À tout le moins, tous les membres souhaitent disposer d'éléments de comparaison, afin d'examiner les options qui s'ouvrent à la France en matière de production électrique. C'est dans cette optique que j'ai préparé cette présentation.
Tout d'abord, je me suis fondé sur la comparaison des durées de construction des réacteurs en fonction de l'année de mise en service et de la technologie employée. J'ai également utilisé l'article de l'Autrichien Arnulf Grübler réalisé sur la base des informations parcellaires du rapport Charpin de 2000. Au sujet du développement du nucléaire en France, Grübler parle d'un « apprentissage par la pratique négatif ». Cette conclusion s'est révélée erronée mais la démarche était scientifiquement honnête. Les données nouvelles du rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire permettent, de ce point de vue, un saut qualitatif.
J'ajoute qu'un rapporteur de la revue Energy Policy s'est montré très critique à l'égard d'une première version de mon article, allant jusqu'à m'accuser de falsifier les chiffres et à accuser la Cour des comptes de mensonge et d'invention. Bien que dénuée de fondement, cette charge s'est révélée utile, m'obligeant à plus d'objectivité et de précision.
Si l'on confronte maintenant le graphique des durées de construction et celui du coût du capital, toujours selon l'année de mise en service, on observe que le coût du capital augmente moins rapidement que la durée. L'enchérissement est principalement dû aux changements de technologie. À l'intérieur de chaque « palier » technologique, en revanche, le coût du capital est stable.
Il faut insister sur le succès du programme nucléaire français, en net contraste avec l'échec relatif des programmes américain et britannique. En rapport avec la transition énergétique, permettez-moi de rappeler ce propos de M. Marcel Boiteux, ancien président d'EDF : c'est grâce à l'expérience acquise sur les grands barrages qu'EDF a été capable de maîtriser les immenses chantiers du nucléaire et a fait le choix judicieux de la réplication d'un modèle, ce que les Américains n'ont pas su faire et qui leur a coûté si cher. A contrario, les déboires actuels de l'EPR montrent quelle perte en capital humain et en capital de connaissances représente une décennie sans construction. Il est essentiel de se fonder sur ce que l'on sait faire pour réussir ce que l'on désire faire.
J'ai également reproduit le tableau comparatif du facteur de charge, c'est-à-dire du ratio entre la production réelle d'une technologie et la production maximale, mesuré pour les différents modes de production, en France et en Allemagne, en 2013. Ce ratio, qui varie beaucoup selon les technologies, a un poids important dans le calcul du coût courant économique d'une technologie. S'agissant de la France, la capacité du système nucléaire est stable depuis une dizaine d'années, de même que l'énergie délivrée au consommateur final. Le facteur de charge moyen de la période 2002-2012 est de 76 %, en retrait par rapport aux valeurs observées à l'étranger. L'impact sur le coût courant économique est significatif.
Pour expliquer ce phénomène, EDF invoque une erreur commise à un moment donné. L'argument ne tient pas la route, dans la mesure où ce facteur de charge a toujours été faible. Le problème n'est pas conjoncturel mais structurel. Il ne s'agit pas non plus de l'arrêt forcé de réacteurs en raison d'une baisse de la demande : on observe, en effet, une forte corrélation entre la disponibilité des centrales et les exportations, ce qui signifie que, si les centrales sont arrêtées, ce n'est pas parce qu'elles n'ont pas de clients. Nous pourrons revenir, si vous le voulez bien, sur la raison de ces arrêts intempestifs.