Je vous dirai d'emblée que je suis favorable à la tenue d'une exposition universelle en France, plus précisément en région parisienne. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de le dire au Chef de l'État.
D'une façon générale je pense du bien des expositions universelles, même si certains les jugent quelque peu désuètes. En tout état de cause, ce n'est pas la France, qui est l'un des pays membres du Bureau international des expositions (BIE), qui va remettre en cause le modèle des expositions universelles tel qu'il existe actuellement. Il est vrai qu'il s'agit d'une invention ancienne, fruit d'une époque où le monde comptait moins d'États et où le public n'était pas saturé de divertissements comme aujourd'hui. Ces spectacles – car ce sont de véritables spectacles – ne semblent cependant pas avoir perdu leur force d'attraction : de nombreux visiteurs continuent de s'y rendre, non seulement pour s'instruire, mais surtout pour rêver et s'amuser, car il ne s'agit quand même pas du Collège de France ou du Muséum d'histoire naturelle. Certains pavillons nationaux ont cependant une vocation pédagogique. Les Allemands par exemple y parviennent, avec des robots et de la 3D, mais leur pavillon à Shanghai a coûté 60 millions d'euros.
Symboles de la révolution industrielle, ces expositions étaient à l'origine de gigantesques concours Lépine, où les pays rivalisaient entre eux d'innovations propres à épater le public. Même si les choses sont aujourd'hui bien différentes, cet aspect de compétition sympathique entre États n'a pas disparu, et la vocation des pavillons nationaux, s'agissant des expositions universelles, ou celle des espaces que chaque État participant aménage dans le cadre des expositions internationales reste d'être des vitrines du savoir-faire national.
Une véritable implication des pouvoirs publics de notre pays est la première condition pour que la candidature de la France ait une chance d'être acceptée. L'État français et le Gouvernement doivent donner plus que l'impression de s'intéresser aux expositions universelles et internationales. Si je le précise, c'est que cela ne va pas de soi. À peine nommé président de la Compagnie française pour l'exposition universelle de Shanghai, la COFRES, j'ai appris que le ministre des affaires étrangères et la ministre de l'économie avaient, dès août 2007, osé recommander au Président de la République le projet d'un pavillon franco-allemand, sous prétexte de diviser par deux les frais et de renforcer les liens entre la France et l'Allemagne. Les Allemands ont bien ri de cette proposition, contraire au principe même de l'exposition universelle comme compétition entre pays : pourquoi pas un pavillon commun au Venezuela et à l'Argentine ? En outre, cela faisait déjà plus de trois ans que les Allemands travaillaient à l'élaboration de leur pavillon.
Pourtant, ce fantasme continue de hanter la direction du budget et certaines directions du Quai d'Orsay. Je sais que certaines administrations étaient hostiles à la participation de la France à l'exposition internationale de Yeosu, et notre pays n'avait toujours pas fait savoir sa décision en décembre 2010. C'est moi qui ai dû insister auprès du Président Sarkozy pour qu'il confirme de vive voix à son homologue sud-coréen que la France participerait bien à cet événement. Vous imaginez bien que si la France n'y avait pas été représentée, votre mission n'aurait aucune raison d'être, monsieur le président : pour que la France ait une chance d'organiser l'exposition universelle en 2025, encore faut-il qu'elle en ait envie, et surtout qu'elle le montre – je pense surtout à l'administration française et aux autorités politiques, qui doivent avoir un comportement responsable car tout se sait. À l'époque, le BIE me téléphonait toutes les semaines pour avoir une réponse et me faire part de l'embarras des Sud-Coréens face à l'inertie française. Si je rappelle tout cela, c'est parce qu'il faut avoir conscience que la candidature française souffrira d'un certain passif.
Par parenthèse, j'aurais aimé que le Gouvernement confie à la COFRES l'organisation du pavillon français à Milan ; je ne vois pas l'intérêt de créer pour chaque exposition une structure ad hoc, même si la Cour des comptes le recommande. On devrait plutôt s'inspirer de ce qui marche à l'étranger : au Japon, c'est le MITI, via une équipe dédiée, qui a la charge d'organiser la représentation japonaise aux expositions universelles et internationales ; en Allemagne c'est une structure pérenne qui est chargée de ce rôle. Je me suis battu pour que M. Vaillot travaille auprès du commissaire général de la section française de l'exposition de Milan. Si tel n'avait pas été le cas, tout le savoir-faire et l'expérience accumulés par notre équipe à Shanghai et à Yeosu auraient été perdus pour celle qui a en charge le pavillon français à la prochaine exposition universelle.
La COFRES avait donc été mandatée pour réaliser le pavillon français à l'exposition internationale de Yeosu. Alors que nous avions, avec M. Vaillot, évalué les dépenses nécessaires à 10 millions d'euros, on nous a demandé de ne pas dépasser 8 millions d'euros – à comparer aux 25 millions d'euros que l'Allemagne a dépensés à Yeosu. C'est finalement un budget de 7 millions d'euros qui a été validé en janvier 2011 par le conseil d'administration de la COFRES et une réunion interministérielle.
Étant un vieux routier de l'administration, je me méfiais quand même. La COFRES disposait encore d'un reliquat de Shanghai qui lui permettrait de passer les marchés. Pour Shanghai en effet, le représentant de l'État au conseil d'administration de la COFRES refusait de voter les budgets tant que les dotations de l'État n'étaient pas débloquées. J'ai même envisagé de donner ma démission, puisqu'en tant que mandataire social, je passais des marchés alors que mon conseil d'administration ne votait pas mes budgets. Cela signifiait que j'engageais les fonds de la COFRES sans aucune garantie que ces crédits seraient versés.
Pour en revenir à Yeosu, sachez que le « bleu » interministériel qui validait les 7 millions n'a jamais été appliqué. J'avais heureusement pris la précaution d'exclure de l'organisation du pavillon tout ce qui concernait la restauration, qui est généralement un nid à problèmes. Bien m'en a pris, en dépit des critiques que cela m'a valu de la part du Quai d'Orsay, puisque cela a permis de réduire la dépense d'environ 1 million d'euros.
Nous avons finalement réalisé la prouesse, en grande partie grâce à M. Vaillot, de ne pas dépenser plus de 3,5 millions d'euros pour Yeosu. Nous avons serré les boulons au maximum et tout fait en interne, notamment la scénographie. Nous n'avons eu recours à aucun bureau de presse. J'ai eu la chance qu'un architecte français travaillant en Corée du Sud et en Chine pour de grandes entreprises du luxe ait accepté de travailler pour nous à un tarif défiant toute concurrence.
En revanche, aucun des ministères qui s'y étaient engagés n'a consenti à « mettre au pot », en dépit de mes sollicitations. M. Moscovici, que je connais depuis trente ans et à qui j'ai écrit personnellement sur ce sujet, ne m'a jamais répondu. Je considère qu'en cette affaire, le principe de la continuité de l'État n'a pas été respecté, et je n'ose pas imaginer que ce fut pour des raisons politiques.
Toujours est-il qu'aucun ministre n'était présent au pavillon français le jour de notre fête nationale. Quant à l'ambassadrice, elle avait été rappelée à Paris pour exercer d'autres fonctions. Cela vous montre le degré d'implication du Gouvernement dans l'exposition internationale de Yeosu. Et si j'avais été un chef d'entreprise naïf, croyant dans la parole de l'État et dans la valeur d'un « bleu » interministériel, je n'aurais pas pu payer les entreprises avec lesquelles j'aurais passé des marchés et nous n'aurions pas pu ouvrir le pavillon de la France à l'exposition internationale de Yeosu.
Voilà comme les choses se sont passées pour Yeosu. Je n'en ai jamais fait état publiquement et vous me donnez l'occasion de le faire aujourd'hui.
S'agissant de l'Exposition de Shanghai, j'ai été nommé président de la COFRES en novembre 2007, fonction que j'ai cumulée avec celle de commissaire général du pavillon français à partir de l'année suivante afin de réduire les risques de dysfonctionnements. Je n'avais, avant ma nomination, aucune idée de ce que pouvaient être le coût et le fonctionnement de ce type de structure. On m'avait dit que cela représentait un budget de 50 millions d'euros, dont la moitié devrait être prise en charge par les entreprises. Nous sommes donc partis à la chasse au sponsor. Nous sommes quand même parvenus à lever plus de 5 millions d'euros, dont 4,5 millions auprès de LVMH, Lafarge et Sanofi, parce que je connaissais leurs dirigeants. Je n'ai en revanche reçu aucune aide du Gouvernement. Je n'ai même pas pu obtenir de petit-déjeuner avec Mme Lagarde. Il est vrai que je bénéficiais de l'appui du Président de la République, mais on ne peut pas appuyer sur le bouton nucléaire à chaque fois qu'on doit faire avancer une guimbarde de trois mètres !
Je me suis rendu compte qu'il ne fallait pas être trop tributaire des entreprises, si on voulait garder la maîtrise de la scénographie et si on refusait que le pavillon français se transforme en foire commerciale de bas de gamme. En tout état de cause, les sponsors n'ont pas le droit d'utiliser le pavillon national pour faire leur publicité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les pays qui ont une pratique exemplaire des expositions universelles, l'Allemagne et le Japon, font financer leur pavillon par l'État, les entreprises apportant une participation en nature. Il est vrai que le patriotisme industriel y est bien plus élevé que chez nous.
Finalement, le budget total s'est élevé à 37,5 millions d'euros et le bâtiment à lui seul a coûté environ 20 millions d'euros, une somme dérisoire pour un bâtiment de 6 000 mètres carrés. C'est que le coût au mètre carré n'est pas le même en Chine qu'à New York, Milan ou en Île-de-France. Il faudra, à ce propos, prendre garde que le projet de candidature française n'affole pas les membres du BIE par des coûts de construction exorbitants.
En outre, 17,5 millions d'euros ont été consacrés au fonctionnement, à l'accueil et à la scénographie intérieure.
Je considère que l'opération a été réussie à 95 %, le pavillon français ayant été, avec dix millions de visiteurs, le plus visité de l'exposition universelle, devant le pavillon chinois, qui a vu passer neuf millions de visiteurs. Il y a deux raisons à cela.
Fort de ce que j'avais observé aux expositions de Vancouver et de Saragosse, où j'avais constaté la longueur des files d'attente à l'entrée des pavillons, j'avais demandé à Jacques Ferrier, l'architecte, de concevoir un bâtiment permettant un flux continu de visiteurs. En conséquence, l'attente devant le pavillon français n'excédait pas une heure et demie, contre cinq heures pour le pavillon allemand ou sept heures pour celui de l'Arabie saoudite.
Notre deuxième atout était la dizaine de chefs-d'oeuvre que le musée d'Orsay avait accepté de nous prêter, dont L'Angélus de Millet, Le Balcon de Manet et une oeuvre de Van Gogh. Nous avons d'ailleurs dû veiller à ce que l'hygrométrie et la température du pavillon ne portent pas atteinte à leur intégrité. L'arrivée des tableaux a été très médiatisée en Chine ; le président Hu Jintao lui-même, entouré d'une délégation du comité permanent du parti communiste, soit les plus hauts dirigeants du pays, est venu spécialement pour voir ces oeuvres la veille de l'inauguration. Tout cela a créé un buzz considérable.
Nous avons pourtant eu droit à des articles assassins dans la presse française.