Intervention de Gilles Savary

Réunion du 14 mai 2014 à 10h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

À mon tour, je vous remercie pour le travail accompli et pour la qualité de votre rapport, monsieur le président. Sur un sujet qui paraît parfois obscur, il constituera sans nul doute un document de référence.

Au départ, on a adopté le principe de l'écotaxe parce que l'Union européenne et tous ceux qui réfléchissent aux questions d'environnement souhaitaient que l'on crée des effets-prix intégrant l'ensemble des coûts, de manière à établir une vérité des prix dans le secteur du transport et à éviter que les transports les plus polluants ne bénéficient d'une rente de situation. La crise des budgets publics survenue entre-temps nous place devant l'alternative suivante : soit faire payer le contribuable, dont on nous dit par ailleurs qu'il est saturé d'impôts, soit, prenant en considération les incertitudes qui pèsent sur les recettes fiscales et qui conduisent, par exemple, à reporter d'année en année le financement de grandes infrastructures, remplacer l'appel au contribuable par le recours à une recette durable et légitime, reposant à la fois sur le principe du « pollueur payeur » et sur celui de l'« utilisateur payeur ».

Notre responsabilité est donc vertigineuse. Je comprends et respecte les Bretons, mais on ne peut abolir tout intérêt général pour donner une prime à l'émeute ! Et l'intérêt général, aujourd'hui, ce sont les lignes de crédit des contrats de projets État-régions, qui sont vides, ce sont différents grands travaux qui ne peuvent être financés, ce sont nos villes dont les transports collectifs ne seront plus subventionnés tant que le troisième appel à projets ne sera pas mené à bien.

Bref, pouvons-nous conclure nos travaux, par ailleurs remarquables, en renvoyant « la patate chaude » au ministère des finances, dont nous avons pourtant constaté le désarroi ? Ceux qui réclament 130 milliards d'économies au lieu de 50 et qui, dans le même temps, refusent la mise en place d'une recette durable dont d'autres États européens se sont dotés sont dans la démagogie et dans l'irresponsabilité la plus totale.

J'avoue ne pas retrouver dans ce rapport tout ce que j'aurais souhaité y voir figurer, monsieur le président. Mais il est vrai que vous êtes contraint à certaines synthèses. Néanmoins, vous envoyez un message assez clair : nous ne voulons pas que l'État paie un dédit de 600 à 800 millions d'euros en cette période de grande difficulté budgétaire ; nous ne voulons pas de gaspillage et de gabegie pour des raisons idéologiques ou parce qu'un groupe de pression prend la République en otage ; enfin, nous voulons substituer au contribuable une recette durable à laquelle nous apportons de nombreux aménagements.

À cet égard, je tiens la marche à blanc pour essentielle. Elle nous permettra de valider et, le cas échéant, de réajuster le dispositif, en dépassant les peurs et les assertions catégoriques qu'il inspire aujourd'hui.

J'aurais souhaité que le rapport soit plus incisif concernant les effets d'aubaine, car le risque est, si l'on resserre le réseau taxable autour des corridors de transit formés par le réseau autoroutier, de provoquer un transfert assez considérable de trafic vers les autoroutes et de faire dans ce cas un énorme cadeau aux sociétés concessionnaires. La recette publique que nous souhaitons se transformerait alors en rente privée perpétuelle. Il aurait été préférable d'indiquer plus clairement que le réseau doit être suffisamment large pour éviter autant que possible un tel phénomène.

D'autre part, si une négociation devait être engagée avec les sociétés autoroutières sur ces effets d'aubaine – ce qui serait sans doute souhaitable –, il faudrait éviter qu'elle n'aboutisse à une augmentation de la durée des concessions, qui accroîtrait encore la rente privée.

Je regrette aussi que le rapport n'aborde pas la périphéricité des déplacements de poids lourds dans les différentes régions. Une étude du sujet aurait permis de donner un sérieux coup de canif à certaines revendications, y compris dans ma région : il faut savoir que le premier port de Bordeaux est … Anvers ! Ira-t-on jusqu'à demander des exonérations au motif que les marchandises ne passent pas par le port de Bordeaux ?

Le sujet, je ne l'ignore pas, est difficile, et même explosif en Bretagne, mais il serait bon de pousser la réflexion plus avant, éventuellement en s'appuyant sur les travaux de laboratoires de recherche. La périphéricité ne peut être une revendication de circonstance : elle ne se définit que par rapport aux destinations les plus fréquentes de telle ou telle économie, sans considération de localisation géographique.

Je regrette que l'hypothèse de la régionalisation partielle, à laquelle je tenais beaucoup, ait été écartée, d'autant qu'elle s'inscrivait dans la perspective de la future loi de décentralisation qui regroupera les régions. J'espère qu'on ne l'a pas définitivement abandonnée. On nous objecte qu'elle est irréalisable, pourtant elle est mise en oeuvre en Suisse. Je conçois bien que l'administration centrale ne veuille pas perdre la main sur ces sujets, mais il y aurait là un facteur de responsabilisation.

Enfin, il serait temps de lancer des Etats généraux de la logistique. Si les Bretons ont besoin de quelque chose, c'est bien d'un examen détaillé de leur compétitivité dans ce domaine !

En dépit de ces observations, je voterai ce rapport sans barguigner. Si nous abandonnons le projet en rase campagne, nous nous exposons à de grandes difficultés. Que certains veuillent jouer la politique du pire, je peux l'admettre. Pour ma part, je m'y refuse.

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