et de la température de chauffage. En outre, cet effort de performance énergétique se traduit par la création d'emplois non délocalisables.
Dans le second secteur, plusieurs pistes permettent d'atteindre l'objectif d'une diminution de la consommation d'énergie : premièrement, l'amélioration des véhicules thermiques ou hybrides, à tout le moins de la chaîne thermique des véhicules, d'une part et le développement du véhicule électrique, d'autre part, deux domaines dans lesquels les progrès des constructeurs français sont encourageants. Dans notre vision, la part du véhicule électrique reste limitée : elle ne représente que 4 % du parc en 2030 pour devenir plus importante en 2050.
D'une manière générale, notre scénario n'est bâti sur aucune rupture technologique, quel que soit le secteur. Il ne tient pas compte des technologies dont la commercialisation n'est pas proche : nous n'avons ainsi pas envisagé, bien que nous soutenions les recherches dans ce domaine, le captage et le stockage du CO2 ou encore l'utilisation de l'hydrogène.
Pour en revenir au secteur des transports, nous parions également sur le déploiement des nouveaux services de mobilité. Alors qu'ils n'étaient pas pris au sérieux il y a quelques années, nous constatons que ces services – le covoiturage, l'autopartage – rencontrent un succès certain auprès des consommateurs pour des raisons pratiques et de coût. La France est très en avance dans ce domaine, avec des entreprises comme Bolloré ou BlaBlaCar, première société de covoiturage à l'échelle européenne. Nous avons donc imaginé que ces services représenteraient en 2050 une part significative. Les véhicules adaptés à l'usage urbain permettent de réduire considérablement les consommations : une voiture en libre-service consomme 7 kilowattheures aux cent kilomètres contre 30 pour une berline électrifiée.
En revanche, nous n'attendons pas de gains très importants dans le secteur industriel. Nous avons identifié des gisements d'économies d'énergie grâce à l'optimisation des procédés industriels mais nous ne prévoyons pas de réduction de la part des industries grosses consommatrices d'énergie ou des industries manufacturières dans la valeur ajoutée.
Je précise que cet exercice est fondé sur l'hypothèse d'un taux de croissance de 1,7 % par an, retenue par le commissariat général à la stratégie et à la prospective. Ce choix nous permet de démontrer qu'il est possible d'atteindre l'objectif du « facteur 4 » sans recourir à la décroissance.
Pour l'agriculture, nous avons supposé que les pratiques agricoles permettaient de réduire les émissions des autres gaz à effet de serre sans pour autant atteindre le « facteur 4 ».
J'ai omis de dire que la consommation d'électricité finale passe de 37,7 millions de tonnes d'équivalent pétrole en 2010 à 32,4 en 2030, soit une réduction de 14 % quand la consommation globale d'énergie diminue de 18,5 %. L'électricité voit donc sa part relative augmenter, notamment dans le secteur des transports et du tertiaire.
Nous avons évalué le concours des énergies renouvelables à la production d'électricité décarbonée. En 2030, le mix électrique est composé de la manière suivante : l'éolien représente 7,2 millions de tonnes d'équivalent pétrole, dont 34 gigawatts d'éolien terrestre et 12 d'éolien offshore ; le photovoltaïque, 33 gigawatts dont 8 à 10 pour l'exploitation décentralisée – sur le toit de petits bâtiments – et 23 à 25 pour l'exploitation centralisée – une partie sur les toits de surfaces commerciales et une partie limitée de centrales au sol, 12 gigawatts ; l'hydraulique produit 38 térawattheures au fil de l'eau, grâce à une amélioration des performances des sites existants, et 7 gigawatts pour le stockage, contre 5,4 actuellement, sans envisager un stockage massif supplémentaire ; la contribution des énergies marines et de la biomasse est très faible – nous pensons que la production d'électricité n'est pas la meilleure utilisation de la biomasse. Enfin, 1,7 million de tonnes d'équivalent pétrole de gaz complète ce mix.
Quant à la part du nucléaire, nous avons retenu le chiffre de 50 %, conformément à l'objectif affiché pour 2025, sans nous prononcer sur le devenir du parc, prolongation ou renouvellement.
Notre analyse des besoins en matière de flexibilité nous conduit à envisager une part de 30 % d'électricité renouvelable variable dans le mix électrique en 2030, limite au-delà de laquelle un stockage plus important est nécessaire.
S'agissant des moyens flexibles, nous prévoyons en 2030, 7 gigawatts de stations de pompage et 3 gigawatts de capacité d'effacement, ce qui correspond aux projections de Réseau de transport d'électricité (RTE) pour 2016. Le développement des réseaux électriques intelligents pourrait néanmoins permettre d'aller plus loin en matière d'effacement. Enfin, nous avons évalué les interconnexions à 21 gigawatts, conformément à l'hypothèse de RTE. Nous n'avons donc pas subordonné la part d'électricité variable à des importations au-delà de cette prévision.
Pour 2050, nous avons évalué le niveau de la demande mais nous n'avons pas précisé le mix électrique. Nous avons essayé de déterminer la contribution des énergies renouvelables à l'ensemble du mix énergétique. S'agissant des biocarburants, nous sommes très mesurés compte tenu des surfaces disponibles entre 2030 et 2050. Nous avons estimé la part exploitable en 2050 des gisements éolien et photovoltaïque, les deux énergies renouvelables qui pourraient jouer le rôle le plus important à cet horizon, mais nous n'avons pas fixé la part du nucléaire.
Au-delà de cet exercice technico-économique, nous avons réalisé une analyse macroéconomique pour évaluer l'impact sur les grands agrégats des scénarios. Nous avons travaillé avec l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et un laboratoire de Sciences-Po qui a développé un modèle d'équilibre général, appelé ThreeME. À la différence des visions que je viens de présenter, nous nous appuyons là sur un scénario de référence, en l'occurrence celui élaboré par la direction générale de l'énergie et du climat qui prévoit une stabilité des parts des différentes énergies dans le mix et une relative croissance de la consommation. Nous émettons trois hypothèses sur le mix de 2050 : dans la première, la part du nucléaire demeure à 50 % ; dans la deuxième, en maximisant la contribution des énergies renouvelables pour atteindre une part de 70 %, le nucléaire représentant 18 % ; dans la troisième, la part du nucléaire s'établit à 25 %.
L'évaluation macroéconomique montre, par rapport au scénario de référence, une croissance du PIB légèrement supérieure, à l'horizon 2030, de l'ordre de 1,7, soit une année de croissance supplémentaire, et à l'horizon 2050, de 2,5. On est loin de la décroissance…
En outre, des emplois supplémentaires sont créés, environ 300 000 en 2030 et entre 650 000 et 850 000 en 2050, qui proviennent du secteur du bâtiment et de la production d'énergies renouvelables.
Enfin, le budget des ménages croît de manière importante puisqu'il est multiplié par 1,5 d'ici à 2050. Malgré la facture énergétique et la dette contractée pour financer la rénovation du logement, le revenu disponible progresse.
Le commerce extérieur est moins performant en début de période mais dès que les industries françaises sont installées sur les marchés de la transition énergétique, le solde redevient largement positif par rapport au scénario de référence.