Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 14 mai 2014 à 10h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, président et rapporteur :

Alors qu'après plusieurs reports, l'écotaxe allait être mise en oeuvre au 1er janvier 2014, les manifestations et les contestations bretonnes ont conduit le gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault à suspendre sine die son application.

Consciente qu'en prenant cette décision le Gouvernement s'était mis dans une impasse, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a considéré que, compte tenu des enjeux, financiers, environnementaux, économiques et sociaux, il pouvait être utile de demander à des députés de toutes sensibilités d'essayer d'identifier le chemin permettant de redonner du sens à cette mesure et une plus grande acceptabilité, et elle a donc créé, en novembre 2013, la présente mission d'information.

L'initiative était d'autant plus justifiée que le projet, qui n'en était pas à ses tout premiers balbutiements – bien au contraire –, emportait de multiples engagements de l'État.

Engagement tout d'abord à l'égard du consortium chargé de collecter l'écotaxe, Ecomouv', qui a déjà investi dans ce projet près de 600 millions d'euros, ainsi qu'à l'égard des six sociétés habilitées de télépéage pour chacune desquelles l'investissement se monte à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Engagement vis-à-vis de l'Union européenne, qui voit dans le dispositif technique retenu le premier système interopérable en Europe

Engagement vis-à-vis des conseils généraux, qui avaient prévu de mobiliser une partie de la recette pour l'entretien de leurs routes

Engagement vis-à-vis des entreprises du secteur des transports, qui avaient déjà doté plus de 200 000 camions d'équipements électroniques embarqués.

Engagement vis-à-vis des salariés recrutés par les douanes, soit 130 agents à Metz et 170 douaniers pour les contrôles manuels, et par Ecomouv', soit 159 personnes en CDI à Metz.

Engagement, enfin, vis-à-vis de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui devait percevoir chaque année plus de 700 millions d'euros.

En près de six mois, dégagés de la pression des mécontentements, nous avons modestement essayé de repenser en toute sérénité ce dossier. Nous nous sommes déplacés à Bruxelles, à Vienne et à Bratislava. Nous avons procédé à une trentaine d'auditions et reçu les représentants des institutions et fédérations professionnelles, des ONG, des syndicats, des collectifs d'acteurs du secteur et de la société Ecomouv'.

Ce travail tout à l'honneur de l'Assemblée nationale nous aura permis dans un premier temps de reposer les fondements de l'écotaxe et d'en identifier les éléments incontournables.

L'écotaxe bénéficie tout d'abord d'une grande force, puisqu'elle prend racine dans un véritable consensus politique. En effet, en nous saisissant de ce dossier, nous ne nous saisissions pas d'un projet venu de nulle part, d'un projet orphelin depuis l'élection du nouveau Président de la République et du renouvellement législatif de juin 2012. Non ! nous nous saisissions d'un projet porté sur les fonts baptismaux par la précédente majorité et adopté à la quasi-unanimité dans le cadre de la loi de programmation dite Grenelle 1 du 3 août 2009 mais, plus encore, d'un projet que la majorité actuelle s'était approprié en validant le contrat de partenariat public-privé passé avec le consortium Ecomouv' et en faisant voter en mai 2013 une loi disposant que, comme cela était écrit dans les textes du Grenelle, le prélèvement de l'écotaxe devait être neutre pour les transporteurs et serait donc répercuté sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises – les affréteurs et les chargeurs – par un mécanisme de majoration forfaitaire, et prenant acte d'une réduction du taux de l'écotaxe de 40 % à 50 % pour la Bretagne et de 25 % à 30 % pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, ainsi que de l'exonération des véhicules affectés à la collecte du lait.

L'écotaxe répond ensuite, bien au-delà de son aspect technique, à un véritable choix de société. Elle est un outil qui participe d'une politique durable des transports routiers. En favorisant une répartition différente des trafics, elle concourt à réorienter notre économie vers un modèle moins dépensier en énergie, moins polluant et plus résilient au changement climatique.

En effet, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, la France s'est engagée à adopter des politiques permettant de respecter les engagements nationaux et internationaux qu'elle a pris en matière d'émissions de gaz à effet de serre et d'autres polluants.

En 2011, au niveau national, le transport terrestre de marchandises s'effectuait à 87,6 % par camion contre 10 % pour le transport par voie ferrée et 2,4 % pour le transport par la voie d'eau. Or le transport routier est la première source d'émission d'oxydes d'azote et de monoxyde de carbone, et est à l'origine de près de 20 % des émissions de particules fines et de près du tiers de celles de dioxyde de carbone.

À cette pollution de l'air dont l'impact sur la santé n'est pas négligeable s'ajoute la forte accidentologie sur les routes et autoroutes due à la présence des camions.

Aujourd'hui, la gratuité du réseau routier, hors le réseau autoroutier concédé, le rend particulièrement attractif. Au cours des vingt prochaines années, malgré les efforts entrepris à l'échelle européenne pour développer les modes de transport alternatifs à la route et quels que soient les progrès du transport ferroviaire dans des pays comme l'Allemagne et la Suède, le transport routier restera le mode de transport terrestre largement prépondérant parce que le mieux adapté à la structure et à la géographie de l'activité économique européenne.

Néanmoins, si nous voulons construire une politique soutenable des transports de marchandises, plusieurs voies complémentaires doivent être empruntées et développées. Il convient de promouvoir le développement de technologies plus économes ou plus propres, comme certains carburants alternatifs au pétrole, de réduire la demande de fret routier, notamment par l'optimisation des tournées et des taux de chargement et de retour à vide, ainsi que par la modification et l'allégement des emballages, et de favoriser l'utilisation de modes de transport alternatifs à la route.

Si l'on veut rendre le transport terrestre de marchandises durable, il faut rétablir la vérité des prix afin de parvenir à plus d'équité entre les modes de transport et d'éviter que les citoyens ne soient les seuls à payer l'entretien des routes.

En effet, aujourd'hui, la circulation sur le réseau routier non concédé est gratuite, alors que l'utilisation des réseaux ferroviaires et fluviaux donne lieu à un péage. C'est pourquoi il faut faire payer au transport routier de marchandises les coûts réels d'usage de l'infrastructure afin de mieux les reporter dans le prix.

La loi Grenelle I a donc introduit le principe de l'éco-redevance pour corriger la sous-tarification actuelle sur le réseau routier national non concédé. L'objectif était d'améliorer d'un point de vue économique la couverture par les poids lourds des coûts qu'ils génèrent lorsqu'ils empruntent les infrastructures routières – il s'agit du coût d'usage, qui inclut les charges d'investissement, d'entretien et d'exploitation de l'infrastructure, mais pas les externalités que sont la pollution, les nuisances et autres coûts sociaux.

L'écotaxe s'appuie sur deux principes incontestables.

Le premier est celui de l'utilisateur payeur. L'écotaxe n'est pas un impôt, qui serait la marque d'une écologie punitive, mais une redevance à payer par les utilisateurs des routes, qui jusqu'ici les empruntent gratuitement sans contribuer à leur réparation ni à leur entretien, contrairement à ce qui se passe pour tous les autres modes de transport. En finir avec cette gratuité constitue donc une mesure de justice : ce n'est pas aux contribuables qu'il revient de payer pour le passage des camions.

Le second principe est celui du pollueur payeur. Le transport routier est effectivement la première source d'une pollution qui nuit à la santé de la population et entraîne des frais sanitaires considérables, ce qui est doublement contraire à l'intérêt général.

L'importante circulation des poids lourds participe au réchauffement climatique, confirmé par le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui prévoit, sauf mesures radicales prises par la communauté internationale, la multiplication d'événements climatiques extrêmes, le développement de conflits d'accès à l'eau et à l'alimentation et l'augmentation des déplacements de réfugiés.

La France doit d'autant plus se mobiliser sur cette question qu'elle accueillera en 2015 la Conférence climatique mondiale et que plusieurs pays européens ont déjà pris des mesures permettant le report modal.

C'est exactement ce que permet l'éco-redevance grâce au signal prix envoyé aux acteurs économiques, afin qu'ils utilisent des camions moins polluants, optimisent leurs tournées, réduisent leurs charges, favorisent les circuits courts et la relocalisation des productions et, bien sûr, choisissent autant que possible le rail et la voie d'eau.

Enfin, cette écotaxe permet à l'État et aux collectivités territoriales de disposer des ressources financières pour le nécessaire entretien des routes, mais aussi pour le développement d'infrastructures alternatives de transport durable, à mettre au plus vite à disposition des acteurs économiques, comme le chemin de fer ou les voies fluviales.

Le contrat de partenariat qui a été conclu en janvier 2011, au terme d'un appel à projets et d'une période dite de « dialogue compétitif », a abouti à la désignation d'un prestataire commissionné par l'État pour la liquidation et la collecte de l'écotaxe, est bien au coeur de ce projet.

Aujourd'hui, alors qu'il n'a pas été démontré qu'il n'avait pas été passé conformément aux règles et règlements en vigueur, et que la société Ecomouv' considère qu'elle a rempli ses obligations en respectant pour la mise à disposition du système le délai maximum de six mois à compter de la date contractuelle de livraison du 20 juillet 2013, et alors que l'État, tout en ayant engagé une procédure de déchéance au titre de l'article 64, a accepté une procédure de conciliation sur la base d'un protocole d'accord, il ne nous est pas possible de ne pas tenir compte de tous les aspects de ce contrat ainsi que des contraintes techniques, administratives et financières qu'il nous impose. Et, face à la volonté de certains, clairement exprimée à de nombreuses reprises, de le remettre en cause, il n'est pas inutile de rappeler que les systèmes et dispositifs proposés par Ecomouv' l'ont été sur la base des prescriptions de l'État.

Au-delà d'un enjeu de crédibilité, concernant la parole – mais aussi la signature – de l'État, disposons-nous aujourd'hui des moyens financiers de dédommager le prestataire à hauteur d'au moins 800 millions d'euros, hors le montant des indemnités qui seraient réclamées par les entreprises ayant signé des contrats de sous-traitance comme Thales, SFR ou Steria, ainsi que par les six sociétés habilitées de télépéage ?

Il est difficile, en outre, de s'affranchir de la législation européenne qui, au travers de la directive « Eurovignette », n'oblige pas les États membres à établir des péages ou des droits d'usage, mais leur impose le respect de certaines règles lorsqu'ils décident d'introduire, pour faire payer l'usage des routes par les poids lourds, des dispositifs qui entrent dans son champ d'application du fait des véhicules et des zones géographiques concernés. En particulier, la création d'une éco-redevance au niveau national ne doit pas se traduire par une discrimination à l'égard des usagers étrangers ni par des discriminations entre acteurs nationaux et acteurs des autres pays de l'Union européenne. En effet, l'article 7§3 précise que les péages et droits d'usage sont appliqués sans discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité ou de l'État du transporteur, de l'État d'immatriculation du véhicule, ou encore de l'origine ou de la destination du transport. Ainsi, il n'apparaît pas possible d'instaurer une vignette uniquement pour les véhicules étrangers.

Enfin, en son article 7§2, la directive interdit aux États d'imposer cumulativement des péages et des droits d'usage à une catégorie donnée de véhicules pour l'utilisation d'un même tronçon de route, à l'exception du franchissement de ponts, de tunnels et de cols. Elle interdit de plus de percevoir cumulativement ces péages et droits d'usages pour un même tronçon, sachant que la Commission considère que la notion de tronçon ne s'applique pas par sous-réseau, mais à l'échelle d'un pays entier. De ce fait, l'existence en France de plus de 8 000 kilomètres d'autoroutes concédées rendrait impossible la mise en place d'une vignette en France, ou à tout le moins imposerait la création d'un fonds de compensation visant à éviter le double péage, fonds qui devrait être doté de plus de 2 milliards d'euros correspondant aux péages acquittés par les poids lourds, de sorte que l'opération serait largement déficitaire pour l'État, car la vignette ne rapporterait qu'environ 650 millions d'euros.

Il est difficile aussi de ne pas prendre en compte les enjeux financiers d'un tel projet. En effet, les engagements gouvernementaux pris en juillet 2013 par M. Ayrault à la suite de la remise du rapport de la Commission « Mobilité 21 », présidée par M. Philippe Duron, devaient se traduire par la mobilisation, pour le financement des infrastructures de transport, d'une enveloppe globale de 35 milliards d'euros inscrite au budget de l'AFITF.

Cette enveloppe est déjà amputée en 2014 de près de 500 millions d'euros, du fait de la suspension de l'écotaxe. Si cette suspension devenait abandon ou si le bilan financier d'une remise à plat était trop dégradé, c'est le financement des quatre lignes à grande vitesse (LGV) en cours de réalisation, des projets de transport collectifs en site propre ou des volets « Mobilité » des contrats de projets État-région, pour lesquels la participation de l'AFITF est de 950 millions d'euros annuels, qui serait remis en cause.

Comment ne pas tenir compte non plus du temps qui passe, générateur tous les mois d'un loyer de près de 20 millions d'euros, non couvert par une recette d'écotaxe ?

Cette situation nous interdit de proposer des modifications ou des adaptations du dispositif qui induiraient un report de la mise en oeuvre de l'écotaxe, comme la création d'une quatrième catégorie de poids lourds, l'extension du réseau local taxé – qui nécessiterait la consultation de tous les conseils généraux – ou la modification du seuil des véhicules taxés.

Avec le temps qui passe, l'inquiétude grandit aussi parmi les douaniers recrutés à Metz et parmi les salariés d'Ecomouv' chargés de la gestion de l'écotaxe, basés à Augny, comme parmi les fonctionnaires qui doivent assurer le contrôle et l'encaissement.

Il est, enfin, d'autres dispositions, soutenues avec force par les principales organisations de transporteurs, qui ne paraissent pas pouvoir être remises en cause sous peine de les voir demain s'y opposer très frontalement : ce sont celles qui ont trait aux mécanismes de répercussion de l'écotaxe par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises – chargeurs ou affréteurs. En effet, l'objectif de l'éco-redevance étant de faire payer l'usage de la route à ses utilisateurs, il est prévu d'en répercuter le coût sur les chargeurs, c'est-à-dire sur ceux qui commandent la prestation de transports.

L'inapplicabilité, reconnue par tous, du décret du 4 mai 2012 « relatif aux modalités de majoration du prix du transport liée à l'instauration de l'écotaxe » a conduit le ministre Frédéric Cuvillier à proposer un système simple de répercussion au travers d'une majoration forfaitaire de plein droit, selon un taux fixé par région et un autre, distinct, pour les trajets interrégionaux.

Ce dispositif, qui permet à tout transporteur routier de majorer le prix de sa prestation quel que soit l'itinéraire emprunté, a été adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel l'a validé le 23 mai 2013 en considérant que le principe de cette majoration forfaitaire demeurait corrélé avec l'objectif de la taxe, à savoir que c'est le donneur d'ordre qui choisit le mode de transport. Ce donneur d'ordre doit supporter la taxe, et l'objectif de politique économique poursuivi par le législateur à l'égard du transport routier de marchandises le justifiait.

Au terme de nos travaux, nous avons considéré que les propositions que nous devions faire devaient bien entendu respecter les engagements pris par la classe politique et par l'État, qu'elles devaient renforcer l'acceptabilité de l'écotaxe, mais qu'elles devaient aussi permettre une meilleure prise en compte des inquiétudes économiques locales et des préoccupations environnementales légitimes.

Tout d'abord, nous avons tenu à repréciser que l'écotaxe n'était pas une taxe supplémentaire. En effet, c'est une redevance kilométrique d'usage des infrastructures routières et sa mise en oeuvre, comme nous l'avons déjà rappelé, fait appel à deux principes : le principe « utilisateur payeur » et le principe « pollueur payeur ».

Parler maintenant d'éco-redevance poids lourds peut paraître très symbolique aux yeux de certains, mais cette modification est pour nous la première étape d'une démarche indispensable de pédagogie et de communication qu'il convient de mener en direction des redevables, des élus et du grand public pour re-légitimer ce prélèvement.

Il est difficile de nier que le contexte économique qui prévalait lors de la mise en place de l'éco-redevance soit singulièrement différent aujourd'hui. Le monde du transport routier traverse actuellement une profonde crise, amorcée dès 2008 et exacerbée par une concurrence européenne souvent déloyale. De même, certaines activités de l'industrie agroalimentaire souffrent d'une situation économique particulièrement difficile, alors même que sa structure logistique et économique a pour conséquence un impact proportionnellement plus important de l'éco-redevance sur ce secteur.

Au-delà du monde du transport routier, l'éco-redevance a suscité l'inquiétude, et parfois la colère, de milieux professionnels, tout spécialement des dirigeants d'entreprises artisanales et de PME de ces filières de l'agroalimentaire. Pour ce secteur, c'est la situation d'entreprises bretonnes fragilisées par la crise qui a servi de révélateur à une situation plus générale, qui n'a pas pour unique origine la mise en oeuvre annoncée de l'éco-redevance.

Dans les faits, plus que le montant de l'éco-redevance, c'est le principe de sa répercussion sur les donneurs d'ordre qui a suscité les critiques, voire les réfutations les plus vives.

Il ne nous a pas paru souhaitable de répondre favorablement aux demandes d'exonération pure et simple présentées par tel ou tel secteur d'activité. En effet, au sein d'un même secteur, les schémas productifs et logistiques sont par nature très différents d'une activité à l'autre. L'idée consistant à soustraire de l'assujettissement à l'éco-redevance au gré des situations conjoncturelles filière par filière n'est guère praticable non plus.

Compte tenu de la diversité des chaînes logistiques et de production, le dispositif de l'éco redevance poids lourds tel qu'il est défini aujourd'hui pénalisera demain ceux qui effectueront de courts trajets ou qui seront des utilisateurs occasionnels, ceux qui mettront en oeuvre des systèmes de distribution vertueux comme celui des tournées, ceux pour lesquels le transport n'est pas généralement l'activité principale ou, à l'inverse, certaines filières économiques intensives en transport. C'est pourquoi nous pensons que la proposition d'instaurer une franchise kilométrique mensuelle, exprimée en euros, est plus pertinente. Elle allégera les montants qui seront acquittés par tous les redevables, et plus sensiblement encore dans les trois régions classées au titre de la périphéricité. En outre, elle aura un effet réducteur sur les taux de majoration forfaitaire et la répercussion facturée aux donneurs d'ordre pour chaque prestation de transport s'en trouvera minorée d'autant.

Elle sera créée sans discrimination de secteur d'activité, de nature du transport ou de nationalité.

Elle se présentera sous la forme d'une franchise kilométrique exprimée en euros. Pour des raisons pratiques, cette franchise sera mensualisée et valable uniquement par poids lourd, et non pas par entreprise. Elle concernera tous les utilisateurs du réseau taxable, quelle que soit la distance parcourue ou la localisation des trajets.

Une franchise kilométrique mensuelle de l'éco-redevance réduit par construction la charge pour les petits utilisateurs du réseau taxable et sera plutôt favorable à ceux qui effectuent leur transport en compte propre.

Exprimée en euros et mensualisée, elle bénéficiera davantage aux véhicules se voyant appliquer un taux kilométrique relativement plus faible et favorisera donc davantage les poids lourds circulant sur le réseau des régions périphériques, ainsi que les catégories de poids lourds les moins susceptibles d'endommager la chaussée et les moins polluants.

Cette solution est la plus pertinente pour tenir compte à la fois d'inquiétudes économiques locales et de préoccupations environnementales légitimes. Elle permet de renforcer la légitimité de l'éco-redevance en allégeant son coût pour les petits trajets et, par conséquent, pour les petits transporteurs qui ne peuvent structurellement pas bénéficier de report modal ou pour lesquels le report modal est impossible.

La franchise aura, notamment en Bretagne, un impact plus fort pour le secteur agroalimentaire, qui repose sur une structure économique plus intensive en transports routiers de courtes distances, peu propices à un report modal. Les systèmes logistiques du secteur reposent en effet sur une multitude de petits trajets entre les différents sites correspondant à chaque phase de la production, ce qui multiplie certes l'effet de l'éco-redevance sur le coût du produit, mais multiplie également l'effet de la franchise.

Cette franchise protégera nos territoires et l'économie de proximité. En effet, dans une économie maintenant mondialisée, les sites de production sont souvent très éloignés des lieux de distribution, situation à laquelle concourt d'ailleurs la sous-tarification des prestations du transport routier. Au travers de cette franchise, nous ferons proportionnellement plus payer les transports de longue distance.

Les taux kilométriques de l'éco-redevance varient en fonction du nombre d'essieux et du poids total autorisé en charge des poids lourds – c'est la prise en compte du principe utilisateur payeur –, mais ils sont également modulés, en fonction de la catégorie d'émissions Euro des véhicules.

Nous proposons une franchise mensuelle de 400 kilomètres qui, convertie en euros, permettra, en fonction des différentes catégories et de la norme Euro du poids lourd, de bénéficier d'abattements de 280 à 850 kilomètres.

Les distances pouvant être parcourues grâce à la franchise exprimée en euros seront multipliées par deux pour la Bretagne et par un facteur 1,4 pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, en raison des abattements, respectivement de 50 % et de 30 %.

Sachant que l'utilisation du réseau taxable ne représente en moyenne que 30 % du trajet effectué par un poids lourd, lorsque celui-ci bénéficiera d'une franchise de 400 km, il aura effectué en moyenne un trajet sur le réseau routier de près de 1 300 kilomètres. Un transporteur breton pourra, avec un véhicule de 1ère catégorie de norme Euro 6, parcourir gratuitement près de 5 000 kilomètres sur un mois.

Enfin, la mise en place d'une franchise exprimée en euros aura un impact réducteur sur les taux de majoration forfaitaire, dont l'objectif est d'assurer une répercussion vers les donneurs d'ordre. Ce taux passera de 3,7 à 2,8 % pour la Bretagne et de 7 % à 5,3 % pour l'Île-de-France, tandis que le taux de majoration interrégional passera de 5,2 % à 3,8 %.

Afin de renforcer les effets favorables à l'environnement de l'éco-redevance en favorisant le report modal – ou un report sur l'autoroute lorsque cela est possible–, nous avons examiné la possibilité de relever son taux kilométrique sur certains axes particuliers. Cette proposition pourrait conduire à prendre en compte le niveau de congestion sur certains axes très sensibles, ce que permet déjà l'article 275 du code des douanes, ou à envisager une surtaxe temporaire de certains itinéraires routiers parallèles au tracé du futur canal Seine-Nord Europe, comme le préconise le rapport de la mission de reconfiguration confiée à notre collègue Rémi Pauvros.

Le parc roulant français de poids lourds est essentiellement composé de véhicules diesel anciens, aux normes d'émissions Euro moins exigeantes que celles applicables aux véhicules neufs d'aujourd'hui. L'âge moyen du parc est progressivement passé de cinq ans en 2007 à cinq ans et demi en 2011 et à 6,7 ans en 2013. Au 1er janvier 2014, le parc de poids lourds était encore composé de 30 % de véhicules Euro 2 et Euro 3. Or, les véhicules Euro 6 émettent treize fois moins de particules et douze fois moins d'oxydes d'azote qu'un véhicule Euro 3.

À compter du 31 décembre 2013, tous les véhicules neufs devront être conformes à la norme Euro 6. Renforcer la dimension environnementale de l'éco-redevance est pour nous une priorité. C'est pourquoi nous proposons, afin d'accélérer le renouvellement de notre parc de poids lourds, d'accentuer la modulation des taux kilométriques de l'éco-redevance en faveur des véhicules les moins polluants, afin de renforcer la prise en compte du principe pollueur payeur. Nous proposons en particulier de fusionner les véhicules électriques et la norme Euro 6 et de leur appliquer un rabais de 30 %, au lieu de 15 % comme prévu à l'origine.

De plus, nous pensons qu'il conviendrait de créer un fonds de modernisation pour inciter les entreprises de transports à investir dans les véhicules moins polluants, au gaz ou à motorisation électrique. En effet, l'acquisition d'un tel véhicule entraîne un surcoût, intégrant l'achat et la maintenance, de l'ordre de 20 % à 50 % par rapport à une motorisation diesel. Je signale qu'à la suite de la mise en place de la taxe poids lourds en Allemagne, en 2005, le gouvernement de ce pays a adopté un tel plan de modernisation des flottes de poids lourds, doté de 16 millions d'euros.

Nombreux sont ceux qui ont regretté que l'expérimentation prévue en Alsace n'ait pas eu lieu et que la marche à blanc organisée sur la base du volontariat n'ait concerné qu'une dizaine de milliers de véhicules. Nous proposons donc, pour renforcer l'acceptabilité de l'éco-redevance poids lourds, mais également pour tester son bon fonctionnement et disposer d'éléments d'évaluation de son impact économique et financier, l'organisation d'une marche à blanc nationale, soit sur l'ensemble du réseau soumis à l'éco-redevance, d'une durée minimale de quatre mois et qui devra être obligatoire pour tous les poids lourds et toutes les sociétés habilitées de télépéage.

La préparation de cette marche à blanc nécessite une validation préalable et globale de tous les dossiers déjà enregistrés par Ecomouv' en sa qualité de prestataire commissionné. Au fur et à mesure de leur enregistrement s'y agrégeront les nouveaux entrants, qui devront être suffisamment nombreux pour que l'opération ait véritablement du sens – d'où la nécessité aussi d'un robuste mécanisme d'incitation.

Cette marche à blanc devrait nous servir d'étude d'impact et, pour ce faire, un certain nombre d'entreprises et de secteurs d'activité seront identifiés afin de mesurer les effets et conséquences de l'éco-redevance. Elle nous permettra notamment de vérifier l'adéquation des taux de majoration forfaitaire avec la redevance réellement prélevée et de détecter en amont les secteurs d'activité ou les filières qui seraient confrontés à des difficultés et pour lesquels pourrait être mis en place un plan d'adaptation.

Plusieurs organisations professionnelles ont exprimé leurs craintes de voir certaines filières agricoles ou agroalimentaires pénalisées par l'état des relations commerciales, notamment avec la grande distribution. L'idée a donc été émise, afin d'influer sur les négociations commerciales, d'autoriser l'inscription en bas de facture, lorsqu'elles sont disponibles, des informations relatives aux majorations supportées au titre de l'éco-redevance ou aux coûts supportés par le producteur assurant le transport en compte propre. Il s'agirait d'une répercussion au réel, et non forfaitaire, sans caractère obligatoire.

Cette proposition ne correspond pas à une répercussion automatique et obligatoire des coûts de l'éco-redevance sur l'ensemble de la chaîne de production, ce qui serait impossible à mettre en oeuvre et à contrôler. Par conséquent, la mesure peut se révéler sans effet réel ou n'avoir que de faibles conséquences. Néanmoins, elle faciliterait sans doute la répercussion de l'éco-redevance, en particulier dans les secteurs d'activité où les négociations commerciales sont systématiquement tendues, comme la filière agricole ou agroalimentaire.

Reconnaissant avec de nombreux acteurs de ce dossier la complexité des dispositifs et des difficultés d'application, nous proposons d'adapter l'application du dispositif de majoration forfaitaire pour le transport routier de pré- et post-acheminement relevant d'une opération de transport combiné, pour les opérations de déménagement et pour les opérations de livraisons expresses, de simplifier les procédures d'enregistrement des redevables auprès du prestataire commissionné et d'exonérer les poids lourds immatriculés en « W garage », les poids lourds de collectionneurs et les véhicules de formation ou de conduite école.

Enfin, la contestation de l'éco-redevance poids lourds étant due aussi à un déficit d'explication, il serait particulièrement opportun de renforcer la communication et la pédagogie afin de redonner du sens au dispositif.

Bien que je me sois, au cours de nos travaux, toujours refusé à appréhender ce dossier à la lumière des problématiques bretonnes, je reconnais avec vous l'existence de schémas d'organisation spécifiques à l'économie agroalimentaire de cette région, appuyés sur des processus de production reposant sur une succession d'opérations de transport, des approvisionnements de base jusqu'à la distribution du produit fini, avec différentes ruptures de charge.

Si nous devons reconnaître qu'en Bretagne, comme dans d'autres territoires, les possibilités de report modal de la route vers le rail sont relativement limitées, nous devons aussi dire que le chaînage du transport routier intervient sur des distances souvent limitées, avec des fréquences assez différentes selon les productions et souvent dans un cadre principalement local. D'ailleurs, en Bretagne, une partie importante du transport intrarégional par route ne sera pas effectué sur le réseau soumis à l'éco-redevance.

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