Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 10 avril 2014 à 12h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Bernard Bigot, administrateur général du CEA :

Nous sommes les premiers conscients que l'on ne décide pas la construction de réacteurs nucléaire à la légère mais parce que c'est une nécessité. Dans un monde qui dépend à plus de 80 % d'énergies fossiles, l'énergie nucléaire sera nécessaire, complémentaire des énergies renouvelables. Celles-ci ont assuré les besoins d'énergie de l'humanité pendant des millénaires. Aussi longtemps que la population mondiale était inférieure à un milliard d'hommes vivant de manière dispersée selon des modes essentiellement agricoles, elle pouvait dépendre uniquement d'énergies renouvelables, diffuses et intermittentes. Dans un monde industrialisé qui comptera sous peu 9 milliards d'êtres humains aux fortes attentes en termes de conditions de vie, les énergies renouvelables à elles seules ne suffiront pas. Sauf révolution scientifique majeure qui nous rendrait capables de stocker l'énergie solaire, nous aurons toujours besoin d'une capacité de production continue et massive d'énergie. Le choix est alors entre énergie nucléaire et énergies fossiles. Étant donné le caractère fini des ressources fossiles et l'impact sur l'environnement et sur la santé de leur utilisation massive, le nucléaire est une nécessité – mais il faut faire les choses bien, ce qui signifie aller jusqu'au démantèlement et pouvoir rendre l'espace occupé par les sites nucléaires à des usages alternatifs dans les meilleures conditions.

Le CEA dépense quelque 650 millions d'euros chaque année au démantèlement de ses installations, et continuera de le faire pendant vingt ans. Le parc nucléaire français existant devra être démantelé ; il faut optimiser les techniques de démantèlement et d'assainissement. Cela suppose, avant toute chose, de diagnostiquer en quels lieux se trouve la radioactivité majeure à traiter et quelles sont les zones de radioactivité réduite qui ne posent pas de problème, car il faut trier les déchets pour ne plus traiter les matériaux usés les moins radioactifs comme doivent l'être les déchets à haute activité et à vie longue. C'est l'objet des logiciels que nous développons avec nos partenaires industriels : mieux caractériser, dès le début, là où il faut intervenir avec un haut degré de protection radiologique et là où on peut le faire dans d'autres conditions. C'est un enjeu très fort, qui nous mobilise.

Le rapport coûtavantage du nucléaire est clair. Une fois qu'un réacteur est conçu et construit, ses coûts de fonctionnement – y compris le stockage des déchets usés, le démantèlement et l'assainissement – représentent une faible fraction du coût de l'électricité. Le rapport 2012 de la Cour des comptes, confirmé par celui qui est en cours d'élaboration à votre demande et sur lequel j'ai rédigé les observations que l'on m'invitait à faire, montre que l'on est dans une fourchette comprise entre 10 et 15 % du coût associé à l'exploitation et à la gestion. Même si le prix du combustible venait à doubler, sa part dans le coût demeurerait relativement modeste. Il n'existe pas beaucoup d'installations capables de produire de l'énergie pendant soixante ans. C'est que les réacteurs nucléaires contiennent peu de pièces mécaniques en mouvement et que celles-là sont remplaçables ; il n'y a donc pas d'usure rapide. L'essentiel de l'installation, c'est la cuve en acier, objet, dans un réacteur à caloporteur sodium, d'effet thermique et d'un bombardement neutronique qui déplace chacun des milliards d'atomes une dizaine de fois par an. La redistribution incessante de l'organisation de l'acier ainsi provoquée induit, au bout d'un certain temps, une fragilité croissante, mais nous avons les moyens de la détecter, de l'observer et donc de garantir la sûreté.

Il y a donc un coût intrinsèque avantageux à l'énergie nucléaire, et ce n'est pas sans raison que des pays qui ont peu de ressources fossiles ou dont l'usage des ressources fossiles perturbe profondément l'environnement investissent fortement dans le nucléaire. C'est le cas de la Chine, de l'Inde, de la Russie et du Brésil, mais aussi des États-Unis qui, même s'ils extraient du gaz de schiste, ne veulent pas perdre la maîtrise de la technologie nucléaire, dont M. Moniz, secrétaire d'État à l'énergie, sait qu'ils pourront avoir besoin. L'énergie d'origine nucléaire présente un avantage compétitif réel si la sûreté est assurée de manière crédible.

Enfin, le nucléaire est une industrie qui se planifie. En 2050, les cinquante-huit réacteurs du parc nucléaire français existant ne seront plus en usage : outre qu'ils auront fonctionné de cinquante à soixante ans, ce sont des réacteurs de deuxième génération qui ne sont pas à l'optimum de la sûreté telle que je l'envisage pour les réacteurs de troisième et de quatrième génération. Et même si nous avons pour objectif que l'électricité que nous consommons ne soit plus alors que pour moitié d'origine nucléaire, je ne vois pas comment nous pourrons faire avec moins de trente-cinq réacteurs. La logique commande de planifier la substitution progressive des réacteurs existants par des réacteurs nouveaux, en couplant la programmation des ouvertures et des fermetures pour préserver la capacité de production, et les avantages économiques et de sûreté d'approvisionnement énergétique qui lui sont associés.

Voilà pourquoi il faut s'engager fermement dans la réalisation d'un démonstrateur technologique de quatrième génération : on pourra alors faire la démonstration que l'on est capable, avec une sûreté comparable, de fermer le cycle ancien sans aller vers de nouveaux équipements en laissant cette hypothèque ouverte.

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