Le calcul du coût du capital repose sur un taux d'intérêt qui représente la rémunération du prêteur. Lorsque l'investissement est public, ce taux s'élève à 3 ou 4 %. Le rapport Quinet a établi comment procéder à ce calcul pour les investissements publics énergétiques en France. En revanche, si l'on considère que l'opérateur est une entreprise industrielle financée par des capitaux privés, il faut retenir un taux plus élevé, de l'ordre de 10 % si l'on se réfère aux documents de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Le coût de l'investissement est alors beaucoup plus élevé. La question est ouverte : le nucléaire français doit-il être financé avec un taux d'intérêt public ou doit-on considérer qu'il s'agit d'équipements privés devant être financés par des capitaux privés ?
On retiendra cependant l'importance, en France, du coût courant par rapport au coût du capital. EDF a été un bon constructeur mais un piètre exploitant. Le grand succès du programme français, c'est d'avoir été exécuté de main de maître. Mais une exploitation efficace fait défaut. Par rapport aux exemples étrangers, les coûts sont élevés. Peut-être est-ce le prix à payer pour une meilleure sécurité, mais certains coûts ne relèvent pas seulement de la sécurité : il y a aussi des dépenses somptuaires. Les dépenses salariales par MWh, par exemple, sont très supérieures aux montants constatés à l'étranger.
L'estimation des coûts futurs est évidemment plus délicate. Avec tous les déboires qu'il a connus, le premier modèle d'EPR coûtera beaucoup plus cher que prévu. Si les suivants se révélaient aussi chers, les coûts seraient considérablement accrus. Je retiens, par ailleurs, une hypothèse d'inertie pour ce qui est du coût du combustible, du retraitement, ainsi que des coûts d'opérations et de maintenance. En revanche, le facteur de charge retenu pour les calculs est de 85 %, soit la norme internationale, contre 76 % actuellement pour EDF.
Étant donné le prix de l'EPR, le coût du capital prend une part prépondérante dans le montant total des coûts futurs, qui se situent entre 80 et 120 euros par MWh. Il est improbable qu'EDF soit à même de réduire le coût du capital dans le futur. Dans l'histoire des grands chantiers, on a rarement observé les baisses de coût de 5 % par an que l'on peut constater dans beaucoup d'industries innovantes. Si elle en venait à construire d'autres EPR, peut-être EDF arriverait-elle à empêcher les coûts d'augmenter. Quant à les faire baisser significativement, la question est ouverte… Je vous invite à auditionner à ce sujet des ingénieurs de la construction.
Mon travail reposant sur une méthode en usage dans les institutions internationales, il permet d'effectuer des comparaisons avec l'étranger. Aux États-Unis – le seul autre pays où l'on dispose d'informations sur le coût de construction et d'exploitation des réacteurs nucléaires –, l'étude réalisée par Koomey et Hultman en 2007 est construite de la même manière que la mienne. Elle montre que les Américains ont dépensé encore plus que la France en matière de recherche et développement, même si le coût per capita est moins lourd. Au total, le coût actuel du nucléaire aux États-Unis est supérieur de 10 % à celui du nucléaire en France, en partie parce que le pouvoir d'achat du dollar est plus élevé. En appliquant un taux de change PPA (parité de pouvoir d'achat), le nucléaire américain se révèle seulement un peu plus cher que le nucléaire français.
La technique du coût courant économique permet également des comparaisons avec d'autres technologies de production d'électricité. Pour le concurrent historique principal du nucléaire, le charbon, qui est aussi utilisé en base, les données très anciennes disponibles aux États-Unis montrent que le coût était, est et restera aux alentours de 50 dollars par MWh. Le calcul ne prend pas en compte le prix des émissions de CO2 – cela étant, vu le prix de marché actuel, cela ne ferait aucune différence. Abstraction faite de ses externalités négatives, le charbon est une énergie qui était et restera moins chère que le nucléaire pour la production de base.
S'agissant du gaz naturel, le calcul prend en compte un facteur de charge d'environ deux tiers, comme c'était le cas dans les années 1990 ou 2000. Mais l'année dernière, en France et en Allemagne, le facteur de charge n'a été que de 20 %, ce qui a provoqué la fermeture de nombreuses usines et ce qui rend le gaz beaucoup plus cher que le nucléaire actuellement, faute de débouchés. Cette énergie a été très bon marché dans les années 1990…