Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 10 avril 2014 à 12h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Bernard Bigot, administrateur général du CEA :

Si, après un retour d'expérience de plusieurs décennies, nous avons atteint un niveau de sûreté satisfaisant, celui des critères les plus exigeants pour l'ensemble des acteurs et pour la population, pourquoi me donnerai-je pour objectif d'aller encore plus loin, handicapant ainsi le développement en question ? Si déjà la démonstration claire est faite que le premier réacteur de quatrième génération a le même niveau de sûreté que celui que j'évoque et qu'il est capable de satisfaire les exigences de sûreté les plus élevées, je ne sais pas ce que signifie « plus de sûreté » que cela.

Nous devons engager avec l'ASN un dialogue sur ce point depuis plusieurs années, mais plusieurs réunions ont été programmées qui n'ont pas eu lieu. Vous me demandez abruptement si je suis d'accord ou non avec l'ASN, mais une déclaration aimable devant votre commission ne constitue pas un débat scientifique approfondi. L'exigence que je donne à mes équipes, c'est le même niveau de sûreté que celui qui a été atteint pour les réacteurs de troisième génération et que je considère comme l'optimum – et je ne vois pas ce qu'il y a de mieux que l'optimum. De plus, nous disposons de plusieurs atouts. Le premier, je vous l'ai dit, est l'absence de surpression. Le deuxième est une inertie thermique considérable, qui donne des temps longs pour réagir. Ensuite, le nouveau réacteur est conçu comme l'EPR, avec l'acceptation que, dans les cas les plus extrêmes, il peut y avoir fusion du coeur – et dans ce cas, les matières seront confinées à l'intérieur d'une enceinte.

Il est vrai que, le sodium n'étant pas transparent à la lumière visible, la question se pose de l'inspection dans le réacteur en service. Pour cette raison, nous développons avec nos partenaires industriels une technique d'observation du bain de sodium chaud utilisant des ultrasons et d'autres moyens – comme, en médecine, le progrès scientifique a permis la conception de techniques non invasives, telle que l'utilisation de la fibre optique, pour parcourir le corps humain. C'est le genre de progrès technique majeur sur lequel nous sommes mobilisés.

À cet égard, quand l'aspect financier du projet a été évoqué, chacun aura compris que son coût ne s'explique pas seulement par des dessins : nous devons faire des recherches approfondies pour qualifier les indispensables outils de diagnostic, d'observation et de réparabilité. Nous avons ainsi mis au point et breveté un coeur « auto-sûr ». Dans le nouveau réacteur, le sodium lèche la gaine du combustible ; un « point chaud » peut se former, entraînant la vaporisation locale du sodium, dite « effet de vide sodium ». Alors que le refroidissement doit toujours être assuré, s'il n'y a plus de sodium liquide au contact de la gaine, une spirale s'enclenche et la température ne peut que croître. Ce scénario peut aboutir à une fusion locale de la gaine. Aussi avons-nous conçu un nouveau modèle de coeur qui prévient ce risque : si un tel phénomène se produisait, la réaction s'étoufferait d'elle-même.

Ce progrès technique majeur aboutit à une amélioration substantielle – et, sur ce point, je rejoins l'ASN – par rapport aux réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium qui ont fonctionné jusqu'à ce jour. L'enjeu de l'innovation est bien une amélioration par rapport à la situation actuelle ; pour autant, je ne sais pas ce qu'est la « sûreté améliorée ». Selon moi, la sûreté repose sur deux piliers. Le premier est la conception, qui doit être la plus robuste – et notre vision, j'y insiste, est que, quels que soient les événements, il n'y aura pas de radioactivité à l'extérieur. Le deuxième, c'est l'organisation, la culture de la sûreté, l'information et l'expertise des opérateurs, ce qui nous a conduits à concevoir le nouveau réacteur de la manière la plus ergonomique possible. En particulier, la radioactivité que les opérateurs travaillant dans la centrale seront susceptibles de recevoir sur le site de ces nouveaux réacteurs sera inférieure à celle d'aujourd'hui. Sur ce point, je veux bien entendre qu'il y a amélioration de la sûreté.

Mais je ne veux pas laisser accroire que le réacteur de quatrième génération permettrait d'éviter tout type d'accident. Le risque d'accident existe toujours, il faut en avoir conscience – et il est sain d'en être conscient, car cela entretient la vigilance et la mobilisation nécessaire pour que soient rigoureusement respectées les règles de fonctionnement des réacteurs.

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