Avant de vous présenter le plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, sur lequel vous avez souhaité m'entendre, et de répondre à vos questions, je souhaite brièvement rappeler les missions du SGDSN et préciser ses responsabilités dans le domaine des usages civils de l'énergie nucléaire.
Comme vous le savez, le SGDSN est un service du Premier ministre, qu'il assiste dans l'exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Dans le domaine nucléaire, il ne participe pas à la définition de la politique énergétique et n'a de compétence directe ni dans le domaine de la sûreté nucléaire, qui relève de l'Autorité de sûreté nucléaire, ni dans celui des coûts de la filière nucléaire. En revanche, il exerce des compétences de coordination interministérielle en matière de sécurité nucléaire, de lutte contre la prolifération de matière nucléaire et de gestion des crises nucléaires ou radiologiques.
Le SGDSN est en effet chargé de la préparation des pouvoirs publics à la gestion des crises majeures, tant du point de vue de l'organisation gouvernementale que de la planification de la réponse que les pouvoirs publics doivent apporter aux menaces et aux risques majeurs. Cette compétence s'exerce également en matière de gestion de crises nucléaires.
C'est au titre de ces responsabilités que le SGDSN a reçu mandat du Premier ministre, en juillet 2011, pour conduire les travaux de planification de la réponse à un accident nucléaire ou radiologique, survenant en France ou à l'étranger.
La catastrophe de Fukushima Daiichi, en mars 2011, nous a en effet rappelé que l'hypothèse d'un accident nucléaire d'ampleur exceptionnelle, et apparemment improbable, ne pouvait pas être écartée par principe.
Elle a conduit, dans le monde entier, à réexaminer les mesures de sûreté et les dispositifs de gestion de crises nucléaires. De nombreuses initiatives ont été lancées dans le domaine de la sûreté nucléaire, que ce soit en France, dans l'Union européenne ou à l'échelle internationale.
L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a établi en septembre 2011 un plan d'action de long terme comprenant plusieurs axes de travail visant à renforcer la sûreté nucléaire. Ce plan inclut notamment la révision de la convention internationale sur la sûreté nucléaire, qui impose aux pays signataires de se conformer à de hauts niveaux d'exigence en matière de sûreté, et le renforcement des textes relatifs aux procédures d'information ou encore à l'assistance en cas d'urgence radiologique. Dans ce cadre, la France s'est engagée en faveur de l'élaboration d'un mécanisme international d'intervention rapide en cas d'accident nucléaire en tout point de la planète et de la création d'un centre international de formation à la gestion d'une crise nucléaire.
En France, le Premier ministre a demandé à l'Autorité de sûreté nucléaire un audit de sûreté des installations nucléaires françaises, appelé évaluations complémentaires de sûreté (ECS), qui a pris en compte des aléas et des contraintes supérieures à celles retenues jusqu'alors.
Je n'irai pas plus loin dans ce domaine, qui relève de l'autorité de M. Chevet, si ce n'est pour relever que certaines prescriptions de l'ASN améliorent non seulement la sûreté, mais également les capacités de gestion de crise de l'exploitant : celles relatives au « noyau dur » des installations qui doivent résister à des conditions extrêmes, le poste de commande et les secours électriques durcis en particulier.
Il en est de même de la prescription visant à créer, pour chaque opérateur, des forces d'action rapide, capables d'assister en quelques heures les équipes d'une installation nucléaire en difficulté et de leur apporter l'expertise technique et, le cas échéant, des moyens d'intervention – énergie, refroidissement…–, leur permettant de conserver ou de reprendre le contrôle d'une installation et de la ramener à un état sûr.
Cette partie relève de la responsabilité de l'exploitant qui est tenu de se conformer aux règles fixées par l'ASN et d'assurer la sûreté de ses installations, mais l'État apporte son concours au déploiement rapide de ces forces d'intervention.
C'est ainsi que l'État finalise une convention avec EDF pour l'assistance par des hélicoptères d'État au déploiement d'urgence de l'équipe de reconnaissance de sa force d'action rapide nucléaire (FARN).
Pour revenir au dispositif national de gestion d'une crise nucléaire, il me paraît utile de rappeler ce que sont les grandes lignes de notre dispositif de réponse.
Sur le territoire national, pour chaque installation concernée sont établis des plans d'urgence interne (PUI), sous la responsabilité de l'exploitant, qui visent à ramener une installation accidentée à un état sûr et à éviter que les conséquences ne s'étendent hors du site. De son côté, le préfet élabore et déclenche, le cas échéant, pour chaque installation, un plan particulier d'intervention (PPI) qui prévoit les principales mesures de protection de la population en cas de menace ou de rejet radioactif hors du site. Il s'agit de mesures d'alerte, de mise à l'abri des personnes, de prise de comprimés d'iode, d'éloignement ou d'évacuation des personnes menacées, mesures dont le champ peut s'étendre jusqu'à dix kilomètres de l'installation. Les plans locaux sont complétés par des dispositions générales relevant de la sécurité civile (plans ORSEC).
Mais l'État doit aussi s'organiser quand un accident survient à l'étranger. La catastrophe de Fukushima a justifié l'activation d'une cellule interministérielle de crise, dont le Premier ministre m'avait confié la direction. Des sujets importants comme la sécurité des Français sur place, l'accueil des personnes revenant du Japon, l'assistance éventuelle aux autorités japonaises ou les importations de denrées et de produits japonais ont ainsi pu être traités.
Le retour d'expérience de cette crise a montré la nécessité d'élargir le champ couvert par le dispositif alors en vigueur pour faire face à toutes les situations envisageables et aborder l'ensemble des conséquences d'un accident nucléaire majeur. Cela a conduit le Premier ministre à demander l'élaboration d'un plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, destiné à compléter les dispositions existantes et à les mettre en cohérence avec le dispositif général de gestion des crises issu de la réforme de 2012. Ce dispositif est bâti autour d'une cellule interministérielle de crise (CIC), sur laquelle s'appuie le Premier ministre pour assurer le pilotage politique et stratégique de l'action du Gouvernement.
Pour mener à bien ce chantier important, le choix a été fait dès le départ d'élargir le cercle interministériel habituel à l'ensemble des acteurs du nucléaire. Les travaux ont été conduits en très étroite collaboration avec l'Autorité de sûreté nucléaire et l'Autorité de sûreté nucléaire de la défense (ASND). Ils ont fortement mobilisé l'ensemble des acteurs détenteurs de l'expertise nucléaire : l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), appui technique de l'ASN et des ministères, ainsi que les trois exploitants nucléaires majeurs (EDF, le CEA et AREVA). Car une crise nucléaire ne se gère pas sans l'exploitant, sans l'Autorité de sûreté ni sans appui technique. Il est important que chacun des acteurs puisse exercer sa compétence dans son domaine de responsabilité et de façon coordonnée.
Le plan gouvernemental issu de ce travail, piloté par le SGDSN, a été approuvé par le Premier ministre en avril 2013, testé en juin 2013 lors d'un exercice et rendu public en février 2014. Conformément au principe d'information de la population qui prévaut dans le domaine nucléaire, il a été mis en ligne sur le site gouvernemental des risques majeurs et sur celui du SGDSN. Il a fait l'objet d'une présentation au CODIRPA, le 16 avril. Une communication est également prévue devant le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, dès que ses membres auront été renouvelés. Sur le plan territorial, les préfets sont invités à informer les commissions locales d'information (CLI). Enfin, le plan a été transmis au groupe de travail post-accidentel de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) en vue d'une prochaine présentation. Les opérateurs ont, pour leur part, intégré les dispositions du plan dans la formation de leurs responsables de gestion de crise.
Ce plan, qui constitue désormais la référence en matière de gestion de crise nucléaire en France, s'appuie sur les dispositifs existants, comme la chaîne d'alerte spécifique aux crises nucléaires ou les plans particuliers d'intervention. Il les complète en donnant au gouvernement les instruments de pilotage politique et stratégique d'une crise nucléaire majeure.
Le plan traite de l'ensemble des situations d'urgence nucléaire quelle que soit leur origine, en France ou à l'étranger, dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter nos concitoyens ou de perturber gravement la vie du pays.
Le Gouvernement a décidé de traiter, par ce plan, un champ très large d'installations ou de transports. Sont intégrés les accidents pouvant survenir sur les centres nucléaires de production d'électricité, sur les installations du cycle du combustible, dans les laboratoires de recherche, sur les installations de propulsion nucléaire et lors des transports de matière radioactive.
Le plan apporte aussi des avancées significatives. En premier lieu, à l'instar des plans gouvernementaux de la nouvelle génération, construits depuis le début des années 2010, il est conçu comme un outil de compréhension de situations complexes et d'aide à la décision.
Je souligne qu'il s'agit du premier plan français de niveau national traitant d'un ensemble large de situations d'accidents nucléaires ou radiologiques majeurs. Il ne se limite plus au niveau local et au périmètre établi autour du site où l'accident s'est produit. Il prévoit des actions sur un territoire plus large. Il s'applique également à des accidents survenus hors de nos frontières.
Il apporte une réponse à la crise sur le temps long. Il prévoit la conduite de l'action dans la phase d'urgence dès le début de l'alerte et propose une doctrine de prise en charge sanitaire de la population à court, moyen et long termes. Il définit aussi une politique de préparation de la phase post-accidentelle intégrant un objectif de continuité des activités économiques et sociales, en utilisant les travaux du CODIRPA conduits sous l'égide de l'ASN.
Il élargit enfin la participation à la CIC aux autorités de sûreté nucléaire – ASN et ASNDéfense – et, en fonction des besoins, à l'IRSN, au CEA et à l'exploitant concerné.
Le plan comporte deux parties.
La première traite des principes d'organisation et des différentes stratégies de réponse à huit situations de référence. La seconde constitue un guide d'aide à la décision pour chacune des situations ; elle propose des mesures à prendre pour mettre en oeuvre les stratégies. Le plan est complété par un recueil de quarante fiches mesures, qui sont des outils opérationnels d'aide à la décision.
Les huit situations de référence auxquelles s'applique le plan sont les suivantes : une situation dite d'incertitude, correspondant à la phase dans laquelle un accident n'est pas encore caractérisé ; trois situations d'accidents survenus sur une installation nucléaire, avec rejets radioactifs, soit immédiats et de plus ou moins courte durée, soit différés et de longue durée ; une situation d'accident survenu au cours d'un transport de matière radioactive ; une situation d'accident survenu en mer, sur un navire à propulsion nucléaire ou transportant des matières nucléaires ou radioactives ; deux situations d'accident à l'étranger, distinguant l'éventualité d'un impact, significatif ou non, sur le territoire national plus ou moins proche – Tchernobyl ou Fukushima, de façon schématique.
La stratégie de réponse se décline selon les actions et objectifs concomitants suivants : activation de la cellule interministérielle de crise pilotée par le Premier ministre ; recherche du retour à l'état maîtrisé et stable de l'installation ou du transport par l'exploitant ; protection de la population et prise en charge sanitaire en distinguant les effets immédiats des effets différés de l'accident ; communication vers les populations afin de maintenir la confiance et de donner à chacun les consignes précises de comportement.
Lorsque survient un accident nucléaire, la priorité absolue qui s'attache à l'urgence de protéger, secourir et apporter des soins aux personnes pourrait faire perdre de vue d'autres enjeux qui, s'ils ne sont pas convenablement pris en considération dès le début de la crise, risquent de devenir critiques dans le cas d'une crise aux effets prolongés.
Il est ainsi indispensable de prévoir dès le début les moyens d'assurer la meilleure continuité possible de la vie économique et sociale afin de limiter les effets de la crise et de renforcer la résilience du pays.
De même, la dimension européenne et internationale d'un accident nucléaire justifie une coordination entre les pays et les institutions internationales concernés.
Enfin, le plan prévoit une transition de la phase d'urgence vers la gestion post-accidentelle de la crise. Certaines dispositions doivent être anticipées dès la phase d'urgence, comme par exemple la définition d'un zonage provisoire des territoires en fonction de leur contamination présumée et les restrictions associées, ou encore l'anticipation de la durée des mesures de protection ou d'éloignement des populations qui auront été décidées en phase d'urgence.
Si ce nouveau plan constitue une étape importante dans le renforcement de notre capacité à gérer une crise nucléaire, d'autres étapes sont déjà engagées.
D'abord, le plan national doit faire l'objet d'une déclinaison territoriale, sous la conduite du ministère de l'intérieur. La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a entamé l'élaboration d'un guide de déclinaison territoriale pour orienter les futurs plans zonaux et départementaux de gestion d'une crise nucléaire majeure. Ce guide devrait être disponible à la fin du semestre. Le plan national comporte l'essentiel des dispositions de mise en oeuvre nécessaires. Il ne s'agit donc pas de le dupliquer, encore moins de le refaire, mais de planifier les actions complémentaires spécifiques au niveau zonal – je pense en particulier aux problématiques d'évacuation de populations – et au niveau départemental.
Ensuite, une feuille de route est associée au plan pour accompagner la consolidation de notre dispositif de réponse à ces crises. Je citerai à fin d'illustration quelques-unes de ces actions : la poursuite des travaux du CODIRPA sur la gestion post-accidentelle, sous l'égide de l'ASN, l'actualisation de la directive interministérielle de 2005 sur l'action des pouvoirs publics en cas de situation d'urgence radiologique, le renforcement des systèmes de collecte des données concernant l'état des installations nucléaires en cas de crise, l'environnement et la météorologie ou l'appui de l'État au déploiement de moyens exceptionnels de l'exploitant.
Pour conclure, je souligne que ce nouveau plan traduit l'exigence absolue du Gouvernement en matière de sûreté nucléaire et de protection des populations.