Intervention de Catherine Quéré

Réunion du 23 octobre 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Quéré, rapporteure pour avis :

Pour la première fois, en effet, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire se saisit pour avis d'un projet de loi de ratification d'un accord international. Il est particulièrement bienvenu que nous puissions ainsi évoquer, quelques semaines avant le sommet bilatéral franco-italien prévu le 20 novembre prochain, un projet d'infrastructure de transport majeur et controversé : le projet de liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin.

Je précise qu'il convient de parler de liaison ferroviaire et non, comme on l'entend souvent, de ligne à grande vitesse : sur la future liaison, aucun train n'atteindra la vitesse de 250 kilomètres-heure qui correspond à la définition européenne de la grande vitesse. Il s'agit certes d'aller plus vite, tant pour les voyageurs que pour le fret, mais le « tout TGV » n'est plus d'actualité. La terminologie des années 1980, où l'on parlait d'un « TGV Lyon-Turin » uniquement consacré aux voyageurs, est complètement dépassée : l'accent est désormais mis sur le fret, et le fait de porter la vitesse des trains de fret à 120 kilomètres-heure représente déjà un progrès considérable.

La nouvelle ligne ferroviaire mixte – voyageurs et fret – bénéficiera aux déplacements régionaux, nationaux et européens à travers les Alpes. Bien plus qu'un projet d'infrastructure de transport, c'est un projet de territoire, porteur d'enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants pour les régions concernées – et bien au-delà, en raison de sa « valeur ajoutée européenne ».

Si la saturation technique de la liaison ferroviaire historique n'est pas encore avérée – et pour cause, j'y reviendrai –, le seuil de saturation sociale due au passage des poids lourds à la frontière franco-italienne est largement dépassé : en 2010 et 2011, ce sont près de 7 400 poids lourds qui ont franchi chaque jour les passages routiers entre la France et l'Italie. Par le report modal massif de la route vers le rail qu'elle rendra possible, la liaison Lyon-Turin contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la quantité de produits nocifs rejetés dans l'atmosphère et des nuisances sonores, tant dans les vallées alpines que sur le littoral méditerranéen, sans parler des risques d'accidents.

La nouvelle liaison ferroviaire constituera en outre une prouesse technique remarquable. L'ouvrage central sera le tunnel « bitube », long de 57 kilomètres, auquel s'ajouteront, sur le territoire français, 8 autres tunnels, dont celui de Chartreuse – près de 25 kilomètres – et 6 viaducs, ainsi qu'une cinquantaine d'autres ouvrages d'art.

La commission Mobilité 21, présidée par notre collègue Philippe Duron, n'a pas mis en question la légitimité du projet. Elle ne s'est pas prononcée sur le projet de tunnel de base, exclu de son périmètre d'analyse en raison de son caractère international, si ce n'est pour souligner les limites des ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l'AFITF. S'agissant des accès français, inclus dans le périmètre d'analyse et dans le classement final, la commission a confirmé l'intérêt de leur réalisation et les a intégrés aux « secondes priorités » de son scénario n° 2 – celui retenu ensuite par le Gouvernement –, tout en préconisant un réexamen tous les cinq ans de ce classement, donc un premier réexamen en 2018.

Le Lyon-Turin est porté par une volonté politique forte, constamment réaffirmée depuis les années 1990 par les autorités françaises et italiennes, en particulier, en France, par quatre Présidents de la République successifs. Il a déjà fait l'objet de deux accords bilatéraux, respectivement en 1996 et 2001. Le texte qu'il est aujourd'hui question de ratifier, signé à Rome le 30 janvier 2012, constitue la troisième étape de ce processus.

Il ne s'agit, soulignons-le, que d'une étape intermédiaire : c'est dès 1994, dans le cadre de l'Union européenne, qu'il a été décidé de conduire ce projet, et le lancement des travaux définitifs de construction devra faire ultérieurement l'objet d'un nouvel accord bilatéral. Il s'agit néanmoins d'une étape importante de la réalisation du Lyon-Turin dans sa partie internationale. Le texte précise ainsi la gouvernance du projet par les deux États, la définition du droit applicable au règlement des différends, et clarifie le partage des coûts de la section internationale – sur laquelle il porte exclusivement.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à la ratification de cet accord bilatéral.

Cet avis favorable, qui porte spécifiquement sur le texte à ratifier, n'équivaut pas nécessairement à une adhésion sans réserve à l'ensemble du projet de liaison ferroviaire nouvelle : il ne s'agit en aucune façon d'ignorer les incertitudes que celui-ci comporte et qui suscitent des inquiétudes. Nous le reconnaissons volontiers : le calendrier de réalisation est encore indéterminé – ce qui est assez compréhensible tant que le plan de financement n'est pas bouclé et compte tenu de la complexité technique du projet.

La contribution du budget de l'Union européenne sera décisive. Or, lors de la table ronde organisée hier par la Commission des affaires européennes de notre Assemblée, la représentante de la Commission européenne en France a confirmé que la participation de l'Union européenne au financement des travaux de réalisation de la partie transfrontalière pourra atteindre 40 % si certaines conditions sont satisfaites. Dès lors, sur les 8,5 milliards d'euros, valeur 2010, qui correspondent au coût estimatif de cette section, la France n'aurait à apporter « que » 2,2 milliards d'euros, valeur 2010, contribution qui sera échelonnée sur au moins dix ans.

Certaines inquiétudes légitimes seront progressivement apaisées ; elles touchent au calendrier d'ensemble et à la cohérence entre ses différentes phases, aux emprises nécessaires à la construction de la nouvelle ligne sur les terres agricoles – le travail est en cours – et au financement. D'autres incertitudes sont, à mon sens, déjà dissipées, qui avaient trait aux alternatives techniques possibles. Il faut le dire clairement : ce qui pouvait permettre de moderniser et de développer la ligne ferroviaire existante a déjà été fait. M. Hubert du Mesnil, président de Lyon Turin Ferroviaire et ancien président de Réseau ferré de France, l'a affirmé hier au cours de la table ronde : il n'existe pas d'alternative ferroviaire crédible au Lyon-Turin. La ligne ferroviaire existante n'est pas saturée : au-delà de l'effet conjoncturel de la crise économique sur les trafics de fret, des facteurs structurels expliquent qu'elle ne soit pas attractive, donc pas compétitive.

C'est un bond capacitaire qu'il faut accomplir. C'est une véritable autoroute ferroviaire à grand gabarit et à haut débit qu'il s'agit de réaliser, au bénéfice de l'environnement dans les régions alpines franco-italiennes, de la sécurité des usagers des passages routiers alpins et du développement économique de toute l'Europe du Sud.

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