Notre Commission est aujourd'hui saisie de la proposition de résolution européenne, que j'ai déposée le 16 avril dernier en commission des Affaires européennes, sur la proposition de règlement relative à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), présentée par la Commission européenne le 17 juillet 2013.
Créée par une décision du Conseil du 28 février 2002 et installé à La Haye, Eurojust a pour mission d'encourager et d'améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites judiciaires entre les autorités compétentes des vingt-huit États membres de l'Union européenne en matière de criminalité organisée transfrontalière – trafic de stupéfiants, traite des êtres humains, immigration irrégulière, fraude, contrefaçon, blanchiment d'argent et terrorisme.
Actuellement, 350 personnes travaillent au sein de l'institution, dont 80 magistrats. En 2013, Eurojust a traité 1 576 affaires, contre 202 l'année de sa création, en 2002 : le nombre de dossiers a été multiplié par plus de sept en dix ans.
L'organisation et le fonctionnement d'Eurojust sont aujourd'hui régis par la décision précitée du Conseil du 28 février 2002, telle que modifiée par la décision du Conseil du 16 décembre 2008. Or l'article 85 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) stipule qu'Eurojust a vocation à être régie par un règlement adopté conformément à la procédure législative ordinaire et que les co-législateurs fixent dans ce règlement la structure, le fonctionnement et le domaine d'action d'Eurojust.
C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui. En effet, la proposition de règlement déposée par la Commission européenne le 17 juillet 2013, et qui devrait succéder à la décision précitée du Conseil du 28 février 2002, vise à transformer Eurojust en une agence de l'Union européenne, dotée d'une nouvelle gouvernance. Elle apporte également des modifications aux prérogatives des membres nationaux d'Eurojust et définit les modalités selon lesquelles le Parlement européen et les parlements nationaux sont associés à l'évaluation des activités de l'Agence.
Je présenterai rapidement les modifications apportées par la proposition de règlement à la décision du Conseil, avant d'en venir à cette question de l'évaluation parlementaire.
Si la proposition de règlement modifie significativement la gouvernance et le fonctionnement d'Eurojust, elle demeure peu ambitieuse faute d'exploiter suffisamment les possibilités juridiques offertes par l'article 85 du TFUE. La Commission européenne a ainsi choisi de ne pas confier à Eurojust, comme l'y autorisait pourtant le Traité, la faculté de déclencher des enquêtes pénales, de proposer le déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, de coordonner ces enquêtes et ces poursuites ou encore de résoudre les éventuels conflits de compétences.
Si je ne peux que regretter ce manque d'ambition, je me félicite du renforcement des compétences des membres nationaux d'Eurojust, dont nous avons eu l'occasion de rappeler ici le rôle, en lien avec le Parquet européen et avec Europol.
La proposition de règlement vise également à rénover la gouvernance d'Eurojust, par une nouvelle structure à deux niveaux. D'une part, sont instaurées deux formations distinctes du collège, dédiées l'une aux fonctions opérationnelles, l'autre aux fonctions de gestion ; ces dernières recouvrent notamment l'adoption des documents de programmation et du rapport annuel d'activité, l'adoption du budget annuel, la programmation des ressources humaines et la nomination du directeur administratif. D'autre part, un conseil exécutif de taille réduite est créé, chargé d'assister la formation du collège dédiée aux fonctions de gestion administrative et budgétaire.
La création de ces deux nouvelles structures renforce sensiblement les pouvoirs de la Commission européenne, laquelle sera représentée au sein de ces deux instances décisionnelles. Or Eurojust n'est pas une agence de l'Union européenne comme une autre ; les spécificités de la coopération judiciaire en matière pénale doivent impérativement être respectées. La faible évolution des attributions d'Eurojust ne saurait en aucun cas justifier l'augmentation excessive du rôle et des pouvoirs de la Commission européenne dans la nouvelle gouvernance, qui risquerait de remettre en cause l'indépendance de l'Agence à l'égard des institutions européennes. Cette question fait l'objet du point 6 de la proposition de résolution.
La proposition de règlement vise également, selon la Commission européenne, à renforcer le régime de protection des données personnelles traitées par Eurojust. Le texte propose ainsi de confier la protection des données non plus à un organe de contrôle indépendant et collégial – tel l'organe de contrôle commun qui en était chargé depuis la création d'Eurojust en 2002 –, mais au Contrôleur européen de la protection des données. L'Allemagne et la France ont souligné leur préférence pour le maintien d'une autorité de contrôle ad hoc, justifiée par la spécificité des données personnelles collectées en matière pénale. Cette position est réaffirmée au point 8 de la proposition de résolution.
La proposition de règlement redéfinit également les conditions dans lesquelles les données personnelles transmises par les États membres et traitées par Eurojust pourraient être transférées vers des pays tiers ou des organisations internationales. Ainsi, l'autorisation de l'État membre pourrait désormais être réputée acquise si ce dernier n'a pas expressément limité la possibilité d'effectuer des transferts ultérieurs ou s'il a donné son accord préalable en des termes généraux. De notre point de vue, le consentement d'un État membre doit être expressément donné pour que le transfert soit sécurisé. C'est l'objet du point 7 de la proposition de résolution.
J'en viens à l'évaluation parlementaire. L'article 85 du TFUE dispose que le règlement ayant vocation à régir demain le fonctionnement et l'organisation d'Eurojust fixe « les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust ». Pour se conformer aux dispositions du Traité, la proposition de règlement prévoit la transmission au Parlement européen et aux parlements nationaux d'une série de documents : le rapport annuel d'activité et les résultats d'études et de projets stratégiques élaborés ou commandés par l'Agence.
Cela ne paraît pas suffisant pour garantir un contrôle démocratique digne de ce nom des activités d'Eurojust, qui ont une incidence sur les droits fondamentaux et particulièrement sur la vie privée des citoyens, ne serait-ce que par l'échange de données à caractère personnel. Cette position est rappelée au point 2 de la proposition de résolution.
Avant même que le Parlement européen ne se prononce sur la proposition de règlement, il me paraît indispensable de définir des modalités d'évaluation parlementaire bien plus ambitieuses, sur le modèle de ce qui a été proposé pour Europol. C'est d'autant plus important que le parquet européen va être créé à partir d'Eurojust.
Comme elle l'a fait en décembre 2013 pour Europol, notre Commission – et, plus largement, notre assemblée – doit clairement se prononcer en faveur de la création d'une commission mixte d'évaluation qui se réunirait au Parlement européen. Cette commission serait composée, d'une part, de représentants du Parlement européen, membres de la commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) ; d'autre part, d'un représentant de chaque parlement national, membre de la commission compétente en matière de justice, et d'un suppléant. Les États membres dont le système parlementaire est bicaméral seraient représentés par un membre de chaque chambre. La commission mixte serait coprésidée par le président de la commission LIBE du Parlement européen et par un membre du parlement national de l'État assurant la présidence tournante du Conseil. Convoquée par ses deux coprésidents, la commission devrait être dotée d'attributions effectives et pouvoir, à ce titre, entendre, à sa demande, le président et les vice-présidents d'Eurojust, et recevoir l'ensemble des documents dont seront également destinataires les parlements européen et nationaux.
Enfin, les parlements nationaux doivent pouvoir continuer à prendre leurs propres mesures d'évaluation des activités d'Eurojust. Dans cette perspective, la proposition de règlement ne saurait restreindre les pouvoirs d'évaluation que les parlements nationaux détiennent et exercent en application des législations nationales.
En conclusion, si certains éléments de la proposition de règlement constituent des progrès, d'autres – comme le renforcement des pouvoirs de la Commission ou la protection des données – appellent des observations et des réserves. L'évaluation parlementaire des activités d'Eurojust nécessite également une prise de position claire des parlements nationaux, qui doivent se saisir des pouvoirs qui leur sont dévolus par le Traité de Lisbonne.
Telle est l'ambition de la proposition de résolution européenne qui vous est soumise. Adoptée à l'unanimité par la commission des Affaires européennes, elle ne fait que transposer à Eurojust, en prélude à la création du Parquet européen, les dispositions que nous avons votées au sujet d'Europol. Je vous propose donc de l'adopter en l'état.