Intervention de Laure de La Raudière

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière, rapporteure :

Aujourd'hui, on ne se connecte plus, on est connecté. Il faut prendre conscience de cette évolution majeure car le numérique est porteur de changements aussi importants que ceux amenés par l'électricité au XIXème siècle, et constitue l'une des composantes fondamentales de la troisième révolution industrielle qui a débuté il y a quelques années. J'utilise volontairement le terme de révolution, et Corinne Ehrel exposera les transformations qu'elle engendre sur l'économie. Le rôle des responsables politiques est avant tout de prévoir : comment faire en sorte que la France tire parti des transformations numériques à venir ? Notre rapport n'entend pas répondre à l'ensemble des questions soulevées par le numérique, dont chacune pourrait faire l'objet d'une mission d'information spécifique. Il poursuit deux objectifs principaux.

Le premier est de nature pédagogique. Alors que l'on a parfois l'impression de vouloir gagner la bataille de la mondialisation avec les outils et les méthodes du siècle dernier, il est temps que nous entrions pleinement dans ce XXIème siècle, où Internet rebat les règles du jeu au niveau mondial. Pour ce faire, il faut prendre conscience des bouleversements induits par le numérique, non pour s'alarmer mais pour poser clairement les enjeux, et expliquer l'impact du numérique sur notre économie, en s'intéressant aux changements qui affectent les différents secteurs économiques, mais également aux modifications qui touchent le fonctionnement même de nos entreprises et de nos organisations.

Le second est d'ordre prospectif. La révolution numérique n'en est qu'à ses débuts. Si la puissance industrielle des acteurs américains est indéniable, l'Europe et la France doivent agir avec audace, comme l'indique le titre de notre rapport : « Agir pour une France numérique, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ».

Pour bien comprendre le fonctionnement de l'économie numérique, il faut étudier l'écosystème de la Silicon Valley. Lorsque nous avons eu la chance de nous y rendre, nous avons d'abord été frappées par la volonté de tous les acteurs rencontrés de « changer le monde ». D'ailleurs, cette ambition est proclamée sur les bannières de l'Université de San Francisco et on peut lire, sur le dos des cartes de visite des enseignants et personnels administratifs de l'Université de Stanford que nous avons rencontrés : « Change lives. Change organisations. Change the world ». Nous sommes devant vous pour témoigner, aussi, de ce que nous avons vu. Il faut prendre conscience que l'économie numérique se nourrit des failles qui existent dans nos systèmes, notre économie et nos politiques publiques : le numérique s'engouffre là où le XXIème siècle n'a pour l'instant pas su apporter de réponse pertinente.

Ces entreprises naissent avec la volonté de croître au niveau mondial, ce qui est très nouveau et extrêmement important dans le fonctionnement de l'économie numérique, en particulier s'agissant du financement. Si vous créez une entreprise avec l'ambition de vouloir immédiatement conquérir le monde, il faut beaucoup plus de capitaux que si vous entendez simplement devenir commerçant sur un territoire donné. Le financement de l'innovation est donc une activité très spécifique, risquée, qui est le coeur de métier des investisseurs en capital-risque. Les startupper sollicitent d'abord leurs proches – le love money – puis des business angels pour atteindre une première tranche de financement d'une centaine de milliers d'euros. Puis, pour franchir un palier permettant d'asseoir leur développement, les entrepreneurs se tournent vers les investisseurs en capital-risque qui apportent du capital, évidemment, mais également leurs réseaux et leur expérience pour accompagner les fondateurs dans leur stratégie de croissance. Ces fonds de capital risque (venture capitalists) sont essentiels au fonctionnement de l'économie numérique. Ce point doit être compris pour mettre en place une politique publique efficace, notamment en matière de fiscalité. Il faut que la France et l'Europe permettent à ces fonds de gagner de l'argent, car la prise de risque a pour pendant le désir d'obtenir une forte rentabilité. Par ailleurs, au sein du portefeuille des VC, il y a autant d'entreprises destinées à l'échec que d'entreprises qui réussiront. La culture de la prise de risque – et de l'entrepreneuriat – et très forte dans cette économie.

Dans la Silicon Valley, la mise en valeur des entrepreneurs est permanente, dans les médias comme dans la parole politique. Le magazine web Techcrunch, très orienté sur les nouvelles technologies, est aux États-Unis un média « grand public », qui n'a pas d'équivalent en France ou en Europe. De tels relais permettent la diffusion d'une culture de la prise de risque. La Silicon Valley constitue un écosystème performant, qui regroupe des universités, des entreprises à succès, des start-up qui se lancent et des capitaux-risqueurs. Cette proximité explique aussi l'émergence d'un nouveau mode de fonctionnement des entreprises, qui ont tendance à collaborer entre elles. Par exemple, à l'occasion d'un entretien avec l'un des entrepreneurs les plus innovants que nous avons rencontrés, nous avons appris que le développement d'une nouvelle plate-forme dans le domaine de l'éducation avait en partie été permis par la contribution d'anciens collègues des fondateurs, employés par d'autres géants du numérique. Cet esprit de collaboration a bien évidemment ses limites mais se retrouve finalement dans la relation qu'entretiennent les entreprises du numérique avec leurs « usagers ». Le développement du crowdsourcing est à ce titre symbolique de l'esprit collaboratif qui anime le numérique. Il s'agit en pratique d'externaliser la production de contenu, en la confiant aux internautes. Je pense par exemple à Wikipédia ou Open street map, qui font appel aux internautes pour enrichir leurs contenus, mais aussi à Google, qui propose un service gratuit mais s'appuie sur les traces d'utilisations des internautes pour vendre de la publicité. Il en va de même pour Facebook.

Ces pratiques témoignent de l'apparition de nouveaux modèles économiques, fondés en partie sur ce que Nicolas Colin et Henri Verdier appellent la « captation de la multitude », c'est-à-dire du contenu produit gratuitement à l'extérieur d'une organisation par les internautes. C'est d'ailleurs ce qui permet à Facebook de gérer plus d'un milliard de comptes avec 6 630 employés, et de disposer d'une capitalisation boursière de 152 milliards de dollars. Cet exemple est symptomatique du fonctionnement de l'économie numérique.

Enfin, l'économie numérique se fonde sur l'innovation sans cesse renouvelée, par des acteurs qui veulent, selon le vice-président d'Amazon, « innover comme des fous ». L'enjeu est de ne pas se faire rattraper par un concurrent qui les éliminerait grâce à une innovation radicale. L'économie numérique ne fonctionne pas comme une économie traditionnelle et s'attaque à tous les secteurs de l'économie, comme Corinne Ehrel va vous l'exposer.

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