Intervention de Alexandre Grillat

Réunion du 30 avril 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Alexandre Grillat, secrétaire national « développement durable-énergie-logement-RSE » de la CFE-CGC :

En matière de politique énergétique et de nucléaire, la CFE-CGC se veut pragmatique. Un projet de loi portant sur la transition énergétique est attendu très prochainement. Les enjeux en sont multiples, et le nucléaire constitue à notre sens un élément de solution. La transition énergétique devra être responsable, c'est-à-dire prendre en considération à la fois l'emploi, l'investissement en France, le pouvoir d'achat et la compétitivité.

Nous devons répondre à l'urgence climatique. Les derniers rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sont sans appel : la lutte contre le réchauffement climatique doit être notre priorité, notre combat pour les générations futures. C'est la perspective de la COP21 qui se réunira en décembre 2015. Pour la CFE-CGC, c'est la mise en oeuvre d'une stratégie « bas carbone », reposant sur un mix décarboné et diversifié, qui doit être au coeur de la transition énergétique.

La transition énergétique est aussi un enjeu économique : assurer la compétitivité énergétique du pays, c'est non seulement défendre le pouvoir d'achat des Français, mais aussi contribuer à redresser la compétitivité de notre économie – et en particulier celle des industriels électro-intensifs. Cela suppose que la transition énergétique soit la plus rationnelle possible, tant économiquement qu'industriellement, pour être aussi peu coûteuse que possible.

Bâtir une stratégie de sécurité des approvisionnements par la réduction de la consommation de matières premières et de l'importation des énergies fossiles, c'est réduire le déficit commercial du pays et contribuer à son indépendance énergétique. La crise ukrainienne nous rappelle la dimension géopolitique des questions énergétiques : la sécurité des approvisionnements énergétiques est bien un impératif stratégique.

Pour la CFE-CGC, l'impératif industriel de la transition énergétique est tout aussi crucial. Les derniers rebondissements de l'affaire Alstom ont montré l'absence dramatique de politique industrielle de l'Europe, tant dans le domaine de l'énergie que dans celui des transports ferroviaires. Soutenir les industries françaises qui sont des leaders mondiaux grâce à leur expertise technique et technologique, relancer les investissements en France, favoriser l'innovation technologique, développer de nouvelles filières industrielles : c'est ainsi seulement que la transition écologique défendra les emplois d'aujourd'hui et préparera ceux de demain, et les emplois qualifiés, à haute valeur ajoutée, qui permettront à la France de gagner dans la compétition mondiale.

La transition énergétique, c'est aussi une question de service public. En 1946, le service public a été au centre d'une aventure industrielle, sociale et politique qui a offert à la France une énergie sûre, compétitive et abordable, facteur de progrès social et économique. Aujourd'hui, le service public doit être au centre de la transition énergétique.

Car la transition énergétique, c'est aussi une question de gouvernance – qu'il s'agisse de la gouvernance de la politique énergétique ou celle des énergéticiens. En effet, la crise économique est une crise énergétique qui ne veut pas dire son nom, mais aussi une crise de gouvernance. Croire, comme beaucoup le font, que les marchés constituent le cadre nécessaire à la mise en oeuvre de la transition énergétique serait une erreur. Pour financer le mur d'investissements qui est devant nous, il faudra poser la question du taux de rémunération du capital (WACC). EDF, en son temps, n'a pu financer un système électrique unique au monde, sûr et compétitif, que parce qu'il bénéficiait d'un WACC public. Ni la libre concurrence ni la logique boursière – bref, les seules règles du marché – ne semblent, à nos yeux, compatibles avec les enjeux de la transition énergétique.

La transition énergétique ne réussira que si elle suscite l'adhésion des salariés du secteur énergétique français ; elle se fera avec eux, et pas contre eux. La CFE-CGC demande donc aux pouvoirs publics de doter la transition énergétique d'une ambition sociale, en créant un collectif pour l'ensemble des salariés oeuvrant à cette transition, comme avait, en 1946, été créé le statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG).

En matière d'énergie, nous devons nous fixer plusieurs objectifs. La priorité doit être donnée à l'efficacité énergétique, passive et active, résidentielle autant qu'industrielle, voire territoriale. Cela pose la question des politiques d'urbanisme, d'habitat et de mobilité. Il faut en particulier mettre en oeuvre une politique de transports qui favorise les véhicules propres. Nous devons également réduire notre consommation d'énergies fossiles fortement carbonées et utiliser un mix de production électrique décarboné, peu émetteur de CO2, diversifié et compétitif, c'est-à-dire reposant sur le nucléaire, l'hydraulique et les énergies renouvelables, dans une logique de complémentarité entre ces différentes énergies. Cela suppose que le prix du carbone soit stable et dans la mesure du possible européen.

Nous devons aussi préserver les atouts du système électrique français, dont l'organisation nationale a permis l'optimisation technique et économique – ce qui nous permet de bénéficier de tarifs bas – et la structuration de filières industrielles reconnues mondialement. Une organisation nationale est indispensable tant pour la distribution d'électricité que pour l'hydroélectricité ; l'annonce faite hier d'une organisation régionale pour l'hydroélectricité va à l'encontre d'une optimisation à l'échelle nationale, qui permet de limiter l'inflation des coûts.

Que l'on parle de compétitivité, de filières industrielles, de créations d'emplois, de valorisation internationale, ou de stratégie bas carbone, le nucléaire apporte des solutions. Il doit être au coeur de la transition énergétique.

Cela concerne le nucléaire existant comme le nucléaire futur. Car, si l'on doit comparer les coûts des différentes filières de production d'électricité, c'est au regard des services qu'elles rendent au système électrique dans son ensemble, tant économiquement que techniquement. Une centrale nucléaire est programmable et démarre quand le système électrique en a besoin, alors que les énergies renouvelables sont pour la plupart intermittentes. Pour assurer la sûreté du système électrique, il est donc indispensable de raisonner en termes de complémentarité entre les différentes sources d'énergie.

Qui dit transition dit évolution au fil de l'eau, et non révolution : le parc nucléaire existant nous permet de maîtriser le calendrier et donc de laisser le temps aux nouvelles filières industrielles d'atteindre leur maturité technique et économique, mais aussi de financer cette transition, de l'optimiser, de la rationaliser. Il faut donc prolonger la durée de vie du parc nucléaire existant, et ainsi en faire un atout pour la transition énergétique, dans le respect des prérogatives et des analyses techniques de l'ASN.

Enfin, les centrales nucléaires, fonctionnant en base, sont des infrastructures énergétiques intensément capitalistiques. Un financement de long terme est donc indispensable. Prenons l'exemple britannique : la quasi-faillite de British Energy, à la fin des années 1990, lorsque le parc nucléaire britannique dépendait entièrement du marché, comme la récente signature du « contrat de différence » ont bien montré que le nucléaire a besoin d'un cadre régulé pour s'épanouir. Or ce cadre régulé nous paraît difficilement compatible avec la logique dérégulée de la rémunération du capital introduite par la cotation en bourse des opérateurs. Fourniture en base assurant compétitivité et sûreté du système électrique, le nucléaire peut clairement être assimilé à une activité de service public.

Il ne vous a pas échappé que, depuis 2005, les dividendes servis par EDF – désormais cotée en bourse – ont fortement augmenté, sans que les augmentations tarifaires permettent de prévoir les provisions nécessaires aux investissements massifs qui seront nécessaires à l'avenir. La question du financement de la transition énergétique est donc posée. Or les contraintes sont fortes. Les tarifs ne permettent pas de couvrir les coûts, mais nous voulons aussi lutter contre la précarité énergétique et favoriser la compétitivité. Les opérateurs sont endettés, et les prix de marché sont parfois négatifs, car les règles de jeu européennes n'incitent absolument pas à l'investissement. À notre sens, il est donc indispensable d'inciter à l'investissement, et donc de limiter les dividendes versés par les opérateurs. Cela pose la question de la pertinence de la logique boursière.

Enfin, réussir la transition, c'est optimiser le système électrique. Le modèle national né en 1946 a fait ses preuves : nous appelons de nos voeux son maintien.

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