Sous prétexte de trouver des réponses à la crise économique, le projet d'accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Europe n'est dicté que par l'idéologie du libre-échange –parole magique- qui veut que le bonheur soit dans la libéralisation des échanges, que l'on ne sortira de la crise qu'en prenant des marchés aux autres alors qu'il s'agit ouvertement de créer un grand marché transatlantique déréglementé, conforme aux intérêts des grandes entreprises!
Ce projet d'accord signe l'arrêt définitif des négociations multilatérales du cycle de Doha dans l'échec duquel les États-Unis portent une large part de responsabilité. Ils ont toujours privilégié les accords bilatéraux dans lesquels ils peuvent exercer un rapport de forces. Croire qu'une telle négociation permettrait de forcer la main aux pays émergents et leur imposer nos standards est une illusion.
Croire que l'Union européenne pourrait tirer des gains économiques significatifs est un leurre. Alors que la Commission européenne fait miroiter l'équivalent d'un chèque de plus de 500 euros par ménage si un tel accord était signé, les citoyens ne sont pas dupes comme le montrent la montée de l'inquiétude et de la mobilisation. En Allemagne, une pétition vient de réunir près de 500 000 signatures contre ce projet.
Pour autant, dirigeants européens et américains, Commission européenne continuent d'afficher imperturbablement leur volonté d'aller vite, voire à marche forcée…
Le mandat a été donné à la Commission en juin 2013 dans une absence totale de transparence et de débat. Les peuples n'ont pas eu la parole. La consultation publique qui a précédé le mandat a été minimaliste et particulièrement orientée sur les questions d'ordre industriel et commercial. Sur 130 réunions tenues à l'initiative de la Commission européenne, 119 se sont tenues avec les lobbies des multinationales. Autant dire qu'il s'agissait d'une consultation en cercle fermé ! Le mandat n'a fait l'objet d'aucune publicité et il a fallu compter sur la presse ou Internet pour que les citoyens aient accès à son contenu. Quant à la représentation nationale, nous avons dû insister lourdement pour qu'il soit enfin transmis aux députés.
Après quatre cycles de négociations, où en sommes-nous ? Alors que le mandat venait d'être signé, les révélations d'espionnage à grande échelle des services de renseignement américain, contre les intérêts européens, ont jeté une lumière crue sur les agissements des américains qui ne semblent pas faire une distinction réelle entre ennemis et partenaires !Les autorités américaines n'ont pas été en mesure de fournir des justifications acceptables. Les négociations ont continué dans la même absence de transparence et la même opacité que sur les discussions sur le mandat. Au prétexte que la politique commerciale est une compétence exclusive de l'Union, les négociations sont menées par la Commission européenne qui n'a pas la légitimité de l'élection. Aucune prise de position ou document n'est divulgué alors que cet accord commercial affectera les citoyens autant, voire plus qu'un projet de loi. Ce secret verrouille les options politiques et donne des pouvoirs démesurés aux multinationales qui ont, elles, des canaux pour accéder aux informations sensibles.
Certains gouvernements nationaux ont pris des initiatives pour consulter les citoyens. En France, a été mis en place un comité stratégique composé de parlementaires, de représentants d'entreprises, d'experts économiques mais seuls deux associations et deux syndicats ont été invités à la dernière minute pour corriger la composition initiale. Aussi, je me réjouis, madame la présidente, de l'initiative de votre commission, de réunir autour d'une table ronde le 3 juin prochain, un panel large d'associations et d'organisations qui pourront porter une parole libre.
Le lancement des négociations avait pour justification des perspectives de croissance. Or depuis la publication des analyses d'une étude commanditée par la Commission européenne dont votre commission avait souligné les limites et les biais, d'autres études ont été réalisées. Ainsi une étude récente de mars 2014 réalisée par des chercheurs autrichiens, se montre très pessimiste sur les potentiels de gains, qui ne se réaliseront en tout état de cause qu'à long terme- un horizon de 10 à 20 ans, le temps pour une génération d'être sacrifiée. Les coûts sociaux seront importants et la facture pour payer le chômage supplémentaire pourrait atteindre 10 milliards d'euros. Le commerce intracommunautaire – qui représente actuellement plus de la moitié des échanges des États européens- pourrait baisser de 30 % ! Mais même sans une telle étude, il n'est qu'à se reporter au précédent instructif de l'accord qui lie les États-Unis au Canada et au Mexique, l'ALENA, qui sur l'ensemble des plans, a été négatif.
La principale menace de cet accord réside dans ce qui est convenu d'appeler la convergence réglementaire, qui dans le jargon technocratique est la litote signifiant nivellement vers le bas, voire suppression, de normes sociales, sanitaires, environnementales prévues par les législations européennes et qui découlent de choix politiques et valeurs particulières. Votre commission avait sur ce point tracé des lignes rouges sur le respect de l'exception culturelle, du principe de précaution, du refus des OGM et des hormones de croissance et la défense des indications géographiques.
Que nous apprennent les quatre premiers cycles de négociations, à tout le moins sur la base des quelques informations qui ont pu « fuiter » ? Même sur le volet des droits de douane, les concessions tarifaires que pourraient faire les États-Unis apporteront un bénéfice négligeable par rapport aux effets des fluctuations de la parité euro-dollar. Depuis le début, les américains ont clairement affiché qu'ils ne lançaient pas dans la négociation s'ils n'envisageaient pas de gains sérieux dans l'agriculture. Et le déroulement des négociations le confirme en tout point. Au cours du quatrième round de négociation qui avait pour thème les mesures phytosanitaires, ils ont rappelé que la viande américaine était la plus sûre au monde alors que l'Union européenne avait connu la crise de la vache folle et que la responsabilité de nourrir le monde nécessite l'utilisation de technologies … Il est envisagé un cadre transatlantique harmonisé sur les pesticides dont on peut craindre le pire quant aux méthodes d'évaluation des risques ou de la définition des limites maximales des résidus.
S'agissant des indications géographiques, les négociateurs américains les considèrent tout simplement comme des entraves au commerce. Les sénateurs américains viennent de déclarer qu'il est absurde que l'Union européenne veuille protéger les appellations d'origine de ses fromages. Le secteur viticole est quant à lui très inquiet.
Malgré les engagements réitérés de la Commission européenne de ne pas sacrifier les normes européennes, les négociations ne se déroulent pas dans un rapport de forces favorables aux européens. En donnant mandat à la Commission européenne de négocier sur les normes, leurs choix agricoles et alimentaires, leurs droits sociaux, leurs services publics, leurs règles financières et leurs choix énergétiques et climatiques, les États vont renoncer à leur capacité démocratique de construire des normes conformes à l'intérêt général. On ne sait pas jusqu'où cette convergence réglementaire pourrait aller. En effet, le mécanisme d'arbitrage pour les investissements constitue une véritable bombe contre la souveraineté des États. Alors que le Parlement européen avait, dans sa résolution du 23 mai 2013, que le TAFTA ne devrait pas comporter de telle clause, il est prévu de créer un tribunal supranational dénommé « panel d'arbitrage » qui permettrait à toute entreprise multinationale de faire appel à un tribunal arbitral privé pour poursuivre un État dès lors qu'une réglementation pourrait potentiellement porter préjudice à ses intérêts, par exemple le relèvement de minimaux sociaux ou la hausse de l'impôt sur les société. Ce système aurait pour conséquence un transfert de la souveraineté des États vers le secteur privé, les investisseurs ayant ainsi un moyen de pression sur les États en les menaçant de procès. Ce mécanisme consacrerait la suprématie du droit des affaires sur les autres droits car les arbitres décideront en considérant l'accord de libre-échange et la baisse potentielle du profit. Les exemples de telles dérives sont nombreux dans le cadre des arbitrages assurés par le Centre international de règlement des différends sur l'investissement (CIRDI), une institution créée en 1966 dans l'orbite de la Banque mondiale et contrôlée par des juristes anglo-saxons animés par une logique ultra-libérale. L'interdiction par les autorités mexicaines de l'installation d'un dépôt de déchets toxiques, fondée sur des raisons évidentes de santé publique, a été considérée par le CIRDI comme assimilable à une « expropriation » contraire aux stipulations de protection des investissements de l'ALENA, car l'entreprise états-unienne en cause se trouvait privée du « bénéfice économique qu'elle pouvait raisonnablement espérer » de ce dépôt toxique ! Une firme américaine, Lone Pine resources, réclame actuellement au Canada une indemnisation de 250 millions d'euros, en compensation du manque à gagner du fait du moratoire que la province du Québec a adopté sur l'exploitation des gaz de schiste. Le cigaretier Philips Morris use du même procédé dans un accord entre Hong-Kong et l'Australie pour faire interdire des messages d'alerte sur les paquets de cigarettes australiens, ce qui laisse planer des menaces sur le devenir de l'application de la future directive « tabac » en cours de négociation. Nos États sont des États de droit et les garanties offertes par les législations et les tribunaux nationaux sont suffisantes pour les investisseurs !
A toutes ces menaces, je voudrais aborder un thème qui a mobilisé la France, celui de l'exception culturelle. Pour le moment, ce thème ne figure pas dans le champ des négociations. Mais exerçons toute notre vigilance car l'article 44 du mandat dispose que la Commission pourra recommander au Conseil des ministres des directives supplémentaires de négociations sur tout sujet…
Pour l'ensemble de ces raisons, la proposition de résolution européenne que nous vous proposons exige, dans le point 2, la suspension des négociations et demande que les peuples souverains puissent se prononcer sur la poursuite ou non de ces négociations car au moment de la ratification, les Parlements nationaux seront placés devant le fait accompli. J'attire votre attention sur le fait que le ministre allemand de l'économie, Sigmar Gabriel a, le 5 mai, ouvert la possibilité de consultation des parlements nationaux sur la poursuite des négociations. Notre commission ne peut être en deçà de cette position !
Les points 3, 4 et 5 exigent, si elles se poursuivent, plus de transparence dans les négociations par un accès direct et public à tous les documents de négociation ainsi qu'une information détaillée et régulière des parlements nationaux et leur association à l'ensemble du processus. Même si la politique commerciale est une compétence exclusive européenne, il n'est pas concevable que les parlements ne puissent pas exercer leur vigilance et peser sur le contenu d'un accord sur lequel ils devront se prononcer à l'occasion des procédures de ratification. Par ailleurs, dans la mesure où ce projet est largement dicté par les intérêts des firmes internationales, il est indispensable que les négociateurs et leurs éventuels conflits d'intérêts soient identifiés (point 6).
Compte tenu de la gravité des activités d'espionnage contre les intérêts européens, la poursuite des négociations n'est pas acceptable tant que le gouvernement américain n'aura pas pris d'engagement de faire cesser ses agissements (point 7).
Le mécanisme d'arbitrage commercial international constituant une atteinte inacceptable à la souveraineté des États, le point 8 demande le retrait de la clause relative à ce mécanisme.
Le point 9 souligne la menace que constitue pour les citoyens, l'objectif de convergence réglementaire entre deux parties qui n'ont pas les mêmes normes et le risque d'un nivellement vers le bas des systèmes de protection sociale, sanitaire, environnementale et de sécurité alimentaire, au profit des opérateurs économiques privés qui considèrent les réglementations comme autant d'obstacles à leurs profits .