a mission de l'ASN en temps de crise est fondamentalement la même que celle qu'elle assure en temps normal : contrôler l'action des exploitants et informer. Deux autres missions se rajoutent en cas de crise : notifier à l'international, notamment aux pays riverains, les informations dont nous disposons, ainsi qu'à l'Agence internationale de l'énergie atomique ; conseiller le Gouvernement sur les mesures de protection des populations à prendre.
L'exploitant doit mettre en application le plan d'urgence interne, dont il a assuré la maîtrise et qui prévoit des critères précis de déclenchement. Les plans d'urgences sont contrôlés par l'ASN. Les exploitants doivent également avoir prévu des procédures accidentelles préétablies, dont nous contrôlons la tenue. En cas de crise, au titre du contrôle, nous enverrions des inspecteurs sur le site ainsi qu'auprès du préfet directement concerné.
Notre système d'alerte fonctionne en continu. Il est testé tous les mois : nous envoyons un message par surprise à tous les agents et nous vérifions si le taux d'acquittement du signal est correct. Si l'ASN a l'obligation générale d'être présente en cas de besoin, pour des raisons administratives, elle ne dispose pas encore d'un système d'astreintes formalisé permettant de dédommager les agents et d'avoir une plus grande certitude sur leur présence effective. En effet, les textes de la fonction publique omettent l'astreinte dans le cas particulier des autorités indépendantes. Ce problème est en voie de résolution.
Nous testons régulièrement notre organisation et celle des exploitants via des exercices : nous effectuons notamment une dizaine d'exercices nationaux impliquant le centre de crise national de l'ASN.
En cas de crise, les acteurs qui participent à la gestion de l'urgence au plan local, encore appelés « urgentistes », jouent un rôle essentiel – je pense principalement au SAMU et aux pompiers. Michel Bourguignon, commissaire de l'ASN, a initié il y a une dizaine d'années des formations collectives en leur direction : 10 000 urgentistes y ont participé depuis la création de ces formations.
Je voudrais lancer cinq messages.
Le premier vise à prendre en considération le retour d'expérience de la catastrophe de Fukushima, durant laquelle nous avons activé notre cellule de crise pour informer le public. Au bout de deux mois, les agents de l'ASN étaient au bout de leurs forces et ce, alors que l'accident s'était produit au Japon. Imaginez la charge de la gestion d'un accident nucléaire qui se serait produit en France : elle serait encore plus lourde. L'ASN doit pouvoir disposer de renforts rapides, notamment en provenance des pays riverains, auxquels nous avons proposé d'envoyer des agents en vue d'aider nos équipes et de participer avec nous à la gestion de crise. Ce serait un moyen d'instaurer une relation de confiance entre pays riverains concernés par un accident nucléaire se produisant dans l'un d'entre eux.
Le deuxième message concerne l'amélioration de la cohérence des critères au plan européen. En effet, je tiens à rappeler non seulement qu'un accident nucléaire est possible, mais également que, s'il survenait en Europe, son rayon d'impact, s'il était équivalent à celui de Fukushima, soit quatre-vingts kilomètres, recouvrirait simultanément plusieurs pays. Or les critères de gestion de crise utilisés en Europe sont encore très disparates. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, les discours publics ont été différents. Si la vision des rejets était identique, en revanche, les critères de gestion de crise étaient différents de chaque côté du Rhin, si bien que les ordres donnés à quelques kilomètres de distance n'étaient pas cohérents, ce qui a nui à la crédibilité de l'action publique. Si des progrès ont été réalisés depuis trente ans, toutefois, les critères de déclenchement des actions de protection des populations – confinement, distribution de pastilles d'iode, évacuation – ne sont pas identiques en Europe. La France a initié une démarche au plan européen en vue d'harmoniser les critères, ce qui n'est pas simple. Il convient encore de progresser en la matière.
Troisième message : il convient de poursuivre les travaux sur la phase post-accidentelle. L'ASN a initié la démarche du CODIRPA en 2005 visant à gérer la crise non pas en phase d'urgence – les vingt-quatre premières heures – mais en phase post-accidentelle, ce qui change la donne. S'il n'est pas difficile, par exemple, d'ordonner le confinement de la population pour vingt-quatre heures, en revanche gérer un même confinement en phase post-accidentelle si les rejets radioactifs doivent se prolonger est plus problématique. Est-il utile d'ordonner un confinement si, après deux ou trois jours, se pose la question de l'alimentation en eau potable des populations concernées ? Les décisions à prendre seront donc différentes selon la durée des rejets. C'est pourquoi nous travaillons à l'heure actuelle, d'une part, sur des hypothèses d'accidents plus graves encore que ceux que nous avions envisagés dans la première phase des travaux et, d'autre part, sur la déclinaison locale de la gestion post-accidentelle. Les mesures à prendre ne seront pas les mêmes selon les territoires : ils dépendront notamment des possibilités d'approvisionnement en eau et plus généralement de l'environnement économique. Il faut travailler au plan local pour décliner le post-accidentel
Quatrième message : il convient de mieux former et informer les populations susceptibles d'être concernées par un accident, notamment en les impliquant davantage dans les exercices, lesquels jouent un rôle important. Les commissions locales d'information (CLI) doivent organiser un plus grand nombre de réunions réellement publiques, c'est-à-dire auxquelles participent non seulement les personnes intéressées mais tous les riverains. Le projet de loi de loi relatif à la transition énergétique pourrait prévoir des dispositions tendant à renforcer l'information des riverains des installations nucléaires.
Cinquième et dernier message : il faut inciter les autorités gouvernementales au plus haut niveau à participer à des exercices. En effet, Fukushima a montré que la cellule de crise n'a pas fonctionné tel que décidé par avance. Le plus haut niveau de l'État a très vite aspiré les centres de crise de chacune des institutions. En cas de crise nucléaire majeure, il est vraisemblable que, très rapidement, l'État se mobilisera au plus haut niveau et que nous serions aspirés par le cabinet du Premier ministre, voire du Président de la République, ce qui n'est pas sans poser des problèmes concrets. Qu'en sera-t-il, par exemple, du centre de crise de l'ASN, qui se réunirait pour prendre des décisions ? En tant que président de l'ASN, il est vraisemblable que je serais demandé à Matignon ou à l'Élysée et que je ne participerais pas à ces réunions. Comment ferais-je alors pour garder la liaison technique avec le centre de crise de l'ASN ? Ce type de questions pratiques se posera pour d'autres responsables d'institutions concernées. Il convient donc que les plus hautes autorités de l'État participent à des exercices afin de se préparer avec nous à la situation telle qu'elle est susceptible de se poser.