Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur :

Ce serait bien de sortir de la caricature : le sens de cette proposition de loi n'est pas d'affirmer que tous les employeurs sont des fraudeurs et que la répression est le seul outil à notre disposition. Ce n'est pas parce qu'on renforce les dispositifs de contrôle et de répression que l'on fait disparaître les missions d'information et de conseil de l'inspection du travail ni qu'on fait peser le soupçon sur l'ensemble des entreprises. Tout corps social comporte une frange qui s'affranchit des règles. Sans corps chargé de contrôler son respect, la règle s'affaiblit, voire disparaît. Si on veut que la concurrence joue de façon régulière, il faut pouvoir éviter que les fraudeurs bénéficient d'un avantage compétitif par rapport aux entreprises qui respectent la règle. Il faut que le gendarme qu'est aussi l'inspecteur du travail dispose des outils qui lui permettent d'être crédible et de prononcer des sanctions quand les outils de l'information et du conseil sont restés inopérants.

J'ignore ce qui a pu justifier un arrêt des travaux de rénovation de la piscine de Montargis, monsieur Door, mais il n'est pas anormal de prononcer l'arrêt immédiat d'un chantier en cas de danger imminent.

Je ferai observer à M. Costes et à M. Barbier qu'une loi qui renforce les moyens de la police n'a pas pour effet de faire peser une suspicion de délinquance sur l'ensemble de la population. Il en est de même en matière de droit du travail.

Vous nous dites, madame Le Callennec, que le code du travail compte 3 200 pages. L'édition dont je dispose n'en compte que 2 800. En réalité, la plupart des éditions réunissent l'ensemble des textes, la jurisprudence, les circulaires et tout un appareil critique. Il est vrai qu'une simplification serait bienvenue, une règle simple étant toujours plus facile à appliquer, mais ce n'est pas le sujet du jour. Le sujet du jour, c'est les pouvoirs de l'inspection du travail.

Certains reprochent au Gouvernement la façon dont il a mis en oeuvre la partie réglementaire de la réforme, parlant de « passage en force » sous prétexte qu'il reprenait des dispositions de l'article 20 de la loi relative à la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, qui avait été rejeté par le Sénat. Techniquement, cet article n'était pas un cavalier, le texte abordant explicitement trois sujets différents. Par ailleurs, le dispositif de l'article 20 avait fait l'objet des consultations prévues par les textes, notamment celle du Conseil national de l'inspection du travail. La victoire annoncée par certains syndicats d'inspecteurs du travail à la suite de l'avis négatif rendu par certaines de ces instances et le rejet de l'article par le Sénat était quand même une victoire à la Pyrrhus. En effet ce texte avait été voté par l'Assemblée nationale, il aurait été voté définitivement si nous en avions eu le temps, et ce n'est pas parce que la consultation n'a pas débouché sur un avis positif que l'autorité politique doit renoncer à une réforme dont qu'elle juge nécessaire. Sa responsabilité est au contraire de la mettre en oeuvre sans tarder, et c'est exactement ce qui a été fait.

Vous accusez ce texte d'octroyer des pouvoirs illimités aux inspecteurs du travail. C'est faux : ceux-ci exercent leurs missions sous le contrôle du juge. Ils ne peuvent avoir accès qu'aux documents ayant un rapport avec le contrôle. Par ailleurs, ils sont soumis au respect du secret professionnel et du secret de fabrique, une pénalisation spécifique étant prévue en cas de manquement à cette obligation. C'est un procès d'intention que vous faites à l'ensemble du corps de l'inspection du travail et aux contrôleurs du travail : je ne connais aucun exemple d'informations confidentielles qui auraient été divulguées du fait d'un de ses fonctionnaires. Ceux-ci sont soumis à des règles professionnelles, disposent de compétences définies et exercées sous le contrôle du juge. À entendre certains, on pourrait se croire soumis à un État totalitaire. Pour ma part je ne le crois pas, et je récuse de ce point de vue le terme d'inquisition que certains d'entre vous ont employé après la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).

Quant aux sanctions prévues par ce texte, elles n'annulent pas les outils de dialogue tels que la possibilité de faire des observations orales ou écrites ou de négocier avec l'employeur : toutes ces pratiques restent possibles, mais il y a un moment où il faut se donner la possibilité de sanctionner. Peut-on accepter que seuls 4 % des infractions fassent l'objet d'un procès-verbal et que, les deux tiers de ces infractions n'étant pas poursuivies, c'est finalement 1 % seulement des infractions constatées qui fasse l'objet de poursuite ? Si ces infractions portaient sur d'autres règles de droit, monsieur Tian, vous crieriez au scandale !

Je constate, madame Geoffroy et monsieur Vercamer, qu'il existe aujourd'hui une dépénalisation de fait du droit du travail par absence de poursuite. Ce qu'il nous faut, ce sont des outils assez efficaces pour assurer l'effectivité de ce droit, et il me semble que les sanctions administratives ont ce caractère.

S'agissant de l'autorité chargée de prononcer les sanctions, le DIRECCTE en l'espèce, il me semble de bonne politique qu'elle soit distincte de celle chargée du contrôle. Une telle distinction permet en effet d'avoir un deuxième regard et de préserver la neutralité de la sanction, au cas où le contrôle se serait mal passé. Dans l'état actuel du droit, l'agent qui contrôle ne sanctionne pas davantage : il transfère le dossier au procureur de la République, et, dans les deux tiers des affaires, on ne sait pas où le dossier a été classé. Par ailleurs, dans l'exercice de cette responsabilité, le DIRECCTE n'est pas subordonné au préfet.

Cela ne supprime certes pas les risques de schizophrénie, mais ceux-ci existent à tous les niveaux. Croyez-vous qu'un juge judiciaire qui envisage de prononcer une lourde peine ne se pose pas la question, légitime, de l'incidence de la sanction sur la santé de l'entreprise ?

Ce nouveau régime est d'autant plus intéressant que, faisant intervenir l'administration, il lui permettra d'élaborer une politique unique des sanctions. En tout état de cause, c'est le juge et l'inspecteur du travail dans ses fonctions de contrôle qui doivent être indépendants.

Je suis très sensible aux observations que m'ont adressées M. Sebaoun et Mme Orliac. J'ai bien noté, madame Fraysse et monsieur Roumegas, que vous réserviez votre vote, tout en reconnaissant les avancées de ce texte. J'espère que cette discussion nous permettra d'avancer ensemble assez loin pour que votre vote soit favorable.

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