Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre-René Lemas :

Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d'être devant vous pour présenter ma candidature au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.

La Caisse des dépôts et consignations est placée depuis bientôt deux siècles sous la protection du Parlement : c'est la première des garanties et c'est sa force. Ce lien unique avec la représentation nationale fait sa spécificité. Si vous m'accordez votre confiance, je compte maintenir et renforcer ce lien qui a été tissé de manière étroite avec vous, et d'abord avec la commission de surveillance. Je tiens à saluer son président, M. Emmanuelli, dont je connais le parcours, l'énergie et les convictions et dont je mesure l'aide constante qu'il a apportée à l'institution. Je veux aussi saluer les députés membres de la commission de surveillance, Mme Grosskost et M. Goua.

Pour avoir été durant une année directeur de cabinet du Président du Sénat, j'ai pu apprécier du sein même du Parlement la vigilance des parlementaires et leur attachement à l'indépendance de la Caisse et donc de son directeur général, qui est placé « sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Je proposerai au président de la commission de surveillance, si la responsabilité m'en échoit, d'organiser le travail de façon que la commission de surveillance soit, mieux encore qu'elle ne l'est aujourd'hui, associée en amont aux choix qui seront faits pour l'avenir.

Je mesure parfaitement que la situation qui me conduit à me présenter devant vous est inédite. C'est pourquoi ma première priorité sera de rassurer les 5 400 collaborateurs de l'établissement public et, par-delà, tous les collaborateurs du groupe, qui sont presque 130 000 dans le monde entier, si on prend en compte tous les collaborateurs des filiales à l'étranger.

Au sein d'une telle institution, il me paraît indispensable d'éviter toute solution de continuité, c'est-à-dire toute rupture, de maintenir un cap et de m'appuyer sur l'ensemble des équipes dont je connais depuis très longtemps les compétences, l'énergie et le sens de l'intérêt général. Le responsable d'une grande organisation est un chef d'orchestre plutôt qu'un soliste.

Je sais que ma candidature a, ici ou là, suscité des interrogations. C'est pourquoi je sollicite votre confiance tel que je suis.

Le président de la Commission a bien voulu rappeler quelques éléments de mon parcours. Il y a trente ans, j'ai fait le choix du service public et le choix des territoires. Dans la vie, on bâtit souvent ses cohérences en chemin.

J'ai été nommé, très jeune sous-préfet, conseiller auprès du ministre de l'Intérieur – tout d'abord Gaston Defferre puis M. Pierre Joxe. J'étais en charge de la décentralisation et de la déconcentration. J'ai aussi exercé les fonctions de directeur du cabinet du secrétaire d'État chargé des Collectivités locales, M. Jean-Michel Baylet.

Pendant deux ans, j'ai appris à connaître les outre-mer, comme sous-directeur des DOM, en charge des finances des DOM et des TOM. Enfin, pendant quatre ans, j'ai eu la responsabilité de directeur général des collectivités locales sous l'autorité de MM. Joxe, Marchand, Baylet et Sueur. Quelques années après, j'ai été nommé directeur-adjoint au délégué à l'aménagement du territoire, M. Pasqua étant ministre.

Durant ces dix années, je crois avoir contribué à l'élaboration de toutes les lois de décentralisation et d'aménagement du territoire : des transferts de pouvoir aux transferts de compétences dans tous les domaines de l'action publique, de la réforme des régions à celle des finances et de la fiscalité locale, des lois sur la montagne ou le littoral à la loi sur la ville avec la création de la dotation de solidarité urbaine, de la loi sur l'outre-mer aux réformes en faveur du développement rural avec la création de la dotation de développement rural, de la réforme des deux statuts de la Corse à la création des communautés de communes dans le cadre de la loi sur l'administration territoriale de la République.

Un historien montrera un jour, sous la surface des choses, la très forte continuité des politiques publiques tout au long de cette période.

En deçà ou au-delà des textes, j'ai beaucoup sillonné la France, rencontré beaucoup d'élus sur le terrain ou à Paris, au sein du Comité des finances locales que j'ai longtemps animé et auquel, monsieur le président, vous avez attaché votre nom, ou encore au sein de la commission interministérielle d'aide à la localisation des activités – CIALA –, qui distribuait à l'époque la prime à l'aménagement du territoire.

Durant cette période, j'ai beaucoup travaillé avec la Caisse des dépôts, en particulier avec ses directions régionales, que les services de l'État jalousaient un peu, voire beaucoup. J'ai même, en ce temps-là, contribué à créer un réseau, qui s'appelait alors Invest in France network, devenu l'Agence française pour les investissements internationaux, qui fusionnera bientôt avec Ubifrance.

Dans un deuxième temps, c'est par l'aménagement et le développement durable du territoire que je me suis tourné vers les politiques d'urbanisme, d'habitat, de construction et de logement. Pendant près d'une dizaine d'années, comme directeur de la construction, puis, après la fusion de la direction de la construction avec celle de l'urbanisme, à la tête de la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction – DGUHC – devenue la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature – DGALN – que de noms barbares ! –, j'ai contribué à redéfinir les politiques publiques dans ces domaines importants pour la vie de nos concitoyens.

Sous l'autorité de ministres aussi différents que MM. Bernard Pons, Pierre-André Périssol, Jean-Claude Gayssot et Louis Besson, nous avons proposé au Parlement beaucoup de réformes qui ont porté leur fruit : la réforme de l'accession à la propriété d'abord, avec la création du prêt à taux zéro, qui fut une aventure, les réformes toujours inachevées de la fiscalité de l'investissement locatif ensuite, et, enfin, la réforme du financement du logement social, qui n'avait pas évolué depuis les années 1980 à la suite de la grande réforme conduite par Raymond Barre.

C'est à cette période que nous avons redéfini avec la Caisse des dépôts les outils modernes du logement social : création des différentes familles de prêts locatifs aidés ou des premiers prêts démolition-reconstruction, substitution de la TVA à taux faible aux crédits budgétaires d'aide à la pierre, première réforme des aides à la personne.

C'est à cette période aussi que nous avons réformé les principaux outils de l'urbanisme opérationnel dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. On se rappelle généralement l'article 55 sur le pourcentage de logements sociaux ; or, c'est aussi cette loi qui a substitué le plan local d'urbanisme au plan d'occupation des sols et qui a institué le schéma de cohérence territoriale.

Il ne s'agissait pas de folies technocratiques puisque, en définitive, le code de l'urbanisme avait subi à l'époque une cure d'amaigrissement sévère de près d'un tiers. Il a repris depuis lors du poids via quelques articles. C'est de cette époque aussi que datent les premières étapes de la réforme de la politique de la ville que conduisit ensuite M. Jean-Louis Borloo avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine.

C'est un moment de ma vie où je connaissais la plupart des villes de France bien plus par leur parc HLM que par leur centre-ville. C'est donc assez logiquement que, bien des années plus tard, j'ai été nommé par le maire de Paris à la tête de Paris Habitat, qui est l'office public de l'habitat de Paris et de la petite couronne et qui est toujours le premier organisme de logement social public en Europe.

Au fond, il est assez salubre de devoir appliquer des règles que l'on a soi-même imaginées et, parfois, de devoir pester contre elles !

C'est, au demeurant, l'expérience que j'ai vécue dans les territoires, comme préfet de l'Aisne à l'époque des premières restructurations industrielles et militaires – fermeture des bases –, puis comme préfet de Corse pendant trois ans dans des moments difficiles et, enfin, comme préfet de la région Lorraine, confrontée aux mutations industrielles.

Ayant été de 2001 à 2003, sous l'autorité de M. Daniel Vaillant puis de M. Nicolas Sarkozy, chargé du secrétariat général du ministère de l'Intérieur, qu'on appelait à l'époque la direction générale de l'administration – on disait alors que j'étais le patron des préfets –, j'ai pu mesurer combien la distance peut être grande entre les circulaires d'une administration centrale et la réalité des territoires.

Sur le chemin que je viens de dessiner brièvement – quoique peut-être trop longuement pour vous –, j'ai pu travailler en lien étroit avec tous les directeurs généraux de la Caisse des dépôts, de M. Robert Lion à M. Jean-Pierre Jouyet, et avec leurs équipes, dont beaucoup sont encore les piliers de cet établissement.

C'est notamment à ce titre que j'ai contribué à la réforme de ce qui était à l'époque la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales, qui est devenue le Crédit local de France. C'était bien avant les mésaventures désastreuses de Dexia.

J'ai évoqué la réforme des fonds d'épargne et leur extension à la politique de la ville. J'ai aussi participé à l'éphémère commission consultative des prêts administrés. Je dois même confesser que je suis un de ceux qui ont beaucoup travaillé sur la situation des communes de montagne et des stations de ski en difficulté, travail qui donna naissance, bien des années plus tard, à la Compagnie des Alpes, qui est une filiale de la Caisse des dépôts.

Enfin, dans les fonctions qui étaient les miennes depuis deux ans auprès du chef de l'État, j'ai contribué notamment à la création de la Banque publique d'investissement – BPI – et aux arbitrages initiaux sur ses orientations et sa gouvernance.

Je ne prétends pas, loin de là, tout connaître de la Caisse des dépôts. Ma première tâche, si vous m'accordez votre confiance, sera de rencontrer les principaux collaborateurs du groupe, de recevoir les organisations syndicales et de me forger une opinion éclairée par l'avis de ceux qui font vivre cette maison au quotidien.

Je souhaite toutefois vous exposer les priorités que j'entendrais retenir à la tête de ce groupe, si la charge m'en était confiée.

Je connais la diversité de la Caisse des dépôts. Je sais que le groupe rassemble en son sein des activités financières et des opérateurs spécialisés dans des secteurs aussi variés que le transport, l'ingénierie, l'immobilier ou le financement des entreprises. Cette diversité, je la constate et je la mesure : je tiens à vous dire que je ne me sens prisonnier d'aucun préjugé, d'aucun corporatisme, d'aucun a priori. Un bon management me paraît devoir être fondé d'abord sur la confiance et la responsabilité.

M. Jean-Pierre Jouyet a conduit en deux ans un travail considérable et je souhaite m'inscrire dans la continuité de son action. Pendant plusieurs mois, il a animé un travail collectif qui a permis de définir les orientations stratégiques du groupe, qui sont à la fois réalistes et exigeantes. Elles s'appuient sur l'histoire de la Caisse pour se projeter vers l'avenir et fixent un cadre adapté et souple aux réponses à donner à l'urgence économique. Ces orientations ont été avalisées par la commission de surveillance. Si j'en ai la charge, je les ferai miennes.

Ces orientations concernent non seulement le logement, les infrastructures, la transition écologique et énergétique et le développement des entreprises, mais aussi le renouveau des métiers historiques de mandataire et de dépositaire.

Il faut désormais les mettre en oeuvre. Cela n'exclut pas, bien sûr, que, chemin faisant, des adaptations stratégiques soient utiles ou nécessaires. Toutefois, la priorité est de tenir ce cap et d'approfondir l'action engagée.

Je partage le diagnostic de la commission de surveillance sur le fait que la Caisse des dépôts dispose d'un bilan solide mais plus rigide qu'autrefois. Dans une conjoncture où les taux sont durablement bas, alors que le coût de la ressource est élevé, le principal défi est de redonner de l'ambition et de la souplesse au groupe, dans un équilibre entre la flexibilité qui est nécessaire et la stabilité financière qui est indispensable.

Cette situation impose d'ancrer le groupe sur la principale valeur qui cimente son unité : l'intérêt général. On oublie trop souvent que, dans la définition traditionnelle du service public, à côté des principes de continuité et d'égalité, il y a le principe d'adaptabilité. Or, dans un monde en changement, l'équation économique de la Caisse des dépôts a changé puisque les fonds propres sont limités, que le bilan a évolué en raison de l'importance croissante des participations de la Caisse aux côtés de l'État, que les dépôts réglementés génèrent des marges moindres et que la Caisse contribue de manière substantielle aux finances de l'État.

La Caisse des dépôts doit donc tout à la fois, pour l'avenir, s'appuyer sur ses fondamentaux et faire évoluer ses modes d'intervention.

En tant qu'investisseur, la Caisse doit se montrer plus sélective dans ses choix et s'engager dans une logique de co-investissement efficace et utile à l'économie. Elle doit également s'attacher à un bon équilibre avec ses filiales, notamment avec Bpifrance, et se fixer des objectifs industriels clairs.

En tant que prêteur, elle doit tirer parti de l'augmentation du plafond du livret A et de l'enveloppe de 20 milliards d'euros destinée aux projets territoriaux. Le logement et les collectivités locales doivent devenir ou redevenir des priorités de l'établissement public.

En ce qui concerne les fonds d'épargne, il faut garder à l'esprit que les objectifs de construction de logements maintiendront sans doute la distribution des prêts au niveau actuel, historiquement élevé, ce qui peut produire, à moyen terme, une tension sur la liquidité des fonds d'épargne. Il faudra se montrer vigilant.

En ce qui concerne les projets territoriaux, la Caisse des dépôts a vocation à redevenir un prêteur de long terme de référence des collectivités locales et un acteur majeur au service des territoires.

Il en est de même de l'activité de prêts aux entreprises, notamment au travers de la participation de la Caisse des dépôts dans Bpifrance. Un équilibre, qui se fonde sur une répartition claire des objectifs de chacun, doit être trouvé avec cette filiale. Je salue la mise sur les rails de la BPI en moins d'un an. Elle parachève et amplifie les réformes antérieures en donnant les moyens d'une ambition industrielle pour la France.

En tant que mandataire et gestionnaire de dépôts, la Caisse des dépôts doit valoriser son expérience et son savoir-faire dans ses métiers historiques. Elle a vocation à devenir un outil de référence de la gestion publique, parce qu'elle est efficace et performante. Je pense à la gestion des retraites, au partenariat avec les notaires, à la gestion des comptes personnels de formation et, demain, à la mise en oeuvre de la proposition de loi sur les avoirs bancaires et les contrats d'assurance-vie en déshérence, résultant d'une initiative de M. Christian Eckert.

En tant qu'opérateur, enfin, la Caisse des dépôts doit à la fois assumer son rôle dans le secteur concurrentiel et engager une réflexion sur ses participations, dans un équilibre qui ne peut être défini a priori, entre une capacité d'adaptation, qui est nécessaire, et le respect de ses intérêts patrimoniaux et de ceux de tous ses collaborateurs.

C'est à cette ambition que je convierai les filiales du groupe, qui sont de belles entreprises, en termes d'enjeux industriels, financiers et, bien sûr humains. Je sais que, dans les temps qui viennent, certaines filiales du groupe devront répondre à des défis stratégiques importants. Je pense notamment à la Caisse nationale de prévoyance. Je serai déterminé à défendre résolument les intérêts stratégiques et patrimoniaux du groupe dans l'évolution de cette entreprise.

Après cette vision globale, je veux insister sur deux dimensions qui me paraissent essentielles.

La première est territoriale. L'existence de réseaux territoriaux est un atout sans équivalent, en particulier en matière d'ingénierie publique, technique et financière. Au moment où l'État engage une réflexion sur une nouvelle réforme des structures territoriales, les siennes et celles des collectivités locales, la Caisse doit jouer le rôle qui est le sien. Le niveau d'investissement de la Caisse des dépôts dans les territoires doit être selon moi à tout le moins maintenu et je m'attacherai à cet objectif. Je m'attacherai aussi à clarifier les conditions d'intervention de la Caisse des dépôts et de ses filiales, et à mobiliser le réseau au service du développement local dans cette période difficile. La priorité pour le réseau territorial est de se montrer actif et réactif.

La seconde dimension est européenne. La Caisse devra resserrer les liens avec ses partenaires européens, que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans mes précédentes fonctions. La Caisse doit acquérir une vision internationale. Un des rôles du groupe sera d'attirer de plus en plus d'investissements étrangers au service de notre économie. Je pense non seulement aux co-investissements avec les grands fonds souverains en France, mais également à l'accompagnement du développement des filiales à l'international.

J'ai l'intuition que la Caisse des dépôts, dans ses missions d'intérêt général, ne s'appuie pas suffisamment sur les capacités d'expertises de ses filiales et qu'inversement les filiales n'apportent pas suffisamment leur contribution au déploiement des objectifs d'intérêt public de la Caisse des dépôts. Le groupe associe des compétences financières reconnues et des expertises souvent très pointues, au contact du monde économique et du marché. Il allie également les atouts de service public et ceux de l'ambition industrielle.

Il doit valoriser ses sources de financement, qui sont complémentaires, qu'il s'agisse de ses activités pour compte propre, ou de celles de ses filiales dans le champ concurrentiel. Il est enfin à la fois ancré sur le territoire et ouvert à l'international.

C'est ce modèle équilibré que je veux non seulement préserver mais aussi promouvoir : on peut en tirer le meilleur en renforçant la cohésion et la cohérence.

Vue de l'extérieur, ce qui est encore ma situation, la Caisse des dépôts est un édifice solide et robuste, qui se caractérise par la multiplicité et l'hétérogénéité de ses missions. La cohérence et la cohésion, qui sont au coeur du projet stratégique défini l'an passé, me paraissent donc des objectifs majeurs. Le socle de la Caisse est celui des valeurs léguées par l'histoire : l'intérêt général, la foi publique – la protection de l'épargne des Français –, l'indépendance, dont vous êtes les garants. J'ajoute un lien particulier avec l'équipement du territoire, c'est-à-dire le développement durable, et un rapport propre au temps long – c'est la marque singulière de la Caisse depuis deux siècles. C'est en m'appuyant sur ce socle de valeurs, qui doit rassembler tous les collaborateurs, quels que soient leurs statuts, que je m'efforcerai de conduire, si vous m'accordez votre confiance, la modernisation et le développement de cette belle institution de la République au service de l'économie et de la croissance.

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