Le texte que nous examinons aujourd’hui est une transposition de la directive du 22 mai 2012 qui vise à établir des normes minimales dans l’ensemble des États membres en ce qui concerne le droit des personnes suspectées ou poursuivies d’être informées de leurs droits fondamentaux et d’avoir accès aux pièces de la procédure.
Le texte transpose également une partie de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat pour les personnes suspectées, dans le cadre de l’audition libre. Nous nous félicitons bien entendu de ces transpositions car elles apportent une amélioration des garanties pour les personnes auditionnées, gardées à vue ou poursuivies.
Ainsi, une personne auditionnée ne pourra plus être entendue par la police ou la gendarmerie qu’après avoir été expressément informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Elle pourra se faire assister d’un avocat. De plus, une audition libre ne pourra plus avoir lieu à la suite d’une arrestation. La victime pourra, lors d’une confrontation avec un suspect libre, être également assistée par un avocat.
La loi accroît la nature des informations qui devront être délivrées à la personne gardée à vue, oralement mais également par une déclaration écrite. Nous regrettons sur ce point qu’il n’ait pas été prévu que la personne gardée à vue puisse prendre tout contact utile afin d’assurer l’information et la prise en charge de ses enfants. Ce droit existe pour les personnes retenues pour vérification du droit au séjour, il est regrettable de ne pas avoir aligné les garanties.
La loi améliore également l’accès au dossier et l’information dans la phase précédant immédiatement le jugement.
Nous saluons le travail des rapporteurs qui, à l’Assemblée comme au Sénat, puis au sein de la commission mixte paritaire, ont permis l’amélioration d’un texte dans des délais pourtant contraints par la procédure d’urgence.
Sur ce texte, nous avons toutefois un regret important. En commission, les députés du groupe écologiste avaient fait adopter un amendement essentiel, avec le soutien de députés de la majorité comme de l’opposition. Il s’agissait de donner accès à l’avocat au dossier de garde à vue. Le Gouvernement et le groupe majoritaire ont souhaité revenir sur cette avancée, ce qui nous semble regrettable à plusieurs titres.
Trop souvent, et cela a été souligné dans nos débats, notre législation n’a réagi qu’avec retard aux injonctions de la Cour européenne des droits de l’homme ou du Conseil constitutionnel. C’est particulièrement vrai sur la garde à vue. Pour rappel, afin que l’avocat puisse assister aux gardes à vue, il a fallu une décision de la CEDH, Brusco contre France, du 14 octobre 2010, suivie de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation. Le Gouvernement et le législateur étaient restés sourds aux différentes alertes.
Dans sa défense, le Gouvernement a beaucoup insisté sur le fait que la directive n’imposait pas, dans l’immédiat, l’accès au dossier en garde à vue. Nous n’avons jamais dit l’inverse. Mais l’esprit de la directive est bien d’aller vers cet accès au dossier. La directive indique ainsi que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la légalité de la privation de liberté. Par ailleurs, elle fait référence à des preuves matérielles, portant donc sur le fond du dossier, et pas seulement à des éléments permettant de contester la mesure de garde à vue sur des aspects de forme.
Par ailleurs, dans un arrêt Dayanan contre Turquie de 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, en se basant sur l’article 6 de la convention, que : « le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. »
La cour a relevé que « l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire ».
Concernant spécifiquement le droit à l’assistance effective d’un avocat en garde à vue, elle estime que « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil ». À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer. Il est donc incontestable que l’accès au dossier de procédure constitue un droit relevant de la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil visées par la jurisprudence de la Commission européenne.
Actuellement, les pièces de la procédure dont l’avocat peut prendre connaissance ne concernent en rien les éléments de fond du dossier. Il ne peut informer la personne gardée à vue de la nature et de l’étendue des indices qui auraient été relevés à son encontre. Dès lors, ces dispositions portent atteinte aux droits de la défense et au principe du procès équitable prévu par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous sommes donc exposés à une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans l’hémicycle, la rapporteure et la garde des sceaux ont souligné que la mission Beaume était chargée de réfléchir sur cette question. Une réforme est donc promise pour plus tard. Nous espérons simplement qu’elle ne viendra pas après une condamnation de la Cour européenne.
Sur un autre sujet, nous nous félicitons de l’adoption de l’article 6 ter suite à un amendement écologiste sur le droit pénitentiaire. Il permettra un accès au dossier et aux preuves, notamment aux bandes de vidéosurveillance pour une personne détenue poursuivie par la commission de discipline. Cet article a été remanié en CMP. Nous nous félicitons de cet ajout. Le droit pénitentiaire est une construction encore imparfaite et fragile malgré l’arrivée de l’avocat dans les prétoires il y a quinze ans maintenant et l’adoption d’une loi pénitentiaire il y a cinq ans. Il faudra donc continuer cet ouvrage, là encore inabouti. Nous espérons que la réforme pénale sera l’occasion d’y revenir.
En conclusion, nous saluons surtout les avancées d’un texte que nous soutenons et que nous voterons.