Intervention de Antoine Herth

Séance en hémicycle du 15 mai 2014 à 15h00
Économie sociale et solidaire — Article 50

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth :

Je voudrais sonner le tocsin à propos de l’article 50 bis. Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous connaissez parfaitement le monde anglo-saxon et que vous comprendrez très bien les éléments que je vais tenter d’apporter.

J’avais été missionné, comme d’autres parlementaires, pour faire un rapport sur le commerce équitable en 2004. À l’issue de ce rapport, dont je tiens quelques exemplaires à votre disposition, se posait la question de la nécessité ou non de légiférer.

La réponse a été : oui, il faut légiférer, mais il ne faut pas pour autant organiser le commerce équitable par voie législative. Il était notamment nécessaire de renforcer la sécurité juridique des collectivités territoriales, qui mentionnaient dans les critères d’attribution de leurs marchés publics la préférence pour des produits issus du commerce équitable, car n’importe quelle chambre régionale des comptes pouvait remettre ce dispositif en question en se fondant sur l’absence d’assise législative du commerce équitable.

La loi actuelle est donc extrêmement sibylline sur cette question et se contente de créer cette assise législative. Quant à l’organisation de la filière, elle n’a pas été modifiée par le législateur, car c’est bien le monde associatif, et non les États, qui a inventé le commerce dit équitable : ses instances de concertation vérifient sa conformité aux cahiers des charges et la font contrôler par des organismes certificateurs indépendants.

Un dispositif similaire existe en France, puisque l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, qui délivre les signes officiels d’identification de la qualité, est chargé de la mise en place des cahiers des charges et de la vérification. Dans un deuxième temps, des organismes certificateurs procèdent à des contrôles et, le cas échéant, prononcent des sanctions. Tel est le système en vigueur.

Or, le projet de loi fait bouger les curseurs, sur le fond comme sur la forme. Sur le fond, il introduit une nouvelle définition du commerce équitable en élargissant son champ aux relations « Nord-Nord » : il ne se limitera donc plus aux relations entre pays en développement et pays développés. Dès lors, il convient de le réglementer : c’est l’objet des décrets relatifs à la définition des différents cahiers des charges prévus par l’article.

Pour ma part, je pense que cet article soulève plus de problèmes qu’il n’apporte de réponses. Un problème d’ordre presque moral, d’abord : en banalisant le commerce équitable, nous déshabillons Pierre, petit producteur dans un pays en développement, pour habiller Paul, petit producteur en France. Or, ce dernier ne subit pas les mêmes désavantages que le producteur du pays en développement, qui n’a pas accès à la scolarisation, à la santé, à la sécurité que peut offrir un État développé comme la France.

Du reste, nous n’avons pas attendu l’ extension du champ du commerce équitable aux pays du « Nord » pour créer les AMAP – Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne – et il ne s’agit pas de « commerce équitable », mais de « commerce solidaire » : à d’autres mots correspond une autre réalité.

Par ailleurs, l’extension du champ du commerce équitable aux relations « Nord-Nord » est justifiée par la nécessité de soutenir les petits producteurs de nos régions défavorisées en France. Or, la France n’est pas un marché en soi : notre marché intérieur est le marché européen, et nous devons être conscients que les plus défavorisés des producteurs européens ne sont pas les producteurs français, mais les petits paysans du fin fond des Carpates, qui auront ainsi la possibilité d’entrer sur notre marché pour bénéficier des nouvelles dispositions sur le commerce équitable.

Nous aurons donc un contentieux avec l’Union européenne, car adopter une législation valant uniquement pour la France peut être considéré comme une sorte de barrière douanière.

Je terminerai sur ce qui, peut-être, me chagrine le plus. À l’époque du rapport, il m’avait été demandé avec la plus grande d’insistance d’établir un cadre législatif et réglementaire très précis, similaire à celui prévu par le présent projet de loi, pour permettre aux opérateurs des industries agro-alimentaires et aux grands distributeurs de créer leur propre filière de commerce équitable.

Je prends le paris que, six mois ou un an après la publication de ce texte, les marques de distributeur labellisées « commerce équitable » seront inattaquables, car elles respecteront à la lettre la réglementation, sans pour autant respecter l’esprit du projet de loi que nous examinons.

En conclusion, se pose la question des sanctions et des contrôles. Il y a là une dimension absurde : depuis trois jours, nous parlons de l’amour et de l’intérêt que nous portons au monde associatif ; or, nous sommes en train de dépouiller le monde associatif de son rôle historique et de son travail actuel sur le commerce équitable pour l’enfermer dans une réglementation contraignante. Cela me désole vraiment, et c’est pourquoi je vous propose de supprimer l’article.

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