Intervention de Stéphane Demilly

Réunion du 23 octobre 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Demilly :

L'accord signé le 30 janvier 2012 par les ministres Mariani et Ciaccia est le fruit d'une longue histoire qui s'enracine dans les années 1990 et qui a déjà donné lieu à deux accords internationaux, en 1996 et en 2001.

L'Italie et la France ont convenu en 2004 d'une clé de répartition du financement des travaux, dans un mémorandum entérinant le principe d'un financement à part égale de la liaison assurant le franchissement des Alpes. Puis la commission intergouvernementale a été chargée en 2007 de préparer un nouvel accord, objet du présent projet de loi, portant notamment sur le tracé définitif, la prise en charge financière, les principes de gouvernance de l'opération, les modalités de réalisation et la politique de report modal.

La création de cette nouvelle ligne ferroviaire était justifiée par plusieurs éléments : la concentration des flux de poids lourds sur trois axes seulement, la saturation de la voie ferrée sur la côte méditerranéenne, les caractéristiques très difficiles de la ligne historique de la Maurienne et l'insuffisance des liaisons ferroviaires entre les grandes agglomérations alpines du versant français. La ligne ferroviaire Lyon-Turin doit ainsi permettre de basculer de la route vers le fer le trafic de marchandises traversant les Alpes entre la France et l'Italie, d'améliorer les liaisons entre les grandes agglomérations alpines des deux pays, et de réduire le temps de trajet entre Paris et Milan à quatre heures, contre sept aujourd'hui.

Nos interrogations ne portent pas sur l'opportunité d'un projet soutenu par l'ensemble des majorités depuis plus de vingt ans, ni sur le contenu de cet accord qui ouvre la voie à la création du promoteur public chargé de la réalisation des travaux. En revanche, nous avons quelques inquiétudes quant au financement de ce projet colossal, dont nous souhaitons faire état dans le cadre d'un débat plus large sur la politique gouvernementale en matière de grandes infrastructures de transport. Pas une ligne de l'accord n'évoque le financement de cette réalisation pharaonique, alors que sa ratification engage la France dans un projet dont le coût global est évalué par la Cour des comptes à 26,1 milliards d'euros, contre 12 milliards à l'origine. Il est certes demandé à l'Union européenne de financer 40 % de la section internationale ; mais sur la section française, qui comprend le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise, aucune contribution n'est prévue pour la partie nord de ce contournement.

S'agissant du financement européen, malgré la satisfaction affichée – aujourd'hui encore, lors des questions au Gouvernement – par le ministre des transports, l'on peut craindre qu'une telle mobilisation ne « vampirise » tous les crédits européens, dont certains auraient pu aller à des projets tout aussi structurants. Comment la prise en charge des 60 % restants sera-t-elle précisément répartie ? Le Gouvernement renonce-t-il à recourir aux partenariats public-privé, comme il semble le faire pour le canal Seine-Nord Europe ? Comment la France pourra-t-elle financer une telle somme, compte tenu de l'état de ses finances publiques et de la faible marge de manoeuvre budgétaire dont dispose l'AFITF ?

Du reste, le rapport de la commission Mobilité 21, mandatée par le Gouvernement pour préciser les grandes orientations de notre pays en matière d'infrastructures de transport, a conclu que, dans un contexte économique et budgétaire contraint, les investissements doivent aller en priorité à la modernisation et à la mise à niveau du réseau existant, plutôt qu'à des projets de développement dispendieux. Certes, le Lyon-Turin ne relevait pas de la compétence de la commission ; mais il est étonnant que le Gouvernement le soutienne alors qu'il va absorber une grande part des crédits dévolus aux projets d'infrastructures de transport et que la commission en a littéralement enterré d'autres, tout aussi essentiels et qui appelaient également des financements européens.

Enfin, l'actuelle ligne historique du Mont-Cenis, entre Lyon et Turin, est nettement sous-utilisée, avec moins de 4 millions de tonnes par an de marchandises, alors que, selon une étude commandée par l'Union européenne, le trafic de marchandises peut atteindre 17 à 19 millions de tonnes par an, soit 4 à 5 fois plus. La Cour des comptes a d'ailleurs récemment rappelé qu'il fallait utiliser au mieux le réseau existant.

Elle a également déploré l'insuffisance du ferroutage dans cette région, faute d'une politique volontariste. Le Gouvernement envisage-t-il de favoriser davantage cette technique pour désengorger les routes ?

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