Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Je suis surprise par certains propos sur un sujet qui mérite un débat sérieux. Alors que la France est engagée dans plusieurs opérations extérieures avec des difficultés de moyens, il est légitime d'avoir un débat ouvert sur l'ensemble de leur affectation. Environ 23 milliards d'euros seraient consacrés à la dissuasion nucléaire dans la LPM ; la question se pose de leur pertinence. Quant au débat moral, il ne m'apparaît pas du tout illégitime.

Au moins pourrions-nous aborder la question de manière pragmatique. Dans les années 70, certains auraient, en effet, justifié l'existence de la composante terrestre et l'utilisation du plateau d'Albion. Sa disparition n'a pas permis d'entamer cette réflexion, d'autant plus nécessaire que, déjà en 2007, j'avais bénéficié d'une écoute très attentive de la part des membres de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, présidée par Jean-Claude Mallet. Or mon discours, j'en suis sûre, aurait pu susciter les mêmes sarcasmes que ceux que je viens d'entendre. Je rappelle que la question qui nous est posée est l'utilité et la pertinence de la dissuasion nucléaire.

Comme l'a souligné Philippe Nauche, la dissuasion fait partie de notre identité et il est certain que, dans la psychologie collective de notre pays, la détention de l'arme nucléaire est associée à la puissance de la France, à l'image du général de Gaulle – encore très prégnante puisque nous travaillons ici avec l'une de ses citations sous les yeux. Aussi le débat touche-t-il à une forme d'irrationalité. Je crois profondément que cette question de l'identité, de l'irrationnel existe et, en tant que parlementaires, nous devons l'aborder avec franchise.

Savoir si c'est la dissuasion nucléaire qui a permis d'empêcher une nouvelle guerre mondiale est un vaste sujet ; seulement, nous sommes en 2014 et les questions géopolitiques ne sont plus les mêmes, les modes d'intervention militaire sont différents. Chacun sait bien que l'utilisation de l'arme nucléaire n'aurait aucune espèce d'efficacité en Ukraine, pas plus qu'au Mali ou en Centrafrique, alors même que notre intervention est souhaitée. La France est aujourd'hui reconnue, même par de grands pays, pour ses compétences militaires d'intervention sur des théâtres d'opérations très complexes et pas uniquement, voire pas du tout, parce qu'elle détient l'arme atomique.

Nous devons donc en débattre largement, y compris du point de vue budgétaire. Si une partie des économies liées à l'abandon, dans un premier temps, de la deuxième composante, pouvait être réaffectée à l'armement classique et au fonctionnement de nos armées de plus en plus souvent appelées sur des théâtres d'opérations extérieurs, ne serait-ce pas une meilleure garantie du statut de la France que la préservation difficile d'une identité liée aux années 60 et non au début du XXIe siècle ?

Enfin, dans le cadre de la mise en oeuvre d'un traité que nous avons signé et aux termes duquel nous nous engageons au désarmement, la France fait-elle partie de ceux qui contribuent à avancer sur le chemin d'un désarmement multilatéral ou bien agit-elle comme un frein ? Quel est le rôle des autres puissances nucléaires reconnues et quelle est la position des pays qui n'ont pas signé le TNP : l'Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord ?

Patrice Bouveret. Pour ce qui concerne l'équilibre international, beaucoup dépend du renforcement de l'ONU et de l'OSCE comme lieux de débat avec une autre répartition des pouvoirs que celle qui prévaut actuellement. Même s'il n'y a pas de lien historique entre les deux phénomènes, le fait que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, disposant du droit de veto, soient également les cinq puissances nucléaires reconnues, constitue un frein à l'évolution du débat lui-même sur le désarmement nucléaire. Alors qu'existe un traité d'interdiction des armes chimiques, un traité d'interdiction des armes biologiques, il sera beaucoup plus difficile, à cause de la configuration que je viens d'évoquer, d'obtenir un traité d'interdiction des armes nucléaires : aucun des « cinq » n'entendra remettre en cause sa place dans le concert des nations.

Il conviendrait donc de changer la composition du Conseil de sécurité créée après la Seconde Guerre mondiale, de lui donner un visage plus régional. Le monde a changé et ne pourra pas fonctionner éternellement selon un schéma reposant sur cette inégalité institutionnelle, verrouillée par l'arme nucléaire. Nous devons réfléchir à un monde plus égalitaire. Or la France, qui pourrait jouir d'une certaine crédibilité, de par son histoire notamment, pourrait engager une telle dynamique. Elle pourrait commencer par l'abandon de la seconde composante, manifestant de la sorte sa volonté d'aller vers un autre monde.

C'était d'ailleurs l'idée qui sous-tendait le TNP. La France est très active dans la lutte contre la prolifération nucléaire ou au sujet de l'accès au nucléaire civil, mais pour ce qui est du désarmement, elle bloque les débats. Or le TNP est un tout et ses trois piliers doivent se construire de concert. C'est pourquoi, sous l'impulsion de la Norvège, certains États ont pris l'initiative de réunir des conférences intergouvernementales sur les conséquences des armes nucléaires. La conférence de mai 2015, à New York, mettra en évidence que si les cinq puissances nucléaires n'avancent pas sur ce troisième pilier, on court à l'éclatement du TNP. Pour nous, ce risque est grave.

Nous ne sommes pas seulement des utopistes, même si certains d'entre nous ont manifesté au moment des Euromissiles. « Plutôt rouges que morts » n'étaient pas le slogan de tous les manifestants ni le seul ; certains conduisaient des réflexions assez poussées. Le fait qu'alors on se soit mobilisé en Europe, qu'on ait noué des contacts avec des dissidents des pays de l'Est a largement contribué à l'effondrement du bloc de l'Est. Les situations sont toujours plus complexes qu'on ne pense et il faut éviter les visions trop caricaturales.

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