Intervention de Jean-Philippe Girard

Réunion du 7 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jean-Philippe Girard, président de l'Association nationale des industries agroalimentaires, ANIA :

Je vais essayer de répondre aux questions dans l'ordre. Non, nous ne manquons pas de structures collectives aujourd'hui. Nous en avons parfois même trop sur certains points. Nous avons peut-être besoin de davantage de lisibilité. C'est le travail effectué en ce moment par le comité stratégique de la filière alimentaire. L'enjeu est peut-être de spécialiser les pôles de compétitivité sur les grands enjeux : l'enjeu animal, l'enjeu végétal, l'enjeu process, l'enjeu conditionnement etc. Concernant l'origine des produits, je ne suis pas favorable à de nouvelles obligations. Je suis pour la transparence sur l'origine des produits car c'est dans l'intérêt de l'entreprise. Nous le devons au consommateur. Mais la démarche doit rester volontaire. Il faudra légiférer sur ce point. Mais il faut que l'Europe avance au même rythme. C'est un véritable problème pour nous si nous ne sommes pas suivis. Sinon nous nous freinons dans notre développement et notre croissance. Un équilibre est à trouver.

Vous avez évoqué le rapport du CESE, je le juge pour ma part incomplet. La composition nutritionnelle des produits est une question dépassée. Elle est aujourd'hui considérée comme l'élément fondateur du produit et le consommateur doit en effet pouvoir savoir à n'importe quel moment ce qu'il consomme. Nous lui devons ce faisant une certaine uniformité de l'information, qui doit être rendue plus lisible. Sur ce point, nous avons encore besoin d'avancer.

L'alimentaire est un secteur particulier, qui nous concerne tous, dans la vie de tous les jours. Le pas entre tradition et innovation est parfois difficile à franchir. En effet, l'innovation peut faire peur dans l'alimentaire et elle doit s'entendre comme une amélioration, sur un plan sensoriel, nutritionnel et fonctionnel. En tout état de cause, il faut ne faut pas qu'elle crée un blocage chez le consommateur. Nous ne faisons pas de l'innovation pour « brouiller », il s'agit de montée en gamme. De fait, on s'aperçoit que ceux qui sont les plus innovants dégagent des marges plus importantes et peuvent continuer l'aventure entrepreneuriale. Deux mots-clés sont à retenir et à relier : innovation et exportation. Dans la crise que nous vivons depuis cinq ans, nous voyons bien du reste comment des marges sont perdues sur les produits basiques, dans le secteur de la viande par exemple. Sur dix grands métiers du secteur alimentaire, cinq seulement contribuent à la balance positive en termes d'échanges extérieurs. Ce n'est pas un hasard si les cinq secteurs déficitaires sont également les secteurs les plus basiques. Soyons francs les uns et les autres, les sujets évoqués aujourd'hui, notamment la crise bretonne, l'étaient déjà il y a dix ans. Toutefois, la concurrence se joue désormais à l'échelle mondiale. Si nous n'avançons pas en termes d'innovation ou de labellisation, nous serons morts à terme !

Je veux revenir sur ce qui a été dit en ce qui concerne le défaut d'innovation dans l'alimentaire, avec ce fameux chiffre de 1,8 %. Prenez garde à ne pas mettre sur le même plan l'alimentaire et les secteurs du médicament ou de l'aéronautique. Nous innovons avec nos moyens et avec les marges dont nous disposons. J'ai demandé à mon chef économiste de travailler sur l'évaluation du pourcentage par rapport à la valeur dégagée du produit. On obtient alors un taux de 7,2 %. Allez vérifier dans les entreprises situées dans vos territoires, vous constaterez que nous innovons en permanence, à la fois sur le produit, sur le process, sur le plan social ou en matière d'ergonomie et que c'est inscrit dans les gènes des entreprises qui se développent. Tout le monde n'échoue pas dans la viande et la volaille ! Encore une fois, notre salut passe par l'innovation et la différenciation.

Le crédit impôt-recherche figure parmi les plus belles décisions prises au cours des vingt dernières années, car il constitue un moteur et une véritable incitation à l'innovation. Les entreprises qui ont intégré cette dimension recrutent et se développent. Nous avons même demandé son renforcement en direction des PME. J'insiste aussi sur les entreprises de taille intermédiaire, qui sont souvent les grandes oubliées. Le crédit impôt-compétitivité-emploi va également dans le bon sens mais il faut craindre qu'avec la guerre des prix, il ne fonde au terme des négociations commerciales avec la grande distribution, de sorte qu'à l'arrivée, ce soit cette dernière qui le touche doublement. A cet effet, les négociations en 2013, pour 2014, se sont très mal passées et ont été très tendues, vous pouvez du reste le vérifier au niveau de l'emploi et du nombre d'entreprises en difficulté dans le secteur.

S'agissant de « l'info conso », notre objectif est bien de remettre le consommateur au coeur de notre action. Nous lui devons transparence et vérité sur le produit et sur son prix, ce qui passe notamment par un étiquetage convenable. Sécurité, qualité et accessibilité du prix doivent aller de pair.

Le sujet des perturbateurs endocriniens, des additifs et des nano produits nous préoccupe, bien évidemment. Nous nous condamnerions à moyen terme si nous ne tenions pas compte des remarques de l'ANSES et des associations diverses. Cela étant, il faut dépasser l'opposition des bons et des mauvais produits et s'attacher aussi à la question de la consommation en excès ou en insuffisance. Sucre, sel et gras sont les grands sujets sur lesquels nous travaillons mais encore une fois, gardons de justes proportions. Trop de sel on meurt, sans sel on meurt également…

Nous achetons 70 % de la production végétale et animale, ce ratio a globalement peu évolué en quinze ans. L'enjeu à venir dans le contrat de filière consiste à mieux se connaître et mieux travailler ensemble. Tout le monde doit trouver de la valeur. Il est insupportable de voir un agriculteur ne pas parvenir à gagner sa vie, un transformateur qui peine, et une grande distribution qui orchestre l'ensemble. A 12 000 contre 7, nous devrions gagner, ce n'est malheureusement pas le cas. Sur les sept enseignes auxquelles nous faisons face, par ailleurs, trois sont souvent regroupées. Nous avons laissé un empire se créer et nous en sommes aujourd'hui dépendants. Il est très fréquent qu'une entreprise tourne pour 30 % de son chiffre d'affaires avec une seule enseigne et quand celle-ci agite la menace du déréférencement, les dégâts sont considérables. Nous devons parvenir à trouver un équilibre, en passant d'une logique de confrontation avec nos clients à une logique de co-construction, avec ce que j'appelle une « négociation responsable » sur les prix, les quantités, et aussi sur le plan moral.

Au sujet de la LME, quand je vois les efforts déployés ces dix dernières années, avec cinq lois votées, les avancées sont minces. La situation est globalement moins bonne qu'il y a dix ans. Beaucoup de débats, de crispations et de temps pour peu de résultats, en somme ! La relation avec la grande distribution reste à construire, en suivant notamment les exemples allemand ou anglais.

Les pôles de compétitivité sont une très bonne chose car une vraie dynamique a été insufflée dans certains territoires et au bénéfice de certains métiers, au détriment peut-être parfois d'une insuffisante spécialisation, dont nous avons besoin. Peut-être en avons-nous un peu trop fait initialement.

Je veux revenir sur les contrats de filière dont les enjeux sont l'emploi, l'investissement, le financement, l'innovation, l'exportation et la promotion. Sur ce dernier point, sachez que j'ai repris récemment la présidence du conseil de surveillance du salon international de l'alimentation (SIAL), réel enjeu pour nos entreprises. Nous venons du reste d'acter le lancement d'un « SIAL Africa », de sorte que nous serons désormais présents dans toutes les grandes régions du monde. Cela nous permet d'embarquer nos entreprises à l'export. J'en profite pour lancer un message : donnons de la gratuité à nos primo exportateurs pour leur permettre de goûter à l'export ! Enfin, le SIAL permet aussi d'aller chercher des ressources nouvelles et des produits nouveaux.

Dans le cadre du plan industrie, plusieurs sujets ont été identifiés en vue d'une alimentation plus saine, plus sûre et plus durable : l'emballage du futur – intelligent, pratique, qui évite le gaspillage et qui voyage bien, notamment pour les produits fermentés – l'abattoir du futur – avec comme objectif de rejoindre les Allemands et de les dépasser – le froid du futur – plus écologique et moins cher –, les ferments du futur – rappelons à cet effet que nos trois familles de produits les plus performantes à l'export sont constituées de produits fermentés avec le vin, le fromage et les produits laitiers, les céréales. Enfin, l'alimentation sur mesure et connectée peut faire peur de prime abord mais il s'agit par exemple de pouvoir identifier une allergie via les indications relatives au produit. Déjà aujourd'hui, avec les plateformes telles que Alimexpert ou Alimevolution, des inquiétudes peuvent être levées, au sujet de la date limite de consommation d'un yaourt par exemple.

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