Dans nos travaux, nous avons cherché à déterminer comment remédier aux fragilités de la zone euro. La première question que nous nous sommes posée est : faut-il une politique monétaire plus expansionniste pour lutter contre certains phénomènes comme l'euro fort, la faiblesse de l'inflation et le risque de déflation mais aussi pour accompagner une politique de croissance et soutenir l'investissement et le crédit ? Notre réponse est oui. Il faut une politique monétaire plus expansionniste, qui bénéficiera à l'ensemble de la zone. En particulier, une politique monétaire plus accommodante permettra d'accompagner les efforts menés par les États qui mènent des politiques de consolidation budgétaire.
Comment mettre en oeuvre cette politique monétaire plus accommodante ?
Faut-il remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne ( BCE ) ? Nous ne le pensons pas. L'indépendance de la BCE ne constitue en effet pas un obstacle à la mise en oeuvre d'une politique monétaire accommodante. Ainsi, depuis le début de la crise qui affecte la zone euro, la Banque centrale européenne a plutôt bien réagi en utilisant toute une palette d'instruments, dont des instruments non conventionnels. L'indépendance de la Banque centrale européenne a permis sa réactivité. Si le sujet avait relevé des États, il n'est pas certain que les décisions auraient pu être prises rapidement.
Ensuite, faut-il faire évoluer le mandat de la BCE, qui est fondé sur la stabilité des prix, avec un objectif d'inflation fixé à 2 % au maximum ? Force est de constater que le mandat de la BCE n'a pas été un obstacle à la mise en place d'actions innovantes de la part de la BCE, qui a agi, de manière classique, par sa politique de taux mais également par des opérations de refinancement à long terme ( LTRO ) ainsi qu'avec l'annonce d'un programme d'opérations monétaires sur titres ( OMT ), qui consiste en des achats de titres de dettes souveraines sur le marché secondaire. La BCE est ainsi allée très loin. Cela n'a d'ailleurs pas fait l'unanimité au sein du Conseil des gouverneurs. Certains décisions, comme celle relative aux OMT, sont d'ailleurs contestées devant la Cour de Karlsruhe qui a saisi la Cour de justice de l'Union dans le cadre d'un renvoi préjudiciel.
Le président de la BCE Mario Draghi affirme aujourd'hui être prêt à aller plus loin, en menant, si besoin, des politiques conventionnelles s'inspirant de celles menées par la Réserve fédérale américaine et la Banque d'Angleterre. On le voit, donc, le mandat de la BCE n'est pas un obstacle à une politique monétaire accommodante.
Pour la France, ce serait une erreur de soulever la question du mandat, alors que celle-ci est aujourd'hui posée à l'Allemagne, qui devra peut-être y répondre par une révision constitutionnelle. En réalité, la difficulté est aujourd'hui plutôt du côté de l'Allemagne que de notre côté. Compte tenu de ce recours juridique pendant, la France, qui a fait valoir ses arguments auprès de la Cour de justice, n'a pas intérêt à soulever la question du mandat.
Aussi, à ce stade, nous suggérons de ne pas ouvrir cette discussion.
Qu'est-ce qui justifie une politique monétaire plus expansionniste aujourd'hui ? Evacuons la question du taux de change, qui n'est pas la bonne « porte d'entrée » pour aborder ce sujet. On entend en effet beaucoup dire en France que l'euro est trop élevé par rapport au dollar. Mais cette analyse n'est pas partagée par nos partenaires, y compris les États du Sud de l' Europe, car ils ont déjà conduit des politiques d'ajustement. En outre, on peut difficilement contester le caractère trop fort de l'euro alors que la zone euro enregistre des excédents commerciaux croissants. En réalité, le taux de change n'est pas très loin de sa valeur d'équilibre.
La bonne porte d'entrée, c'est l'inflation et le risque de déflation. Le mandat de la BCE reposant sur un objectif d'inflation à 2 %, comment peut-on enregistrer de manière durable des taux d'inflation inférieurs à 1 % ?
Alors que la BCE, qui est encore dans une position attentiste, devrait bientôt réagir, quels moyens peut-elle mobiliser ?
Elle peut encore baisser son taux directeur. Elle peut également porter à un niveau négatif le taux de rémunération des dépôts. Mais, surtout, elle pourrait mettre en place une politique d'assouplissement quantitatif ou « quantitative easing » en s'inspirant de la Fed tout en ayant à l'esprit que le contexte européen est différent. En Europe, le financement de l'économie passe en effet principalement par les banques et peu par les marchés, contrairement aux États-Unis.
Au total, la BCE a les moyens de mener une politique plus expansionniste sans que soit remis en cause son indépendance ou son mandat. Mario Draghi a ainsi clairement dit qu'il était prêt à aller loin dans la mobilisation des instruments de politique monétaire.
Mais, au-delà de la question de la politique monétaire, il existe des causes structurelles à la situation économique dans la zone euro qui appellent des réponses, parmi lesquelles une véritable coordination des politiques économiques, afin de résorber les déséquilibres macroéconomiques qu'on connaît aujourd'hui. Il faut ainsi qu'il y ait un rééquilibrage entre les pays avec de forts excédents commerciaux, comme l'Allemagne, et les autres États, qui doivent améliorer leur compétitivité. La France doit se battre pour une meilleure coordination des politiques économiques.