Je m'efforcerai d'être aussi synthétique que possible et de résumer l'essentiel du rapport rendu en février 2012 par la commission « Énergies 2050 ». Cette commission, mise en place par le Gouvernement en octobre 2011 et composée d'une cinquantaine de membres, a auditionné 80 personnes et avait reçu du ministre une feuille de route consistant à s'interroger sur la situation énergétique de la France à l'horizon 2030-2050, en privilégiant l'électricité et en examinant notamment quatre scénarios.
Le premier était une prolongation de quarante à soixante ans du parc nucléaire actuel, sous réserve que l'Autorité de sûreté nucléaire donne son accord, réacteur par réacteur, tous les dix ans. Le deuxième était une accélération du passage à la troisième, voire à la quatrième génération de réacteurs. Le troisième, une réduction progressive de la dimension du parc nucléaire, en arrêtant un réacteur sur deux atteignant l'âge de quarante ans et en le remplaçant par un autre mode de production d'électricité. Le quatrième scénario était une sortie complète du nucléaire par l'arrêt successif de tous les réacteurs atteignant quarante ans.
La commission a examiné les différents scénarios disponibles à l'époque, notamment ceux de l'Union française de l'électricité (UFE), du Réseau de transport de l'électricité (RTE), de l'ADEME, de négaWatt, de Global Chance, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ou d'AREVA, et étudié diverses trajectoires de demande, s'appuyant particulièrement sur le scénario tendanciel de RTE, assez proche du reste de celui de l'UFE. Nous avons choisi des hypothèses de coûts et avons utilisé, pour tester certains des impacts macro-économiques, le modèle NEMESIS de l'École centrale de Paris.
La commission, estimant l'horizon 2050 trop lointain pour formuler des conclusions dans les délais impartis compte tenu des ruptures technologiques possibles, a ramené cet horizon à 2030. Quelle que soit néanmoins l'hypothèse choisie, tous les réacteurs actuels auront cessé de fonctionner en 2050 – qu'ils aient été remplacés ou qu'ils aient simplement été stoppés.
Les principales hypothèses sont d'abord que les énergies fossiles continueront de jouer un rôle important. On a ainsi considéré que le prix du pétrole, déjà élevé lors de la rédaction du rapport – de l'ordre de 80 dollars le baril –, continuerait de monter pour atteindre en 2030 le chiffre de 150 dollars, en monnaie constante de 2011. On a également considéré que le prix du gaz suivrait le prix du pétrole, excluant donc l'idée d'une chute semblable à celle qui est survenue aux États-Unis, ce qui est important car, s'il fallait passer à des centrales thermiques, ces centrales seraient à gaz.
En matière de lutte contre les émissions de CO2, nous avons formulé l'hypothèse optimiste que le prix de la tonne passerait de 13 euros en 2010 à 50 euros en 2030 – nous en sommes loin aujourd'hui, ce prix s'établissant aux alentours de 6 ou 7 euros.
Une hypothèse centrale pour comprendre la suite est que la demande d'électricité va continuer à croître, même si c'est moins vite que le taux de croissance économique. À l'époque, nous avions en effet considéré que la croissance économique serait à nouveau au rendez-vous, avec un taux de 1,5 % à 2 %. La consommation d'énergie primaire pouvait alors être relativement stable et déconnectée de la croissance économique. Nous avons en revanche fait l'hypothèse que la consommation d'électricité croîtrait de 1 % par an, en raison des nouveaux usages de l'électricité susceptibles d'apparaître tant pour les particuliers que pour l'industrie ou pour les transports, notamment avec le véhicule électrique, et de la croissance démographique – alors que l'évolution de la population allemande est plutôt orientée à la baisse, on estime que la population française devrait s'accroître d'environ 6 millions d'habitants d'ici à 2030.
Pour ce qui est des coûts de production de l'électricité, nous avons choisi les chiffres alors retenus par la Cour des comptes pour son rapport remis en janvier 2012 au Premier ministre – elle doit aujourd'hui les réviser, à la demande du Parlement. M. Claude Mandil et moi-même, qui avions besoin de ces chiffres, avons été nommés au groupe d'experts de la Cour des comptes. Pour les substituts au nucléaire, nous avons utilisé les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie, repris du reste dans le rapport de la Cour des comptes. Nous avons ainsi considéré que la production d'électricité augmenterait, passant d'un peu moins de 500 térawatt-heure (TWh) à 600 TWh.
Nous n'avons donc envisagé, je le répète, ni chute du prix du pétrole, ni forte baisse de la demande d'énergie, ni forte baisse technologique, ni prix très bas du CO2. Nous n'avons pas non plus pris en compte, même si nous les avons signalés, des coûts tels que ceux du back-up ou les coûts de réseaux – dont nous savions qu'ils seraient élevés dans tous les cas de figure dans le cadre du marché unique de l'électricité en Europe.
L'évolution du prix de l'électricité est déterminante pour l'ensemble de l'économie française et joue sur la compétitivité. En termes d'emploi, par exemple, on peut considérer que les créations compensent les destructions, même si la structure de l'emploi est différente, mais le coût de l'électricité est un facteur déterminant pour les emplois induits, liés à la compétitivité de l'industrie. Ainsi, une hausse du prix de l'électricité liée aux investissements de substitution aura des effets sur la compétitivité de certaines industries.
Dès lors, le scénario de l'accélération du passage à la troisième génération de réacteurs n'a pas semblé optimal, car le coût de l'EPR est sensiblement supérieur à celui des réacteurs de deuxième génération – le prix du mégawatt-heure (MWh) serait sans doute encore supérieur au chiffre de 75 MWh retenu alors par la Cour des comptes. Nous avons, en outre, considéré que l'industrie française ne serait pas en mesure de construire deux EPR par an pendant dix ans – mais nous n'en avons pas moins intérêt à construire quelques EPR pour maintenir la compétence dans le domaine nucléaire.
Quant à la quatrième génération de réacteurs, elle était de toute façon hors du champ, que nous avons borné à 2030 – ce qui n'exclut pas pour autant de poursuivre l'effort de recherche et de développement en ce sens.
La consommation d'électricité ne devant, par hypothèse, pas diminuer et les substituts au nucléaire étant coûteux, la réduction progressive du parc nucléaire suppose d'investir dans de l'électricité renouvelable ou du thermique gaz. La prolongation du parc actuel semble donc la solution la moins coûteuse des trois – ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle ne soit pas coûteuse car, outre l'autorisation nécessaire de l'Autorité de sûreté nucléaire, il faut prendre en compte les investissements de jouvence, estimés à l'époque à 55 milliards d'euros et dont la Cour des comptes doit désormais déterminer s'ils ne coûteront finalement pas plus cher.
Dans le scénario tendanciel, le nucléaire, légèrement réduit, restait autour de 70 %, car l'arrêt de réacteurs qui fonctionnent lorsque la demande continue à croître revient à une destruction de valeur économique. C'est du reste ce que nous avons fait avec le gaz, en arrêtant des centrales à cycle combiné dans lesquelles nous avions beaucoup investi. Le président de GDF-Suez a ainsi annoncé qu'il avait provisionné une somme correspondant à des investissements qui ne sont plus rentabilisés dans le contexte économique actuel.
Dans la plupart des scénarios, la sortie du nucléaire se traduit par un besoin important d'investissement, ce qui pèsera sur le prix de l'électricité. Le rapport, plus nuancé et moins unilatéral que certains ne l'ont dit, souligne néanmoins que « seule une très forte baisse de la consommation énergétique pourrait, si elle était réalisable, nuancer cette conclusion et inverser la tendance ».
Enfin, la prolongation de la durée de vie du parc actuel paraissait la moins mauvaise – ou la meilleure – solution, sous la condition absolue qu'elle soit autorisée par l'Autorité de sûreté nucléaire et que les investissements de jouvence soient réalisés.