Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre-René Lemas :

Je vous remercie de cette introduction, monsieur le président. Il y a en effet un certain nombre de questions précises auxquelles je ne pourrai pas répondre en détail, même si je peux vous donner quelques éléments.

La question de l'indépendance de la Caisse est revenue à plusieurs reprises sous des formes différentes. Depuis l'origine, l'exécutif nomme le directeur général de la Caisse des dépôts. Depuis 2008, le Parlement peut – par l'intermédiaire des commissions des Finances – s'opposer à cette nomination. Il fut même un temps où le directeur général de la Caisse, nommé par le roi, l'était à vie. Cela fait rêver, surtout les vieux fonctionnaires...

Les raisons en sont d'abord institutionnelles, la Caisse étant placée « sous la surveillance et la garantie » du Parlement, à travers les commissions des Finances des deux assemblées et la Commission de surveillance. Nous avons là un premier élément de réponse sur l'indépendance du directeur général.

Le deuxième élément de réponse tient à la logique fonctionnelle. Si l'on souhaite que la Caisse puisse jouer son rôle au service de l'intérêt général, dans le respect des textes de 1816 et des dispositions de la loi de modernisation de l'économie de 2008, le directeur général doit être fonctionnellement en situation d'indépendance. Il doit pouvoir dialoguer avec l'ensemble des parties prenantes, dans le respect de l'intérêt général et de celui de l'État, mais il ne dépend pas fonctionnellement d'une administration ou d'un ministère.

Le troisième élément de réponse est personnel. Je suis un fonctionnaire de la « vieille école ». Je peux dire oui, il m'arrive parfois de dire non ; mais je considère qu'il est de la responsabilité du haut fonctionnaire, quel que soit son statut, d'assumer les responsabilités qui sont les siennes. Il me semble que c'est ce que j'ai fait depuis une trentaine d'années, dans tous les métiers que j'ai exercés.

Un deuxième grand sujet a été abordé par plusieurs d'entre vous, que vous me pardonnerez de ne pas citer nommément : celui des collectivités locales. La situation dans laquelle celles-ci se trouvent – que vous avez décrite – est appelée à perdurer, voire à s'amplifier dans les années qui viennent. Je ne porte pas de jugement ; je me borne à constater que les collectivités locales vont être confrontées à un problème de financement. L'expérience nous enseigne que dans ce type de difficultés, la première question qui se pose est celle de l'investissement des collectivités locales. Je rappelle que selon les années, les collectivités locales représentent entre 70 % et 75 % de l'investissement public. La Caisse des dépôts doit donc jouer son rôle – mais avec un certain nombre de réserves et à certaines conditions.

Le rôle de la Caisse est double. Il consiste d'abord à mobiliser ses réseaux territoriaux, et l'ensemble des structures de l'établissement public, aux côtés des collectivités locales. Lorsque j'étais en poste sur les territoires, j'ai souvent été irrité par la lenteur, voire la difficulté de réaction de bien des acteurs territoriaux, à commencer par les services de l'État, mais aussi des services de la Caisse. Dans cette période où les collectivités locales vont devoir s'adapter à une nouvelle donne institutionnelle, si celle-ci est décidée par le Parlement, il est important de disposer d'une capacité d'ingénierie technique, financière et administrative publique. Celle-ci existe, mais moins qu'autrefois, dans les services de l'État ; elle existe dans les grandes collectivités locales, moins dans les plus petites, en raison des décisions que l'État a dû prendre pour les raisons que nous connaissons. Le premier impératif est donc de rendre les services territoriaux de la Caisse actifs et réactifs, comme je le disais tout à l'heure. Dans mon esprit, il ne s'agit pas seulement de son réseau territorial propre : nous devons faire travailler ensemble ce réseau territorial et celui des différentes filiales, dans le respect de leur statut propre, sachant qu'un certain nombre des entreprises concernées sont privées, voire cotées.

J'en viens à la capacité de prêt et d'intervention de la Caisse. Je rappelle qu'une enveloppe de prêts sur fonds d'épargne de 20 milliards d'euros a été mise en place en 2013 pour la période 2013-2017. La montée en puissance a été un peu lente. Il me semble important d'avoir une enveloppe de prêts sur fonds d'épargne sur une période longue, qui permettra de prendre le relais des prêts sur plus courte période accordés par La Banque postale. La Caisse est aussi présente à ce titre. Cette articulation entre les différents acteurs me paraît constituer le principal objectif. C'est en tout cas ce que je souhaite faire. Je ne suis pas en mesure de poser un diagnostic précis à ce jour, mais l'articulation entre La Banque postale et la Caisse, au titre des fonds d'épargne, me paraît importante. J'y ajoute une articulation « raisonnable » avec l'ensemble des acteurs privés, qui trouveront là l'occasion de renouer avec la clientèle des collectivités locales qu'ils ont, disons-le franchement, abandonnée pendant de nombreuses années.

Un dernier élément est d'ordre prudentiel. Dans la situation qui est aujourd'hui celle de la Société de financement local – SFIL –, qui a pris le relais de Dexia sur les collectivités, conduisant la Caisse à être de nouveau présente comme emprunteur sur les marchés, ce qui ne s'était pas produit depuis très longtemps, nous devons être attentifs aux échéances, notamment législatives. J'ignore où en est le débat parlementaire à la suite de la décision du Conseil constitutionnel qui a remis en cause une disposition de la loi de finances sur ce sujet, mais je me permets de rappeler qu'il s'agit d'un sujet lourd de conséquences pour l'État et pour la Caisse. Celle-ci sera donc très attentive à la suite du débat sur ce sujet difficile.

Un sujet connexe, qui concerne pour l'essentiel les collectivités locales, a été abordé à plusieurs reprises : la politique de la Caisse en matière d'infrastructures. Je suis frappé de constater que les chiffres sont différents selon que l'on s'intéresse à tel ou tel acteur à l'intérieur de la Caisse des dépôts. L'ordre de grandeur des investissements du réseau local est de 300 millions d'euros par an ; celui de l'ensemble du groupe Caisse des dépôts est de l'ordre de 4 milliards. Beaucoup de ces acteurs, de ces sociétés ou de ces filiales sont extrêmement hétérogènes. Je ne prétends pas apporter de réponse définitive, mais il me semble important d'établir un diagnostic et de mieux coordonner les différentes « unités » de la Caisse pour conduire une politique, notamment en matière d'infrastructures, au service des collectivités locales. C'est pour moi une priorité.

Le logement a bien entendu été évoqué. Je suis frappé de constater que les prêts au logement social et les prêts en matière de politique de la ville ont atteint l'an dernier des niveaux inédits – plus de 16 milliards d'euros. Il importe tout d'abord de réaffirmer que ces prêts au logement social et à la politique de la ville sont le coeur de métier des fonds d'épargne. Toutes les politiques visant par exemple à relever le plafond du livret A sont des politiques qui contribuent à accroître cette capacité de prêt et cette mobilisation des moyens.

Il faut ensuite redire que les objectifs quantitatifs sont très importants. Les objectifs quantitatifs de production de logement sociaux fixés par l'État sont de l'ordre de 150 000 par an. La Caisse doit être en mesure d'intervenir non seulement au titre des fonds d'épargne, mais aussi en tant qu'acteur des politiques du logement. Nous retrouvons ici des filiales comme le groupe SNI, qu'il faut mobiliser pour le foncier, la construction de logement social et la réhabilitation.

Pour répondre à une question qui a été posée, j'ai vu qu'en ce qui concerne le logement intermédiaire, il y avait eu une anticipation sur l'ordonnance et une mise en oeuvre assez rapide des dispositions adoptées en loi de finances initiale, la SNI ayant pris l'initiative – avec la Caisse – de créer un fonds d'investissement dédié à la création de 10 000 logements intermédiaires ouvert à des investisseurs institutionnels, Argos. Je ne suis pas en mesure de vous en parler de manière détaillée, mais c'est en bonne voie.

À l'intérieur de la SNI, que j'ai connue à l'époque où elle n'était qu'une petite société HLM, certes importante puisque c'était celle du ministère de la Défense, mais pas encore l'immense structure que nous connaissons aujourd'hui, il faudra veiller à ne pas mélanger ce qui concerne le logement social au sens large et ce qui relève de la capacité d'intervention de marché – ce qui n'est pas tout à fait de même nature – sur le logement en général. Cet objectif de lisibilité me paraît de bonne administration. En tout cas, j'y serai très attentif, comme je l'ai toujours été.

L'Union sociale pour l'habitat et l'ensemble des structures HLM, y compris les sociétés d'économie mixte – SEM – de logement et les nouvelles SEM à objet unique qui vont se créer, forment un ensemble considérable qui doit être globalement soutenu, et qui a lui-même engagé une réflexion, d'ailleurs initiée par les gouvernements successifs, sur la mise en cohérence des fonds et un minimum de péréquation permettant un investissement bien compris. C'est la bonne voie. La Caisse doit et peut être un accompagnateur de ces évolutions. Vous me pardonnerez de ne pas pouvoir être plus précis à ce stade, n'ayant pas eu tous les dossiers entre les mains.

J'en viens maintenant aux trois questions de M. de Courson, qui ont été reprises par beaucoup d'entre vous. Sur les prêts aux collectivités locales, je crois avoir répondu en fixant un cap. Il y a le rôle de la Caisse, mais aussi celui de La Banque postale ; il y a les interrogations sur la suite de Dexia et la SFIL. Mon intention – qui est banale – est d'avoir une vision la plus globale possible, compte tenu de la situation financière des collectivités locales aujourd'hui. Si vous m'accordez votre confiance, je rencontrerai assez vite les responsables des grandes associations d'élus locaux. La Caisse doit entretenir un lien permanent avec l'Association des maires de France, les départements et les régions.

M. de Courson a évoqué la « CDC conglomérat ». Je ne reprendrai pas les différentes métaphores qui ont été employées, mais il est certain que la Caisse est extrêmement hétérogène. J'ai même l'intuition que l'on en découvre tous les jours à l'intérieur de la Caisse. Bref, l'hétérogénéité de la Caisse est un sujet en soi. C'est un atout, puisque deux cultures – une culture de service public, dans le champ concurrentiel, et une culture financière, avec des métiers techniques pointus – se marient. Mais en même temps, nous devons assurer la cohérence et la cohésion à l'intérieur de l'institution. Je le dirai dès mon arrivée – si vous m'accordez votre confiance – aux cadres de la maison.

J'avais été saisi dans mes précédentes fonctions de cette question de Quick, monsieur Thévenoud. Je confesse être incapable de répondre à votre question, m'étant à l'époque empressé d'en saisir le directeur général de la Caisse. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il m'ait répondu... Quoi qu'il en soit, je vais regarder le sujet de près. J'ignore dans quelles conditions cet investissement a été fait. Je me souviens néanmoins avoir reçu plusieurs lettres à ce propos. Spontanément, il est contre-intuitif, comme l'on dit parfois dans les milieux financiers, de considérer que les hamburgers font partie de l'intérêt général. Mais en sommes-nous si sûrs ? Il ne faut pas seulement se fier aux intuitions, mais aussi au rendement financier – qui peut être très utile, indirectement, à l'intérêt général.

J'en viens à la BPI. Oui, la BPI doit se comporter en banquier avisé. C'est une banque, mais une banque avec des objectifs approuvés par le Parlement, dont la vocation même est d'être – dans le prolongement de ce qui avait été fait tant par OSEO que par le FSI ou par CDC Entreprises – un outil de la politique industrielle de la France. Vous savez que Bpifrance est détenue à parité par la Caisse et l'État, ce qui confirme que l'intérêt de l'État et celui de la Caisse ne se confondent pas tout à fait. Il a fallu débattre pour décider si l'on serait à 5149, comme on l'avait fait autrefois pour un certain nombre d'institutions, ou à 5050. Finalement, nous sommes à parité. Des objectifs ont été déterminés ; la banque doit jouer son rôle de banquier avisé ; pour autant, ce n'est pas n'importe quel banquier de la place. Je serai donc très attentif à ce que fera la BPI en complémentarité avec la Caisse, dans le cadre des orientations et des objectifs qui sont les siens.

Il me paraît difficile de dresser un bilan de la BPI au bout de moins d'un an d'exercice. Je pourrais vous lire les excellentes fiches que m'a préparées le directeur général de la BPI, mais je n'y apporterais guère de valeur ajoutée ; cela ne me semble donc pas indispensable. En tout cas, je lui fais une grande confiance.

Je suis un vieux partisan et un très ancien compagnon de l'économie sociale et solidaire. J'ai beaucoup travaillé avec le monde coopératif et le monde HLM. J'espère que ce ne sera pas retenu comme un élément à charge... Il est important de rester dans le cadre qui a été déterminé. Je ne peux vous répondre exactement au-delà de ce que vous avez dit sur les trois financements dédiés par le programme d'investissements d'avenir ou la BPI.

Sur la gouvernance de ce programme, je n'ai pas d'avis en tant que candidat au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Il me paraît important que la Caisse et la BPI jouent leur rôle de la manière la plus rigoureuse possible dans la mise en oeuvre du programme. C'est l'une des responsabilités que je m'efforcerai de remplir – si vous m'accordez votre confiance – dans les meilleures conditions. En matière d'investissement, le problème est celui de la complémentarité, de la cohérence, et celui d'une action résolue des pouvoirs publics. À mon sens, le pire est de se disperser. C'est donc un sujet auquel je serai très attentif.

Quant à Transdev et Veolia, vous me permettrez de prendre le temps d'« entrer » dans le sujet, même si j'ai eu à en connaître comme préfet de Corse – dans des conditions compliquées, voire spectaculaires. Donnez-moi donc le temps de l'appréhender avec la « casquette » Caisse des dépôts.

Je n'ai pas d'avis sur la postérité de Roger Priouret... Nous fêterons le bicentenaire de la Caisse dans deux ans ; il est important qu'elle se sente mobilisée à ce moment-là.

Je terminerai sur le prélèvement de l'État et les marges de manoeuvre de la Caisse.

Sur le prélèvement de l'État, je mettrai en oeuvre ce que décideront le Gouvernement et le Parlement. Je n'ai donc rien de particulier à dire en tant que candidat au poste de directeur général. En revanche, je voudrais attirer votre attention sur un point qui m'a frappé, sachant que j'ai connu la Caisse dans bien d'autres périodes de ma vie professionnelle. Une des difficultés de la Caisse tient aujourd'hui à ce qu'il est convenu d'appeler – dans sa littérature interne – la rigidification de son bilan. Elle ne peut pas tout faire, car elle s'est dotée, à l'initiative de mon prédécesseur et avec la commission de surveillance, d'un modèle prudentiel – ce qui est essentiel. Nous devons veiller à ce que ce modèle ne soit pas seulement celui d'une banque, car la Caisse des dépôts est une institution spécifique ; ce qui ne veut pas dire qu'il doive être plus laxiste.

Le capital économique de la Caisse s'élève aujourd'hui à 26 ou 27 milliards d'euros. Sur le plan comptable, la Caisse n'a pas d'actionnaires. Ses fonds propres sont constitués de l'accumulation des résultats depuis 1816. Il est essentiel de mesurer qu'aujourd'hui, avec les participations stratégiques qui ont été décidées pour des raisons d'intérêt général, qu'il s'agisse du sauvetage de Dexia, de La Poste ou encore du FSI puis de la BPI, le montant des engagements est important par rapport aux fonds propres, et que cela contribue à rigidifier le bilan.

De même, le niveau des prêts octroyés sur la section générale a considérablement augmenté. J'évoquais tout à l'heure la situation de la SFIL ; ce sont 12,5 milliards d'euros qui sont prélevés sur les marchés. Comme l'a dit Mme la rapporteure générale, les résultats positifs de la Caisse aujourd'hui sont largement conditionnés par l'évolution des taux, par les marchés d'actions et par l'évolution du marché immobilier, dont les perspectives sont liées aux perspectives de croissance. Dans une situation où le niveau des taux d'intérêt reste très bas, ce qui est une chance pour la France, les moteurs traditionnels de résultats, la marge d'intérêt exigent une attention particulière de la part de la Caisse.

J'ajoute que les revenus de participations dépendent eux-mêmes beaucoup de la conjoncture – ils peuvent être très importants ou plus volatils. C'est dans ce contexte qu'une réflexion peut être utile sur l'évolution – c'est-à-dire la croissance possible – des fonds sociaux de la Caisse. Plus les prélèvements de l'État sont importants, plus l'évolution des fonds sociaux est modeste. Il y a un moment où l'équilibre entre l'évolution des fonds sociaux, qui relèvent du long terme, et les nécessités des finances publiques, qui relèvent du court et du moyen terme, justifie un examen attentif. C'est une question qui n'est pas nouvelle, mais qui se pose davantage aujourd'hui, compte tenu du fait que la marge de croissance des fonds propres est à peu près tout ce qui permet une évolution de la Caisse au service de l'intérêt général. Il ne s'agit pas de prendre des positions de principe sur ce sujet, ce qui serait inconvenant, mais de rappeler que cette réflexion sur l'importance de l'évolution sur le court et le moyen terme des fonds propres sociaux est importante pour l'avenir de la Caisse.

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