Je tiens à préciser que j'ai travaillé plusieurs années sur les comparaisons des prospectives énergétiques et soutenu une thèse sur ce sujet devant un jury présidé M. Percebois, de sorte qu'il n'y a pas d'incompatibilité absolue entre nos travaux.
Ayant entendu l'audition de ce matin, il me semble utile de souligner certains points qui dépassent le cadre de l'exercice « Énergies 2050 » dont il est ici question.
Mon intervention traitera de la demande, puis de l'offre, dans le domaine nucléaire.
Pour ce qui concerne tout d'abord la demande, souvent évoquée comme étant une question compliquée et comme moins importante que l'offre, je tiens à souligner que, selon l'Agence internationale de l'énergie – dont M. Mandil a été directeur –, la réalisation des objectifs fixés pour 2050 suppose que la moitié des efforts soient consacrés à l'efficacité énergétique. Les économies d'énergie ont commencé en Europe dès 1975 et ce n'est pas parce que certains ne découvrent qu'aujourd'hui l'efficacité énergétique que nous n'avons pas d'expérience en la matière – notamment sur le plan industriel ou en matière de financement.
L'exercice européen Odyssée indique que les économies d'énergie cumulées réalisées par l'Europe des vingt-sept de 1990 à 2010 représentent 2 700 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), soit 277 millions de TEP pour l'année 2010, ou 24 % de la consommation d'énergie finale, à comparer aux 24 % que représente également la part de l'électricité dans la consommation d'énergie finale. Le nucléaire représente un tiers de ce chiffre à l'échelle européenne. En France, où il compte pour 65 % de la consommation – et 75 % de la production –, on atteindrait à peu près le niveau des économies d'énergie réalisées. Or, tandis que l'on consacre des rapports de 400 pages au nucléaire, on évacue en trois pages la question de l'efficacité énergétique. Celle-ci est pourtant fondamentale pour toute la transition énergétique. Si en effet la consommation d'énergie diminue de moitié, conformément à l'objectif fixé par le Président de la République, tous les problèmes liés au climat et à la sécurité énergétique, ainsi que tous les risques, diminuent de façon pratiquement proportionnelle. On voit bien du reste que, si l'essentiel des économies d'énergie réalisées en Europe l'ont été dans l'industrie, des économies importantes l'ont aussi été dans le résidentiel et dans le secteur tertiaire.
Je ne saurais trop insister sur les objectifs de réduction de 20 % sur lesquels la France s'est engagée pour 2020 en termes tant de climat que d'intensité énergétique – laquelle se définit, je le rappelle, comme le rapport entre la consommation d'énergie et le produit intérieur brut (PIB). Il convient en effet d'éliminer les scénarios qui ne correspondent pas à ces engagements. Des objectifs de baisse de l'ordre de 30 % en 2030 ne sont, à cet égard, pas forcément extravagants.
L'hypothèse de doublement de la consommation d'électricité tous les dix ans, qui était la loi dans les années 70, est radicalement fausse : ce doublement n'a jamais eu lieu et la progression de la consommation d'électricité de la France entre 1970 et 2006 a été strictement linéaire. De fait, certaines hypothèses de pourcentage adoptées dans les études prospectives sont démenties par la réalité. Il n'y a pas d'exponentielle et la consommation d'électricité est à peu près stabilisée depuis 2006.
Pour ce qui est du potentiel d'économies d'électricité, qui est au centre du rapport de la commission « Énergies 2050 », les courbes de variation de la consommation d'électricité spécifique par habitant, hors chauffage – comportant donc l'électroménager, l'éclairage, l'audiovisuel et l'informatique – font apparaître les mêmes valeurs en France et en Allemagne entre 1990 et 2000. À partir de 2000, l'Allemagne commence à stabiliser sa consommation d'électricité spécifique par habitant dans le logement, tandis que la courbe de la consommation française continue d'évoluer de façon quasi linéaire. En 2010, la différence de la consommation par habitant est de 15 % et de 27 % par ménage. Il faut aussi préciser qu'en France, les deux-tiers de la consommation d'électricité sont liés aux bâtiments, l'industrie représentant moins d'un tiers de la consommation. C'est donc dans les bâtiments que se trouve le potentiel d'économies d'énergie. En outre, les deux tiers de ces deux tiers, soit moins de la moitié de la consommation française d'électricité, correspondent à des usages spécifiques de l'électricité. Fixer un objectif raisonnable d'économie de l'ordre de 15 % n'a donc rien de scandaleux.
En Allemagne, l'augmentation des émissions de CO2 tient non pas à la sortie du nucléaire, mais au fait que l'exploitation du gaz de schiste américain a tellement fait baisser le prix du charbon que les producteurs allemands d'électricité recourent désormais à ce combustible. Peut-être donc a-t-on eu tort de supprimer la loi européenne qui avait longtemps interdit les centrales au charbon.
Les échanges d'électricité entre la France et l'Allemagne, déficitaires pour la France jusqu'à 2010, connaissent une inversion pour la seule année 2011, avant d'accuser à nouveau un important déficit en 2012 et en 2013. Il importe donc de tenir compte des exportations d'électricité dans les scénarios envisagés.