Intervention de Patrice Carvalho

Réunion du 13 mai 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho, rapporteur :

La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui a été déposée au Sénat par notre collègue Évelyne Didier, sénatrice de Meurthe-et-Moselle, et adoptée en première lecture avec l'assentiment des sénateurs de tous bords politiques. Répondant à une forte attente des maires et des élus, souvent confrontés à des situations difficiles et qui attendent d'urgence cette clarification, elle vise à mieux répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies.

Il était en effet grand temps que les parlementaires se saisissent du sujet, car il y a péril en la demeure : les risques financiers et pénaux pour l'ensemble de nos collectivités, particulièrement pour nos communes, sont réels, sans même parler des enjeux en termes de sécurité pour nos concitoyens.

Chacun sait que, lors de la construction d'une nouvelle infrastructure de transport – par exemple une voie ferrée, une voie navigable ou une autoroute –, des ouvrages d'art sont parfois construits par le gestionnaire – il peut s'agir de Réseau ferré de France (RFF) ou de Voies navigables de France (VNF) – afin de rétablir la continuité des voies communales ou, le cas échéant, départementales lorsque celle-ci a été rompue.

Se posent ensuite la question de la répartition des coûts d'entretien, de réfection, voire de renouvellement et, partant, celle de la responsabilité juridique de ces ouvrages. À l'heure actuelle, en l'absence de dispositions législatives et réglementaires particulières, c'est une jurisprudence ancienne du Conseil d'État – elle remonte à 1906 ! –qui trouve à s'appliquer : le juge estime que ces ouvrages sont des éléments constitutifs des voies, puisqu'ils en assurent la continuité ; par conséquent, la collectivité propriétaire de la voie portée est également entièrement responsable de l'ouvrage, c'est-à-dire qu'elle doit en assurer l'entretien, la réfection et le renouvellement et garantir la sécurité à l'égard des tiers. En d'autres termes, ceux qui décident de la création d'une ligne venant à couper des voies existantes laissent ensuite les ouvrages de rétablissement de ces voies à la charge des collectivités, qui, elles, n'ont rien demandé.

Dès lors, le problème est double. D'une part, si l'ouvrage est correctement dimensionné en fonction de la voie nouvelle, rien n'assure qu'il le soit en fonction du trafic sur la voie interrompue. On a ainsi des exemples de ponts, construits lors de la canalisation de cours d'eau, qui correspondent certes au gabarit des bateaux qu'ils doivent laisser passer mais qui sont largement surdimensionnés pour le trafic qu'ils auront à supporter. Ce sont donc bien les besoins du gestionnaire de l'infrastructure nouvelle qui sont pris en compte, plutôt que ceux des collectivités : pourquoi serait-ce alors à celles-ci de payer ?

D'autre part, les petites communes ignorent parfois totalement que la responsabilité de l'ouvrage d'art leur revient. Lorsqu'elles l'apprennent, c'est que des travaux parfois lourds sont devenus urgents, pour lesquels elles ne disposent ni de l'expertise technique ni des moyens financiers nécessaires. Au cours du débat au Sénat a été cité l'exemple d'une commune du Calvados de 312 habitants, sollicitée par Réseau ferré de France pour effectuer les travaux de renouvellement d'un pont situé sur son territoire. Les coûts, pour elle, étaient estimés à 61 000 euros, soit 60 % de ses dépenses d'équipement annuelles, une charge financière qu'elle était bien évidemment dans l'impossibilité de supporter.

De tels faits sont d'autant plus choquants que l'État a opportunément su s'affranchir du même principe lorsqu'il était lui-même concerné. C'est ainsi que les sociétés d'autoroute ont signé des contrats de concession leur imposant de prendre en charge les ouvrages de rétablissement des voies comme si elles en étaient les maîtres d'ouvrage, ce qu'elles ne sont pas juridiquement. Ces contrats ont été établis au nom de la sécurité des usagers des autoroutes : la sécurité des usagers des autres voies de communication serait-elle d'une moindre importance ?

La complexité du sujet, la méconnaissance des risques, la dérive constatée en matière de prise en charge des ouvrages nous font donc obligation de traiter ce problème et d'en revenir à un principe simple, juste et de bon sens, selon lequel celui qui décide de construire une nouvelle voie doit en assumer les conséquences.

Les auteurs de la proposition de loi avancent une solution pragmatique, qui ne remet pas en cause la domanialité et le droit de propriété des collectivités sur ces ouvrages, mais cherche à établir une répartition des charges plus juste et plus équitable. La règle proposée serait la suivante : au gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport doit revenir la responsabilité de la structure de l'ouvrage d'art, y compris l'étanchéité ; au propriétaire de la voie rétablie, celle de la chaussée et des trottoirs.

En outre, le texte instaure l'obligation pour les parties de signer une convention, dont les principes généraux auront été rendus publics dès le stade du dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. Ce mécanisme permet de régler, d'une part, les questions spécifiques posées par chaque cas particulier et, d'autre part, le problème de l'information des collectivités sur leurs propres obligations.

S'agissant des ouvrages de rétablissement existants, le texte donne la possibilité à l'une ou l'autre partie de dénoncer les conventions existantes et d'en conclure de nouvelles sur les bases que je viens de présenter. En l'absence de convention et seulement en cas de litige, les parties auront trois ans pour signer un tel document.

Cette proposition de loi, qui rejoint des initiatives analogues de sénateurs de l'opposition et qui est soutenue par l'Association des maires de France, a bénéficié d'un excellent accueil au Sénat. Elle y a en effet été adoptée dans des conditions proches de l'unanimité. Le caractère pragmatique et aisément compréhensible du dispositif ainsi que les délais laissés à chacun des acteurs pour s'adapter à ce nouveau cadre juridique n'y sont sans doute pas étrangers. J'espère donc qu'elle bénéficiera du même soutien de notre commission, avant le débat en séance publique prévu la semaine prochaine.

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