Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un siècle s’érigeait, à quelques centaines de mètres du Palais-Bourbon, un autre palais, celui de l’économie sociale. Il s’agissait alors de montrer au monde entier, à l’occasion de l’exposition universelle accueillie en 1900 par notre capitale, les richesses, l’inventivité, les oeuvres de haute qualité dont nombre de sociétés ouvrières étaient capables. L’économie sociale trouve ses racines en partie dans l’histoire ouvrière de notre pays, avec le mouvement coopératif bien sûr, avec la création des sociétés de secours et d’entraide mutuels. Elle se forme aussi par les initiatives du monde paysan pour imaginer des moyens communs de subsistance puis de développement de l’agriculture, ou par celles des marins pour se doter d’outils communs de pêche. On peut évoquer ici les premiers développements de la distribution et tant d’autres, dont l’économie sociale, capable de traduire l’expression d’un besoin en entreprise de production d’un bien ou d’un service, se rendit le précurseur et l’auteur.
Car ce qui caractérise sans doute le mieux l’économie sociale, au-delà des spécificités statutaires qui la définissent, c’est d’abord cette capacité, à partir de l’initiative de quelques-uns inspirée par le ressenti d’un besoin commun – besoin de travail, d’outils, de solidarité, de culture et d’éducation –, de former une réponse adaptée et désintéressée. Cette quasi philosophie trouvera une résonance nouvelle avec la loi de 1901, dont son auteur n’imaginait sans doute pas qu’elle donnerait naissance, au fil des ans, à un pan entier de l’économie française, employant aujourd’hui plus de 1,7 million de personnes.
Les associations précèdent souvent, accompagnent toujours, les grandes questions, les grands besoins, les grandes idées suscités par les évolutions de notre société. Face au formidable enjeu de l’école républicaine pour tous, engagé par les lois de Jules Ferry, la société se mobilisera et développera l’éducation populaire, avec bien sûr la Ligue de l’enseignement et tous ceux qui, autour du sport, de la culture, du temps libre des enfants et des jeunes, se mobiliseront pour prolonger l’effort d’instruction de la nation.
Avec les congés payés et l’exceptionnel investissement du député Léo Lagrange pour le développement du tourisme populaire, de la culture et du sport pour tous, ce sera l’avènement du tourisme social, la construction du monde associatif sportif, culturel, socio-éducatif. Dans le même temps, au lendemain de la guerre, la petite « République des jeunes » imaginée par le préfet Olivier Philip deviendra fédération et confédération des Maisons des jeunes et de la culture, participant à la formation civique de tant de nos jeunes concitoyens. Faut-il aussi rappeler ceux qui, face à la détresse sociale, aux handicaps, à la maladie, surent se réunir et créer de vastes mouvements associatifs réunis aujourd’hui dans l’UNIOPSS, la FNARS et tant d’autres regroupements ?
Ces citoyens regroupés, désintéressés, prennent ensemble des initiatives qui dénoncent et imaginent enfin d’autres réponses, moins conventionnelles que celles fabriquées par nos modèles établis. Ce n’est pas le fruit du hasard si l’économie sociale s’est naturellement investie dans le champ de l’insertion des demandeurs d’emploi, si elle s’intéresse aujourd’hui à l’économie verte, au commerce équitable, à l’économie circulaire, aux monnaies locales, à la finance solidaire. Elle porte en elle le souci constant du bien collectif et se mobilise quand le bien commun est trop accaparé par quelques-uns.
Ce texte de loi est donc, d’une certaine façon, fondateur, dans le sens où il reconnaît, dans son ensemble et dans ses particularités partagées, l’économie sociale et solidaire. Il invite cette dernière à changer d’échelle en inscrivant dans la loi ce qui constitue ses fondements. Il s’agit d’abord de l’aspiration à la démocratie, par une gouvernance qui associe statutairement les adhérents, les salariés, les sociétaires, les bénévoles. Il s’agit ensuite de la tempérance et de la mesure : l’économie sociale est une économie du temps long, qui privilégie l’investissement collectif et échappe aux coups de bourse et aux profits surdimensionnés. Il s’agit, enfin, du bénéfice pour tous comme finalité, car l’économie sociale place l’homme et la réponse à ses besoins au coeur de son projet. Elle installe l’intérêt général au rang des finalités premières de l’activité économique.
Pour tout cela, l’économie sociale offre au pays un projet vertueux, que d’aucuns ont envie de rejoindre. Aussi Benoît Hamon – son auteur, que je salue – a-t-il voulu que cette loi soit inclusive, c’est-à-dire qu’elle permette aux acteurs du monde capitaliste qui ont envie d’adhérer à ses valeurs et d’adopter ses comportements, de rejoindre l’économie sociale. C’est en effet par l’extension de son domaine d’influence, par la propagation du modèle vertueux qu’elle incarne, qu’elle pourra aussi demain, grâce à cette loi, se développer.
La loi dont nous allons débattre, mes chers collègues, va aussi donner à l’économie sociale ses outils de représentation et de dialogue. Conseil supérieur de l’économie sociale, chambres régionales – utilement coordonnées par leur comité national –, chambre française de l’économie sociale seront demain plus encore – ils le sont déjà aujourd’hui – des interlocuteurs actifs des collectivités territoriales, de l’État, de l’Europe, mais aussi de bien d’autres nations inspirées par un modèle de développement participatif par nature, peu consommateur de capitaux et qui peut donner à bien des peuples de riches idées pour prendre en main leurs destins.
Six commissions se sont saisies pour avis de ce projet de loi ; cela veut simplement dire à quel point son ambition traverse un grand nombre des centres d’intérêt de la représentation nationale. Après que le Sénat l’a déjà largement enrichi, l’ensemble des auditions a permis d’éclairer des sujets aussi variés et sectoriels que l’extension de la révision coopérative, la création de SCOP d’amorçage et, dans l’ensemble, la modernisation de la loi de 1947, enrichie en relation constante avec Coop FR, dont je salue le travail de promotion et de défense du modèle coopératif.
La loi s’intéresse, bien sûr, à l’évolution du modèle mutualiste, dans ses composantes assurantielles et de santé, exemplaires toutes deux dans la conception qu’elles proposent de l’exercice d’une solidarité authentique, moderne, militante, dit-on, largement concurrentielle au regard des autres modes d’entreprises auquel ce monde est confronté. La loi s’intéresse enfin au monde associatif, dans les préoccupations transverses dont il est porteur, au-delà des agréments sectoriels qui reconnaissent et facilitent ses activités.
Les questions de l’engagement volontaire, de la formation des bénévoles et de la participation des plus jeunes à la vie sociale sont évidemment autant de sujets qui mobilisent les 800 000 associations actives en France, les millions de bénévoles qui les animent et les dizaines de milliers de salariés qui ont choisi d’y consacrer leur vie professionnelle.
Chaque famille de l’économie sociale et solidaire est ainsi concernée par ce texte. Toutes leurs composantes ne se reconnaissent pas forcément dans la terminologie d’« économie sociale » ; elles en relèvent pourtant par nature, et j’ai la conviction que ce texte, qui éclaire ce concept, permettra qu’il soit mieux connu et plus précis pour l’opinion et les décideurs, qui peinaient jusqu’à présent à différencier économie capitaliste et économie sociale.
Le dialogue avec les institutions et une meilleure connaissance par les partenaires habituels des entreprises – banques, administrations, justice – seront facilités par ce texte, qui leur permettra de mieux se repérer dans le monde complexe et varié de l’économie sociale ; je voudrais dire ici, bien qu’ils ne figurent pas dans le texte – ce n’est pas leur place – à quel point les outils de financements mis en place par Bpifrance sont attendus par les acteurs de l’économie sociale. Fonds de fonds, quasi-fonds propres, concours de trésorerie, fonds de soutien à l’innovation sociale : autant d’outils, essentiels et attendus, qui, à la faveur de l’adoption de ce texte, vont pouvoir prendre toute leur dimension et leur mesure.
Un mot, enfin, sur la création du nouveau droit à l’information accordé aux salariés. Chaque année, 50 000 emplois disparaissent car personne ne se porte candidat pour poursuivre l’activité de l’entreprise – le plus souvent une TPE ou une PME. Ce nouveau droit a pour objet de combattre cette situation, en développant chez les salariés l’envie et la culture de l’entrepreneuriat. Il invitera les salariés, sans entraver la liberté du propriétaire de l’entreprise, à étudier, s’ils le souhaitent, la poursuite de leur activité professionnelle plutôt que de se résigner à son extinction.
Voilà, mes chers collègues, une analyse rapide du contexte, de l’histoire et de la vision politique qui ont conduit à l’élaboration et à l’examen, aujourd’hui, de ce texte. Je souhaite que nos échanges soient riches et consolident une loi attendue par des milliers d’entreprises, des dizaines de milliers de salariés, des centaines de milliers de sociétaires et de bénévoles.