L'Europe de la défense est un sujet majeur, Monsieur Pueyo. Nous avons eu à convaincre nos partenaires que l'intervention au Mali était un enjeu de sécurité, non seulement pour le Sahel et pour un peuple qui voyait sa souveraineté mise en cause, mais aussi pour l'Europe. D'autres États se sont ainsi engagés, notamment à travers des opérations de formation, dans la durée, de l'armée malienne. Cette solidarité européenne s'exprime également en République centrafricaine, où l'engagement de nos partenaires monte en puissance, en attendant que la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en RCA, la MINUSCA, prenne le relais, avec des troupes majoritairement africaines.
La crise en Ukraine montre la nécessité d'une politique étrangère commune, qui permette à l'Europe de parler d'une seule voix et de se doter, en lien avec l'OTAN, de capacités de défense ; surtout, il faut une solidarité réelle, et non théorique, entre les États membres. Aussi la France a-t-elle, avec d'autres pays de l'Union, mis à disposition des pays baltes des moyens pour la surveillance aérienne, parmi lesquels des avions positionnés en Pologne.
Suite au Conseil européen du mois de décembre dernier, une feuille de route a été fixée pour renforcer la politique de sécurité et de défense commune. Cette initiative marque déjà un changement par rapport au précédent Conseil européen consacré à ce thème, qui s'était tenu en 2008 et n'avait débouché sur aucune préconisation concrète. Des travaux ont été lancés depuis, sur lesquels se sont penchés les ministres de la défense lors des conseils ; ils concernent des sujets aussi concrets que le ravitaillement en vol, les drones de surveillance, l'industrie de la défense, à laquelle la France consacre des moyens qu'il faudrait davantage mettre en commun, afin d'inciter certains pays à développer leurs propres technologies. Nos concitoyens, un sondage récent le confirme, attendent que l'Europe s'exprime aussi par ce biais : non seulement qu'elle soit un espace de solidarité face aux crises financières, aux urgences sociales – notamment l'emploi – et aux grands défis de demain, comme l'énergie ou le numérique, mais aussi qu'elle assure notre sécurité et ne dépende pas, pour ce faire, d'autres pays ; c'est également ainsi qu'elle consolidera sa politique étrangère.
Sur l'Ukraine, l'urgence n'est pas tout à fait la même vue de Pologne, de République tchèque ou des pays méditerranéens ; mais la France, avec l'Allemagne, consacre beaucoup d'efforts à la recherche d'une approche commune. Comme vous le savez, le déplacement à Kiev de M. Fabius, avec ses homologues allemand et polonais, a permis d'éviter un bain de sang et de fixer une feuille de route pour la transition démocratique ; M. Fabius et M. Steinmeier se sont par ailleurs rendus ensemble en Géorgie, en Moldavie et en Tunisie, marquant que la politique de voisinage n'était pas divisée entre des pays qui ne seraient tournés que vers l'Est et d'autres qui ne le seraient que vers le Sud. C'est là un exemple supplémentaire du fonctionnement effectif du couple franco-allemand.
M. Schneider a rappelé que nous étions tous deux à Strasbourg samedi matin. J'ai profité de ce déplacement pour réaffirmer l'attachement des autorités françaises à la présence, à Strasbourg, du siège de grandes institutions européennes, le Conseil de l'Europe et le Parlement européen. Strasbourg est une capitale européenne de la démocratie, que nous entendons défendre, aujourd'hui comme demain, y compris à travers l'assemblée qui sortira des urnes le 25 mai prochain. S'agissant de la mobilisation de nos concitoyens pour cette élection décisive, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a saisi les médias audiovisuels, en particulier France Télévisions, afin qu'ils accordent à la campagne la place qu'elle mérite ; je souhaite notamment que les débats entre les candidats des formations politiques européennes aient tout l'écho nécessaire dans les médias français.
Le Gouvernement met lui aussi en oeuvre un certain nombre de moyens : campagne d'information sur les radios et dans plusieurs réseaux de transport, mobilisation conjointe avec le Parlement européen afin d'expliquer les pouvoirs de celui-ci, les modalités de l'élection et l'importance de la participation.
Comme l'a rappelé M. Caresche, le suivi des affaires européennes est désormais assuré par un conseiller à l'Élysée qui occupe également la fonction de Secrétaire général des affaires européennes. Cette organisation améliore l'efficacité et la circulation des informations, en vue d'élaborer les positions françaises et de coordonner au mieux le travail entre les ministères, tous concernés par les négociations européennes. Le Président de la République et le Gouvernement peuvent ainsi, chacun dans son rôle et ses attributions, agir de concert sur la base d'informations délivrées en temps réel ; je m'appuie également sur ce dispositif dans le cadre de mon propre travail, qu'il s'agisse de la relation avec les parlements français et européen ou de la représentation de notre pays dans les conseils des ministres européens : le Conseil Affaires générales, bien entendu, ou d'autres rencontres, comme le Conseil Affaires étrangères lundi prochain, où je me rendrai à la demande de Laurent Fabius, ou la réunion des ministres des affaires étrangères à Thessalonique, pour le onzième anniversaire du sommet sur les Balkans.
Comment, Madame Rohfritsch, empêcher une forme de compétition par le bas au sein de la zone euro ? C'est tout l'enjeu de la politique que nous menons en matière de convergence sociale et d'harmonisation fiscale. Certains, libéraux ou ultra-libéraux, plaident depuis des années pour une zone de libre-échange dépourvue de règles communes : logique qui conduit des entreprises à établir leurs sièges là où elles sont le moins taxées, pour échapper à une juste contribution ailleurs, et au dumping social ; c'est pourquoi nous avons attaché une telle importance à la négociation de la directive sur le détachement des travailleurs. L'autre logique consiste à élever les standards, au niveau des règles européennes comme au sein de chaque État membre : c'est celle qui a conduit la nouvelle coalition, en Allemagne, à instaurer un salaire minimum – 8,50 euros à partir du 1er janvier prochain. On se souvient aussi des problèmes de concurrence entre abattoirs bretons et abattoirs allemands employant de la main d'oeuvre venue d'autres pays, payée trois ou quatre euros de l'heure. La sortie de l'euro, c'est notre rôle de le rappeler, se traduirait par des dévaluations sans fin ; elle aurait des effets catastrophiques pour l'économie française. Aussi défendons-nous une harmonisation par le haut, à travers la fiscalité de l'épargne, les bases de calcul communes de l'impôt sur les sociétés, l'obligation, pour les multinationales – de l'Internet, par exemple – de payer leurs impôts là où elles réalisent leurs profits ou la taxe sur les transactions financières.
Le taux de cette dernière, Madame Grelier, doit encore être débattu : la proposition de la Commission européenne servira de point de départ. L'assiette s'étendra au-delà des actions, pour inclure une partie des produits dérivés ; quant à l'affectation, une partie des sommes financeront des politiques européennes, notamment en faveur de l'emploi des jeunes, et une autre des politiques d'aide au développement – lutte contre les pandémies et solidarité internationale. Cela correspond bien à l'esprit de cette taxe, conçue comme un outil de régulation et de contribution du système financier à des politiques d'intérêt général.
Le suivi du traité transatlantique fera effectivement l'objet d'un contrôle parlementaire ; Laurent Fabius a d'ailleurs proposé que le Gouvernement en fasse un rapport trimestriel devant l'Assemblée nationale.
Beaucoup a été fait, comme je l'ai indiqué, Monsieur Herbillon, dans les trois domaines que vous avez évoqués. Sur les relations franco-allemandes, outre les initiatives de politique étrangère que j'ai rappelées, le Conseil des ministres franco-allemand, en février dernier, a pris beaucoup d'initiatives, qu'il s'agisse du renforcement de la gouvernance de la zone euro ou de l'énergie, à travers l'Airbus, bel exemple de politique industrielle commune qui, à l'origine, ne faisait l'objet que de coopérations très ponctuelles entre la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Lors du dernier Conseil des ministres franco-allemand, des coopérations ont été décidées sur le stockage de l'énergie, les énergies renouvelables ou l'efficacité énergétique. Bref, dans de multiples domaines, Allemands et Français associent leurs efforts de recherche et leurs capacités industrielles.
La rencontre entre le Président François Hollande et la Chancelière Angela Merkel, cette semaine, en Allemagne, permettra de rappeler l'importance de la dynamique franco-allemande pour la préparation des prochains Conseils européens et des grandes échéances futures. Nos deux pays travaillent de concert sur plusieurs orientations communes –convergence économique, sociale et fiscale, transition énergétique et politique de défense –, avec pour méthode la consultation permanente. Mon homologue Michael Roth et moi projetons de nous rendre, ensemble, dans un certain nombre de pays tiers, pour illustrer notre volonté de faire avancer les politiques communes.
Pour les jeunes, Madame Doucet, Erasmus est sans doute le programme le plus populaire ; à telle enseigne que les programmes de mobilité en faveur de la jeunesse, qu'elle soit ou non étudiante, adoptent désormais ce noM. Les vertus d'Erasmus, dans le parcours des étudiants, sont reconnues ; mais le plus important est peut-être qu'il contribue à faire de ceux-ci des citoyens européens. Il n'y a aucune raison pour que les jeunes en formation professionnelle, en apprentissage ou en alternance ne bénéficient pas, eux aussi, d'une telle expérience ; elle peut être utile en termes de formation, et offrir une ouverture sur le marché du travail européen ; mais, à travers une inscription dans la citoyenneté européenne, elle renforce les liens entre nos sociétés. Nous travaillons donc au développement d'« Erasmus + », le budget global du programme Erasmus se montant, rappelons-le, à 14,7 milliards d'euros.
Le 10 mars dernier, les ministres du travail de l'Union ont formulé une recommandation pour mieux encadrer les stages, faisant suite à des revendications du collectif « Génération précaire ». Les stages doivent être en effet rémunérés et effectués dans des conditions conformes au droit du travail.
M. Roumegas m'a interrogé sur cette autre priorité qu'est l' Europe de la santé, sur les perturbateurs endocriniens et sur la mise en oeuvre effective des différentes directives, en particulier le règlement REACH. Sur ces sujets, l'Europe ne doit pas perdre l'avance qu'elle avait jusqu'alors ; c'est là une exigence que nous devons avoir dans la négociation des traités et accords internationaux : je suis bien entendu prêt à y réfléchir avec vous.
Le mode de scrutin, Monsieur Lambert, a précisément été régionalisé pour rapprocher nos concitoyens de leurs députés européens ; s'il assure la représentation de chaque région au Parlement de Strasbourg, il implique des circonscriptions vastes. Nous devons toujours mettre en valeur, non seulement le rôle des parlementaires européens, mais aussi des décisions qui traduisent l'Europe dans les actes ; nous devons revendiquer ses réalisations positives, dans bien des domaines : les législations environnementales, les programmes pour la jeunesse, la garantie pour la jeunesse, la régulation du système bancaire et financier et la solidarité avec les pays en développement sont autant d'initiatives et d'actions qui peuvent faire la fierté des Européens.
Cependant, nous le savons, nos concitoyens nous jugeront sur les résultats, d'abord en matière de croissance et d'emploi. Nous devons concentrer tous nos efforts sur le retour de la croissance, le soutien aux investissements, l'aide aux petites et moyennes entreprises et la réalisation de grands projets structurants ; l'Europe doit investir dans les réseaux d'énergie et de transport, dans le numérique et la recherche universitaire commune.
Comme vous le savez, Monsieur Quentin, c'est le Ministre de l'économie qui, au sein du Gouvernement, suit le dossier AlstoM. Nous avons obtenu que soit ménagé un délai d'un mois pour examiner l'avenir de l'entreprise, et refusé que celle-ci fasse l'objet d'une offre publique d'achat (OPA) de la part d'un groupe non européen sans qu'aient été analysées, au préalable, les conséquences sur les centres de décision, l'emploi dans les territoires et les éléments stratégiques. Alstom produit en effet des composantes de centrales nucléaires, sans oublier, en matière de transport, l'héritage d'une glorieuse histoire industrielle, qui fit de la France un pays pionnier pour les trains à grande vitesse. Le Gouvernement est ouvert ; il souhaite que soient examinées les offres alternatives à celle de General Electric, en particulier celle d'un partenaire européen, Siemens.
Je ne puis me prononcer sur un dossier en cours d'examen, mais le Gouvernement est mobilisé. Le groupe Alstom a connu des difficultés dans le passé, mais il a développé des technologies très avancées dans deux domaines d'excellence, l'énergie et les transports. Il doit aujourd'hui préparer son avenir en scellant des alliances industrielles qui lui permettent d'affronter la compétition mondiale, mais le Gouvernement veillera à ce que sa substance, ses centres de décision, de recherche et de production restent en France.
Je vous remercie pour ces nombreuses questions, et me tiens à votre disposition pour d'autres auditions, comme pour des rencontres avec les députés qui travaillent sur des rapports ou des dossiers intéressant les affaires européennes.