Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 10 avril 2014 à 12h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Bernard Bigot, administrateur général du CEA :

Je vous remercie de me proposer de vous faire la partager la vision qu'a le CEA du réacteur de quatrième génération.

La technologie des réacteurs à neutrons thermiques ne permettant d'utiliser que 0,6 % du contenu énergétique de l'uranium naturel extrait du sous-sol, la technique retenue pour les réacteurs français est d'enrichir l'uranium. On parvient de la sorte à 5 % de matière fissile – l'uranium 235 –, et l'on constitue ainsi un combustible dégageant la chaleur qui est à la base du cycle de production d'électricité. Mais ce combustible s'empoisonne progressivement et, au-delà de 4 à 5 % de la transformation de la matière, il ne permet plus l'indispensable réaction nucléaire en chaîne. Il convient alors d'extraire du réacteur le combustible usé, composé pour quelque 95 % d'uranium 235 et 238 en proportion variable, dont l'isotopie est supérieure à l'isotopie naturelle, pour environ 1 % de plutonium et, pour le reste, de produits de fission.

Ensuite, deux stratégies sont possibles : l'une consiste à stocker, avec un soin tout particulier, le combustible usé, pendant des périodes extrêmement longues puisque la radioactivité artificielle introduite par l'usage de ce combustible est, lorsque celui-ci sort du réacteur, de cent mille à un million de fois plus forte que la radioactivité naturelle qui a présidé à sa formation. C'est notamment le cas pour le plutonium, caractérisé par sa très longue décroissance radioactive, sa forte radiotoxicité et aussi sa criticité, autrement dit le risque de déclenchement spontané d'une réaction nucléaire en chaîne si une certaine quantité de cette matière est réunie dans un volume limité. Le choix de cette stratégie impose donc de prendre toutes les précautions nécessaires pour confiner ces déchets pour un temps très long, et dans des quantités qui ne permettront pas le démarrage spontané d'une réaction nucléaire en chaîne.

La deuxième voie possible est de traiter ce combustible usé en le dissolvant pour dissocier l'uranium non consommé, le plutonium et les produits de fission. Ces derniers n'ont plus de potentiel énergétique et leur décroissance radioactive est relativement rapide : au bout de cinq cents ans, leur niveau de radioactivité est revenu au même niveau que celui du combustible initial. Cette piste semble attractive : en séparant le plutonium – 1 % du combustible usé – des actinides mineurs, on diminue considérablement le temps de confinement nécessaire et l'on prévient tout risque de criticité. C'est le modèle des réacteurs de quatrième génération. Pour prévenir toute incompréhension, je signale d'emblée qu'il n'y a pas nécessairement substitution des réacteurs de quatrième génération aux réacteurs de la troisième génération ; j'expliquerai pourquoi ils doivent fonctionner en parallèle.

Tel est le scénario que le CEA vise à exploiter : construire le prototype d'un réacteur de quatrième génération à neutrons rapides, capable de multi-recycler l'uranium et le plutonium et de consommer, non seulement l'uranium 235 mais aussi l'uranium 238. Dans le combustible composé d'un mélange d'uranium et de plutonium, on commencera par fissionner le plutonium, ce qui permettra l'émission de neutrons qui, capturés par l'uranium 238, le transformeront à son tour en plutonium, régénérant ainsi la matière consommée. Ce mécanisme permettra d'utiliser non plus 0,6 % du contenu énergétique de l'uranium naturel extrait du sous-sol mais bien davantage : on peut espérer au moins 100 fois cela, soit 60 %, sinon davantage.

La donne est alors complètement changée. On estime que les réserves mondiales d'uranium naturel qui peuvent être extraites du sous-sol permettent de couvrir les besoins pendant deux cents ans dans les conditions d'exploitation actuelles. En utilisant l'uranium au centuple de ce à quoi l'on parvient en ce moment, on modifie radicalement les perspectives, le matériau naturel permettant alors de couvrir l'exploitation pendant vingt mille ans.

La démonstration de la faisabilité scientifique du multi-recyclage ayant été faite, le moteur de la recherche est d'apporter la démonstration de la faisabilité industrielle du réacteur ; c'est ce qui explique l'idée d'un démonstrateur technologique.

Lorsque le CEA a été chargé par la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs du 28 juin 2006 d'explorer la piste d'un réacteur de quatrième génération à neutrons rapides, plusieurs options technologiques se sont ouvertes, dont celles que vous avez citées : des réacteurs à sodium, à hélium, au plomb ou à sels fondus. Si l'on ne veut pas ralentir la réaction en chaîne, le caloporteur choisi doit être transparent aux neutrons. Étant donné l'expertise acquise en France et ailleurs, tous les pays – Russie, Inde, Chine et Japon notamment – qui, visant le multi-recyclage du plutonium, ont l'intention de mettre en oeuvre au cours de ce siècle la technologie des réacteurs à neutrons rapides ont choisi pour caloporteur le sodium, le métal qui présente les plus grands avantages en termes de faisabilité technologique. Lors du forum international Génération IV, l'option du réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium est apparue la plus prometteuse. Elle présente des avantages et aussi des risques, mais ces risques peuvent être maîtrisés.

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