Je vous remercie de votre travail, monsieur le directeur général. Dès lors que l'ASN comme l'IRSN estiment qu'un accident nucléaire est possible en France, la meilleure chose à faire est évidemment de l'empêcher, mais il faut aussi en mesurer les impacts éventuels.
La probabilité d'un tel accident, avez-vous déclaré, est très faible. On a l'habitude d'entendre que le risque de fusion du coeur équivaut à 1x10-5 par année-réacteur ; or ce sont 3 480 de ces années qu'il faut prendre en compte si l'on fait fonctionner les cinquante-huit réacteurs français pendant soixante ans, comme le souhaite EDF ; si bien que le risque atteint alors près de 3,5 %. Par ailleurs, un certain Jacques Repussard n'a-t-il pas déclaré au journal Le Monde, après Fukushima, qu'au vu des accidents déjà intervenus, la sous-évaluation atteignait sans doute un facteur 20 ? Afin de n'effrayer personne, je me garderai de multiplier 3,5 % par ce facteur mais, au-delà de la vérité des chiffres, on a le sentiment que la probabilité n'est pas aussi infime qu'on le dit.
Quant aux coûts, vous avez montré qu'ils sont liés aux interactions possibles dans nos sociétés complexes. C'est ce qui explique la difficulté des évaluations, d'autant que le facteur météorologique est loin d'être négligeable : lors de la catastrophe de Fukushima, le vent, heureusement pour les Japonais, avait soufflé non pas vers Tokyo, mais vers la mer ; dans le cas contraire, les conséquences humaines, environnementales et économiques eussent été bien plus lourdes. Or, sauf erreur de ma part, le rapport de la Cour des comptes fait état, pour les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, de factures comprises entre 600 et 1 000 milliards. Les ordres de grandeur ne sont donc pas très éloignés de vos propres projections. J'imagine, par exemple, que vos scénarios ne décrivent pas des accidents survenus à proximité des grandes agglomérations – auquel cas le coût se situerait plutôt dans le haut de la fourchette.
Il ne s'agit pas d'agiter des chiffres pour faire peur, mais de mettre en lumière certaines carences du système assurantiel français, dérogatoire en matière de risques nucléaires. Cela peut se justifier au regard de la nature de ces risques, mais le fait que la collectivité assume les conséquences financières d'un accident représente une forme de subvention au profit du nucléaire : cela mérite à tout le moins une évaluation, notamment dans le cadre de notre commission d'enquête, ne serait-ce que pour comparer les énergies entre elles et leurs coûts respectifs pour la collectivité.
Aux dires des assureurs, il faudrait, pour calculer la prime annuelle, multiplier le coût d'un accident – de 120 à 450 milliards d'euros, donc – par la probabilité que celui-ci survienne, selon le chiffre que j'indiquais tout à l'heure, et tenir compte, éventuellement, d'un autre facteur touchant à la disponibilité des sommes. Quel est votre sentiment sur ce point, sachant qu'aujourd'hui, les exploitants ne sont responsables qu'à hauteur de 91,5 millions d'euros ? Il est question de porter ce chiffre à 700 millions lors de la révision de la Convention de Paris, mais la différence avec les ordres de grandeur que vous avez mentionnés resterait encore d'un facteur 1 000 : même si l'ensemble du coût ne peut être couvert, une telle disproportion laisse un reste à charge considérable pour l'État. Ce coût, dont on espère évidemment qu'il demeure théorique, figure d'ailleurs parmi les comptes « hors bilan » pointés il y a quelques mois dans un rapport de la Cour des comptes.
Je me permets également de vous poser, une nouvelle fois, les questions que je vous ai posées hier lors de notre déjeuner de travail. La loi de transition énergétique entérinera peut-être la révision de la Convention de Paris quant à l'augmentation du plafond de responsabilité de 91,5 à 700 millions d'euros. La loi peut-elle fixer un plafond plus élevé ? Que dit exactement la Convention de Paris à ce sujet ?
En cas d'accident touchant des centrales situées non loin des frontières, les conséquences pourraient concerner d'autres pays – ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes pour la gestion des risques. Comment, alors, envisager les questions d'indemnisation ? Y a-t-il des risques de contentieux juridiques avec des pays voisins, dont certains ont décidé d'arrêter le nucléaire parce qu'ils l'estiment dangereux ?
Quid, enfin, de l'indemnisation des particuliers, sachant que les contrats d'assurance excluent le risque radiologique ? En d'autres termes, si des logements deviennent inhabitables à la suite d'un accident nucléaire, leurs occupants ne seront pas indemnisés. Le droit japonais n'avait rien prévu non plus pour les populations qui ont dû être déplacées suite à l'accident de Fukushima. Une procédure spécifique, déclenchée par l'État, existe pour les risques de catastrophe naturelle ; elle permet d'indemniser les victimes à des niveaux et dans des délais raisonnables. Ne pourrait-on s'en inspirer pour les catastrophes nucléaires ?