Monsieur le président, je vous remercie de donner à EDF l'occasion de s'exprimer sur le sujet important de la commercialisation de l'électricité d'origine nucléaire en France, c'est-à-dire sur les conditions de vente de cette électricité en référence à son coût de production.
La première question que j'évoquerai est celle du prix auquel l'exploitant d'un parc nucléaire doit commercialiser l'électricité produite par ses centrales pour couvrir ses coûts sur la durée de fonctionnement de celles-ci.
Les coûts à couvrir entrent dans quatre catégories : les coûts liés à l'investissement initial dans la construction du parc de centrales, les coûts d'exploitation correspondant aux dépenses courantes de fonctionnement du parc, les coûts d'investissement de maintenance réalisés pour assurer une bonne performance de l'outil de production au plan de la sûreté et de la disponibilité et pour permettre un allongement de la durée de fonctionnement des centrales, enfin les coûts liés à la gestion à long terme des déchets et au démantèlement des centrales.
Selon l'approche dite « économique », la formule de prix prévoit, au-delà de la couverture des coûts annuels, la récupération de l'investissement initial dans la construction du parc, c'est-à-dire le remboursement et la rémunération des apporteurs de capitaux, à travers un loyer constant en monnaie constante, c'est-à-dire évoluant comme l'inflation. En d'autres termes, le prix de commercialisation de l'électricité produite est calé sur le « coût économique complet » du parc – on parle aussi de « coût complet économique » ou de « coût courant économique ».
Cette approche est celle qui prévalait en France, avant l'ouverture à la concurrence, pour fixer les prix de vente de l'électricité au client final – dits « tarifs réglementés de vente » : les tarifs étaient calés sur les « coûts marginaux de long terme ».
C'est également cette approche qui a sous-tendu le raisonnement du législateur au cours de la préparation et du vote de la loi du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité, dite loi « NOME » : d'une part, le représentant du Gouvernement de l'époque avait tenu à préciser durant les débats que seraient pris en considération « l'ensemble des coûts à valeur économique, et non pas simplement à valeur comptable » ; d'autre part, la loi elle-même fait référence aux « conditions économiques » de la production nucléaire.
Une politique de commercialisation de l'électricité nucléaire fixant le prix de celle-ci au niveau du coût économique complet du parc permet d'offrir au consommateur de la stabilité, en même temps qu'elle assure à l'opérateur la couverture des coûts dans la durée.
En janvier 2012, la Cour des Comptes a évalué le coût économique complet du parc actuel à 54 euros de 2010 par mégawattheure (MWh), en moyenne, sur la période 2011-2025 visée par la loi NOME – soit un niveau très en deçà du coût de développement de n'importe quel nouveau moyen de production.
Dans les faits, le prix de commercialisation de l'électricité nucléaire française, tel qu'il apparaît au travers des tarifs réglementés de vente, est toutefois inférieur au coût économique complet depuis le milieu des années 90 – époque à laquelle ont été pratiquées des baisses de prix assez brutales. Il est clair que cela participe largement à la situation de free cash flow (flux de trésorerie disponible) négatif que connaît le groupe EDF depuis que les investissements ont repris – ceux-ci ayant beaucoup augmenté entre 2011 et 2013.
En outre, ce sera mon deuxième point, le prix de commercialisation de l'électricité nucléaire est appelé à jouer un rôle clé sur le marché et pour EDF d'ici à 2025, du fait de la loi NOME.
Celle-ci, adoptée à la fin 2010 dans le but de concilier le développement de la concurrence induit par l'appartenance de la France au marché européen avec le maintien pour le consommateur français de l'avantage que constitue la compétitivité du parc nucléaire national, fait obligation à EDF de fournir un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique (ARENH) produite par ce dernier. Aux termes de la loi, tout fournisseur peut obtenir des volumes d'électricité nucléaire à un prix régulé pour approvisionner ses consommateurs finals, dans une proportion égale à « ce que représente la part de la production des centrales […] dans la consommation totale des consommateurs finals ». Le dispositif doit être décliné au travers de deux décrets : l'un, qui fixe les modalités d'accès à l'ARENH, a été publié le 28 avril 2011 ; l'autre, qui doit permettre de déterminer le prix de l'ARENH, est encore en discussion.
Le champ d'application de ce dispositif est très large. Aujourd'hui, EDF commercialise la plus grande partie de son électricité – 304 térawattheures (TWh) – via le tarif réglementé de vente, les entreprises locales de distribution d'électricité (ELD) disposant d'un contrat aux tarifs de cession pour un volume de 18 TWh. En 2013, la répartition de ce volume de 304 TWh était le suivant : 183 TWh destinés aux clients résidentiels et aux petits professionnels facturés au tarif bleu, 41 TWh pour les PME-PMI facturées au tarif jaune, et 80 TWh pour les gros industriels facturés au tarif vert. EDF réalise également des ventes sur offre de marché pour un volume de 55 TWh, ainsi que des ventes d'ARENH à ses concurrents pour 64 TWh.
Pour que la concurrence ne soit pas biaisée, EDF s'impose de construire ses offres d'électricité sur le marché en utilisant les mêmes règles d'attribution et de prix d'ARENH que celles appliquées aux autres fournisseurs, et en complétant, comme ses concurrents, les droits au nucléaire par l'achat de compléments aux prix de marché en vigueur. Nous faisons donc comme les fournisseurs alternatifs : il s'agit d'une obligation à la fois économique et réglementaire.
La loi NOME dispose, en outre, que les tarifs réglementés de vente aux clients résidentiels – le tarif bleu – seront construits au plus tard au 31 décembre 2015 par empilement, c'est-à-dire par « addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale » ; il n'y aura donc plus de risque d'effet de ciseaux. Quant aux tarifs jaune et vert, ils seront supprimés au 1er janvier 2016, ce qui conduira les consommateurs concernés à souscrire chez le fournisseur de leur choix une offre de marché. Ainsi, à l'horizon 2016, tous les consommateurs finals en France, qu'ils restent au tarif réglementé ou qu'ils souscrivent une offre de marché chez EDF ou chez l'un de ses concurrents, bénéficieront de volumes d'ARENH représentant globalement 75 % de la consommation française.
En conséquence, une très large part de la production nucléaire historique d'EDF sera vendue au prix de l'ARENH, qui sera directeur pour les recettes. Sa fixation est donc un enjeu majeur. Ce prix constituera toutefois un maximum pour EDF, car acheter du nucléaire historique est pour les fournisseurs, non pas une obligation, mais une option, intéressante seulement si le prix de l'ARENH est inférieur à celui du marché. Quand la loi a été conçue, on ne pensait pas que la situation contraire pourrait arriver – et pourtant !
Troisième point, la loi NOME donne des indications sur le niveau auquel le prix de l'ARENH doit être fixé. Elle précise ainsi que l'accès régulé est consenti « à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation de ses centrales nucléaires ». Cette formulation a été explicitée par le représentant du Gouvernement, Benoist Apparu, le 28 septembre 2010, lors de l'examen du projet de loi par le Sénat : « Dans l'esprit du Gouvernement, conformément d'ailleurs à l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi, c'est bien l'ensemble des coûts à valeur économique, et non pas simplement à valeur comptable, qui seront pris en considération », a-t-il précisé.
Fixer le prix de l'ARENH au niveau du coût économique complet est donc conforme à l'esprit de la loi. C'est à cette condition qu'EDF pourra contribuer au financement de la transition énergétique, et cela sera d'autant plus bienvenu que les filières bas carbone sont les plus intenses en capital ; nous aurons besoin d'investisseurs, et il faut que ceux-ci disposent de moyens de financement.
En conclusion, je voudrais souligner que lorsque le dispositif ARENH a été conçu, il n'avait pas été envisagé que le prix de marché puisse être inférieur au prix de l'ARENH ; or nous nous trouvons aujourd'hui dans cette situation qui paraissait impossible. En conséquence, fixer le prix de l'ARENH au niveau du coût du nucléaire historique ne suffira pas à assurer qu'EDF pourra couvrir ce coût sur la durée de la période de régulation. En effet, dans les périodes où le prix de marché sera inférieur à celui de l'ARENH, EDF vendra sa production au prix du marché, alors que lorsque le prix de marché sera supérieur à celui de l'ARENH, EDF vendra sa production au prix de l'ARENH.
Néanmoins, le point positif est qu'un nucléaire existant au coût économique complet constitue sans aucun doute un avantage concurrentiel fort pour la France.