Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 15 mai 2014 à 15h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Comme vous l’avez dit, madame la rapporteure, cette commission mixte paritaire a été un succès, puisque le texte a été adopté à l’unanimité par les députés et les sénateurs membres de cette commission, dont je salue la qualité du travail.

Comme vous avez présenté de façon quasiment exhaustive le contenu de ce projet de loi, je ne me livrerai pas à un exercice inutilement redondant. Je me contenterai de rappeler, comme vous l’avez fait à l’instant, que les dispositions de cette directive relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, que nous transposons, sont liées à une partie des dispositions de la directive relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. En effet, nous avons eu le scrupule d’introduire dans ce projet de loi la possibilité, pour la personne entendue en audition libre et soupçonnée d’un délit ou d’un crime, d’accéder à un avocat.

Pour le reste, nous consolidons une jurisprudence élaborée par le Conseil constitutionnel, puisque le législateur n’était pas allé jusqu’au bout de sa compétence lors du débat sur la réforme de la garde à vue – malgré les discussions sur l’encadrement des modalités de l’audition libre, le législateur n’avait pas adopté de dispositions normatives en la matière. Le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur ce sujet quelques mois plus tard, a donc établi une jurisprudence selon laquelle la personne entendue en audition libre doit notamment être informée qu’elle peut garder le silence, qu’elle peut quitter les lieux à n’importe quel moment, et qu’elle a le droit de connaître la nature et la date de l’infraction éventuelle qui lui est reprochée. Nous avons complété cette jurisprudence par les dispositions contenues dans la directive relative au droit à l’information, et nous avons anticipé la transposition de la directive relative au droit d’accès à un avocat.

Parce que nous nous trouvons justement à cheval entre deux directives, il est bon de nous rappeler que nous nous situons dans un processus engagé à Tampere, en 1999, lorsque le Conseil européen a considéré qu’il était important de mettre en place un espace de sécurité, de liberté et de justice. Ce processus se construit par étapes, du programme de La Haye à celui de Stockholm, qui s’achève cette année ; le traité de Lisbonne, qui a pris le relais, intègre l’ensemble du champ pénal dans la compétence communautaire et nous engage vers la construction du parquet européen. Nous devons garder à l’esprit que nous sommes en train de consolider l’instauration, dans l’ensemble des pays européens, de normes minimales relatives à la protection des victimes et des personnes poursuivies, ainsi que la reconnaissance mutuelle de décisions judiciaires et pénales.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit le présent projet de loi, qui deviendra très bientôt une loi, compte tenu de son parcours glorieux effectué en un temps record. Je veux vous en remercier, car nous pourrons ainsi procéder à la transposition de la directive dans les délais, c’est-à-dire avant le 2 juin 2014. Au-delà de cette date, vous savez ce que risque la France, et qui lui est déjà arrivé trop fréquemment.

Vous l’avez rappelé, madame la rapporteure : de nombreuses dispositions ont été débattues, assez intensément pour certaines d’entre elles, et sont maintenant bien inscrites dans le texte. Sur un certain nombre de points, la commission mixte paritaire a su assurer la convergence nécessaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais aussi introduire des subtilités de rédaction qui ont éliminé des difficultés de compréhension ou des possibilités de malentendus. Ces améliorations rédactionnelles et techniques ont permis l’élaboration d’un texte aujourd’hui facile à lire, facile à comprendre, et qui sera donc, je l’espère, facile à appliquer.

Ce matin, lors de la discussion de ce texte au Sénat, j’ai présenté au nom du Gouvernement deux amendements. Je ne les développerai pas maintenant : je me bornerai à préciser l’objet de chacun d’eux, en attendant de les examiner tout à l’heure.

L’amendement n° 1 vise à prendre en compte une décision rendue par le Conseil constitutionnel, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, concernant le point de départ de la garde à vue. Votre assemblée avait souhaité exclure du décompte de la durée de la garde à vue le temps passé en cellule de dégrisement, pour une personne interpellée en état d’ivresse.

Nous avons tiré les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel pour éviter qu’une procédure ne soit annulée si le temps de dégrisement n’a pas été inclus dans la durée de la garde à vue.

L’amendement n° 2 tend à permettre aux enquêteurs, lorsqu’une garde à vue est engagée, d’interroger la personne sur une autre affaire. Ils sont alors contraints d’informer la personne de son droit à être assistée par un avocat. Elle peut en effet avoir besoin d’un avocat différent, spécialisé dans un autre domaine que celui qui est présent pour l’affaire ayant donné lieu à la garde à vue.

En dehors de ces deux précisions qui ont été introduites ce matin, le Gouvernement prend acte de l’amélioration du texte compte tenu de l’excellent travail de la commission mixte paritaire.

Nos procédures pénales ont été améliorées aussi bien au stade de l’enquête que de la poursuite et du jugement, mais ces améliorations sont arrivées par étapes, par à-coups. C’est du moins ce qui est dit pour montrer très clairement que nous n’avons pas su anticiper, sachant qu’il s’agit là, sur le plan institutionnel, d’un « nous » global de responsabilité, puisque nos procédures pénales ont été, ces dernières années, modifiées essentiellement sous la pression et parfois la contrainte de décisions des juridictions suprêmes.

Je l’ai dit en première lecture, j’estime que cela n’est pas une bonne méthode pour modifier le code pénal. Aussi, dès le début du mois de février, j’ai pris l’initiative de charger le procureur général Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon, d’une mission. À ses côtés, se trouvent un avocat, un haut fonctionnaire de police, un procureur de la République et un magistrat du siège. Début juin, ils me remettront leurs propositions qui devraient nous permettre de penser l’architecture de notre procédure pénale, laquelle se divise en deux parts très inégales : 97 % d’enquêtes préliminaires qui relèvent du ministère public, du parquet, et seulement 3 % d’instructions qui produisent des procédures pénales où la dimension contradictoire est plus réelle, plus concrète, plus forte que dans l’enquête préliminaire ou l’enquête de flagrance où les droits de la défense ne sont pas inscrits de la même façon.

Nous allons donc travailler notre procédure pénale de façon plus anticipée, plus pensée, plus construite. Ainsi, nous allons reprendre la main et faire en sorte que les tensions, que nous constatons depuis plusieurs années avant même la réforme de la garde à vue, disparaissent. D’un côté, les enquêteurs expriment une inquiétude quant à l’efficacité de leurs enquêtes en estimant que ces modifications qui arrivent sans qu’on les voie venir sont de nature à fragiliser les enquêtes. De l’autre, les avocats considèrent que les droits de la défense sont insuffisamment établis et consolidés, et que par conséquent les justiciables se retrouvent démunis, donc vulnérables s’ils sont happés par une procédure, qu’il s’agisse d’une audition libre ou d’une garde à vue.

Lorsque l’on regarde les chiffres, on peut effectivement penser qu’il y a lieu de s’inquiéter de la préservation des libertés individuelles puisque 800 000 procédures environ sont engagées par an. Or l’on ne peut pas penser que 800 000 citoyens sont effectivement impliqués dans des procédures pénales, donc auteurs d’incriminations. Par conséquent, il y a lieu d’être vigilant sur la protection des libertés individuelles.

En même temps, il ne faut pas désarmer les services d’enquête lorsque ces derniers doivent faire la preuve d’incriminations, y compris d’incriminations graves, de crimes. Il faut donc veiller à la fois à l’efficacité des enquêtes, à la préservation des libertés individuelles et à la sécurité des procédures – tel est, vous le savez, le triptyque que je revendique régulièrement. Même si des actes sont effectués sur la base de nos textes de loi, nous savons bien que si ces textes ne sont pas conformes au droit communautaire – ce qui peut arriver lorsque nous ne transposons pas dans les délais – ou à la Constitution – lorsque le Conseil constitutionnel se prononce en ce sens sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité par exemple –, des procédures peuvent être annulées. Cela est arrivé il n’y a pas bien longtemps, en octobre 2013 sur la base de procédures engagées bien avant notre arrivée aux responsabilités.

Mais comme je crois à l’unité et à la continuité de l’État, il est important, même si nous n’étions pas en cause, que nous assumions le fait que des procédures soient fragilisées et même annulées du seul fait que les dispositions contenues dans la loi ne sont pas totalement conformes à la Constitution – ou aux conventions internationales puisqu’existe également un contrôle de conventionnalité.

C’est dans cette logique que nous avons travaillé sur ce texte avec, en perspective, les propositions qui nous seront faites par la mission Beaume d’une part, et le travail que nous allons entreprendre à partir des travaux de la mission d’autre part, mais avant la transposition de la directive relative au droit d’ accès à l’avocat. Dès que je recevrai ces propositions, je vous les soumettrai et vous proposerai des séances de travail afin que nous pensions, ensemble, l’amélioration de notre procédure pénale.

À cette occasion reviendra évidemment le débat que nous avons eu en première lecture, à savoir l’accès à l’entier dossier. Telles que les choses étaient posées, nous avons bien vu qu’elles n’étaient pas satisfaisantes. En termes de calendrier, elles étaient quelque peu prématurées. Mais il n’empêche que nous ne pouvons pas faire l’économie du débat sur la consolidation réelle et durable des droits de la défense, car c’est tout simplement une condition du procès équitable, conformément au respect du principe de l’État de droit et de la protection due à tous les citoyens, aussi bien aux victimes qu’aux justiciables, sachant que le fait d’assurer les droits de la défense est aussi une garantie d’efficacité. Les mêmes inquiétudes qu’aujourd’hui se sont fait jour, peut-être même avec plus d’intensité, lors de la réforme de la garde à vue, certains expliquant que si l’on acceptait la présence de l’avocat, cela nuirait aux enquêtes. Aujourd’hui, nous entendons les enquêteurs eux-mêmes dire, en toute responsabilité, que la présence de l’avocat a, au contraire, amélioré la conduite des enquêtes. Le respect des droits de la défense n’est pas de nature à nuire à l’efficacité des enquêtes, mais est de nature à respecter les principes sur lesquels reposent notre Constitution, d’une part, et notre État de droit, d’autre part.

Merci d’avoir apporté cette brique essentielle dans l’édifice de cet espace de liberté, de sécurité et de justice. Merci surtout de l’avoir fait dans ces délais parce que par les temps qui courent, nous n’avons pas des millions d’euros à consacrer à des infractions pour non-transposition de directive européenne.

Avec les élections européennes qui arrivent et alors que l’on constate un désintérêt pour ce rendez-vous pourtant majeur, notamment dans la période où nous vivons, il est important de rappeler que les directives européennes sont des instruments juridiques que nous élaborons ensemble. L’Europe n’est pas un deus ex machina qui se trouve au-dessus des États. L’Europe est composée d’institutions que les États ont mis en place et auxquelles ils participent. C’est l’implication active, dynamique et volontariste des États dans les institutions européennes qui permet que les directives et les règlements soient élaborés conformément à nos principes et à nos voeux. C’est précisément le retrait des États par rapport aux institutions européennes – retrait actif comme certains semblent le proposer ou retrait passif, c’est-à-dire une participation passive à l’Europe, sans être acteur de la construction européenne, sans participer à l’élaboration des textes de loi – qui fait que nous nous retrouvons avec des textes qui ne nous conviennent pas et que nous sommes néanmoins obligés de transposer.

L’enjeu est considérable, et il nous revient de nous emparer du rendez-vous que nous avons devant nous. Qu’il s’agisse de tous les voeux que nous émettons pour l’Europe, de toutes les aspirations et des espoirs que nous avons pour elle, ou qu’il s’agisse de tous les mécontentements que nous exprimons, de toutes les insatisfactions que nous pouvons éprouver, la seule réponse à tout cela, c’est d’être actif dans la construction européenne, c’est de participer aux institutions européennes, non pour les noyauter de l’intérieur, pour les saborder, mais pour faire en sorte que ces institutions qui existent et qui continueront d’exister soient réellement au service des peuples européens, au service des citoyens européens. L’Europe doit nous ressembler davantage qu’à ceux qui jusqu’à maintenant en ont essentiellement fait un espace de consommation alors que c’est un espace de culture, d’art, de dialogue et de solidarité.

En ces circonstances, il nous revient de faire en sorte que cela apparaisse plus clairement encore aux yeux de nos concitoyens.

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