Intervention de Marion Maréchal-Le Pen

Séance en hémicycle du 15 mai 2014 à 15h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarion Maréchal-Le Pen :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, étant attachée à la souveraineté du peuple français, pardonnez-moi d’aborder avec un certain scepticisme le principe même de ce texte, ce dernier nous étant imposé par la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Nous sommes donc sommés de transposer cette directive avant le 2 juin sous peine de sanction. Or si l’on veut construire un projet des moins perfectibles et des plus équilibrés, l’empressement n’est pas le meilleur des conseils.

Cette question afférente à l’un de nos pouvoirs régaliens, doit en effet être réfléchie sans pressions extérieures et sans réflexes corporatistes. Le vote de chacun des membres de la représentation nationale doit être dénué de tout intérêt professionnel afin de préserver autant les droits des prévenus que la sécurité des victimes.

Certes, il est constructif de donner plus de droits à caractère informatif aux suspects, gardés à vue et poursuivis. Les avocats verront leur rôle accru et pourront mieux établir la défense de leur client grâce à des informations nouvelles basées sur la qualification des faits et les motifs de garde à vue. Ils y trouveront des éléments pour contester la mesure dont leur client est l’objet. Mais cette avancée, fondée sur le principe, ne va pas dans le sens pratique de l’allégement nécessaire des procédures et du travail des forces de l’ordre aux effectifs toujours plus réduits.

C’est vrai, la création du statut des suspects libres devenait nécessaire, compte tenu du nombre de personnes placées en audition libre – de l’ordre de 800 000 – et ne bénéficiant de quasiment aucun droit notifié. Parallèlement, 380 000 individus ont été placés en garde à vue. Néanmoins l’audition libre, dans son caractère moins formel, permettait de recueillir des informations avec plus de rapidité.

Faute de moyens financiers et humains supplémentaires, ce ne sera malheureusement plus le cas avec le nouveau statut créé. En effet, les auditions libres encadrées par ces nouvelles mesures et maintenues dans un délai maximal de quatre heures risquent d’inciter les services de police à recourir aux gardes à vue. Le travail d’investigation sera alourdi par l’ajout de ces informations, et ce au détriment tant de l’efficacité des services de police que de la rapidité des procédures. De plus, comment garantir du point de vue logistique la confidentialité des échanges entre l’avocat et le suspect lors de l’audition libre ?

La confidentialité et le respect du secret professionnel sont fondamentaux pour la sécurité des personnes engagées et l’efficacité de l’enquête, auxquels ne sont pas soumises les parties souhaitant prendre copie du dossier de la procédure au stade de l’instruction. Dans cet esprit, la réévaluation des sanctions en tant que manquement à ces discrétions me semble insuffisante pour être efficacement dissuasive.

L’article 6 du projet de loi peut allonger les délais d’audiencement pour les personnes poursuivies par citation directe ou par convocation par officier de police judiciaire grâce à une simple demande de leur part provoquant un renvoi automatique. L’inconvénient explicite est l’allongement de la procédure alors que, dans un même temps, les victimes et leurs familles se verront imposer un délai angoissant et psychologiquement très déstabilisant.

Le texte modifié de la commission répond en partie aux difficultés de mise en oeuvre de la transmission de l’intégralité des pièces du dossier au gardé à vue en limitant ce droit à certaines pièces. C’est une bonne chose. Néanmoins, alors que notre système carcéral souffre d’une pénurie de moyens tant financiers que matériels, que l’efficacité de la procédure pénale est de plus en plus mise à mal, que la délinquance explose dans notre pays, il est opportun de se demander si le contexte permet une telle réforme quand bien même serait-elle fondée sur certains aspects.

Madame la garde des sceaux, vous avez vous-même concédé que cette réforme entraînerait un surcoût de 11 à 25 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle. On peut aussi mentionner les coûts supplémentaires pour les finances publiques dans la rétribution des interprètes, la gratuité de la détention de la copie du dossier dans la phase judiciaire de l’enquête, sans compter l’alourdissement du temps de travail pour les services d’enquête ainsi que pour les greffiers devant copier les dossiers vis-à-vis des nouvelles dispositions relatives au droit à la copie sous le délai d’un mois et la multiplication des risques d’annulation de procédure.

Le projet ne doit pas confondre la phase policière et la phase juridictionnelle. Chacun des échelons doit être respecté dans ses spécificités et prérogatives afin de maintenir l’équilibre entre la recherche de la preuve et les droits de la défense, tout en pensant aux droits essentiels des victimes.

Au-delà de ces considérations, l’on peut regretter une fois de plus l’entrisme des institutions européennes dans notre droit national et un droit de l’Union européenne marqué par l’influence normative anglo-saxonne. C’est pourquoi cette standardisation européenne ne se fait qu’au détriment de notre droit romaniste. Nous assistons à une marchandisation des systèmes de droit qui n’aboutiront pas à une hybridation mais bel et bien à une uniformisation des pratiques juridiques au profit du common law anglo-saxon.

Madame la ministre, vous avez déjà évoqué « un nouveau rendez-vous et pas aux calendes grecques ». C’est pourquoi nous observerons avec une grande vigilance les conclusions du rapport Beaume prévues pour le mois de juin. La justice ne doit pas être accaparée ni par des corporations, ni par une idéologie prompte au renversement des normes et des valeurs profitant d’une directive européenne périlleuse qui ne doit d’ailleurs être transposée qu’en novembre 2016. L’empressement est donc parfaitement inutile.

Je salue le refus du Gouvernement de ne pas avoir soutenu la communication du dossier à l’avocat dès le début de la garde à vue, souhaitée par les écologistes. Cela ne trouve aucun fondement dans le droit positif. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont refusé de consacrer un tel droit. Par conséquent, la garde à vue doit demeurer une phase d’enquête d’établissement des faits. S’il devait en être autrement dans les prochains mois, nous basculerions dans un système accusatoire anglo-saxon scellant le sort du juge d’instruction et où les suspects les plus fortunés pourraient s’offrir une défense plus solide.

Nous ne devons pas favoriser l’affrontement entre syndicats avocats et syndicats policiers. C’est pourquoi l’équilibre doit être le maître mot : équilibre des droits des suspects et des victimes, équilibre temporel dans les différentes phases de la procédure, équilibre entre les différents acteurs encadrant la procédure pénale, équilibre dans les traditions des pratiques juridiques. Cet équilibre ne me semblant pas parfaitement respecté, je m’abstiendrai sur ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion