Intervention de Jean-Marie Collin

Réunion du 14 mai 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Marie Collin, directeur France de Parlementaires pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement, PNND, chercheur associé au Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité, GRIP :

Comme l'a indiqué M. Nauche, l'équilibre est instable, donc, pour forcer un peu le trait, ce n'est plus l'équilibre. Voilà ce qui pose problème aujourd'hui, par exemple entre l'Inde et le Pakistan, alors même que ces deux États sont dotés de l'arme nucléaire. Ces dix dernières années, on a traversé des moments critiques où l'on a frôlé l'utilisation de l'arme nucléaire – il a fallu l'intervention de la diplomatie américaine ou britannique pour l'éviter. L'arme nucléaire ne joue donc pas tant sur cette instabilité.

Comprenez bien le changement de paradigme en cours à travers le monde. Admettons l'hypothèse que l'arme nucléaire a permis d'assurer l'équilibre du monde et d'éviter des guerres pendant la Guerre froide ; la majorité des États du monde ont rempli leur obligation de non-prolifération, « heureux » peut-être de bénéficier du parapluie nucléaire de l'OTAN ou de celui de l'Union soviétique. Aujourd'hui, ces mêmes États constatent que le monde a changé et se rendent compte que les armes nucléaires détenues par les neuf puissances nucléaires présentent pour eux un danger. C'est sur ce point que nous souhaitons que vous nous entendiez, et que vous abandonniez vos idées préconçues et reçues. Les Suisses, à propos de leurs amis français, les Norvégiens, à propos de leurs amis britanniques, les Belges, en voyant des armes nucléaires américaines stationnées sur leur territoire, se disent que si jamais ces armements devaient exploser pour des raisons accidentelles ou s'il devait y avoir une attaque terroriste, leurs économies et la sécurité de leurs concitoyens seraient en danger. Partant, par conséquent, du constat que ces armes nucléaires n'ont plus lieu d'être, qu'elles ne jouent plus un rôle « d'équilibre » entre les nations, nous devons parvenir à leur élimination. C'est pourquoi plus de 146 États se sont réunis pour aider à la mise en oeuvre du TNP.

Un échec de ce TNP l'année prochaine serait très dangereux pour la société civile, pour les ONG, mais aussi pour les États, car il serait alors fort probable que de nouveaux États décident de se doter d'armes nucléaires, alors qu'ils ne sont aujourd'hui que huit à en disposer – plus peut-être la Corée du Nord à propos de laquelle subsistent des doutes quant à sa capacité à utiliser ses ogives nucléaires. Parmi ces nouveaux États, l'Iran n'est pas le seul « grand ennemi » de l'Europe : l'Arabie Saoudite dispose de missiles à moyenne portée. L'échec du TNP entraînerait donc un basculement vers l'intensification de la course aux armements conventionnels et une importante prolifération nucléaire.

La France a mené des actions utiles en matière de désarmement unilatéral et nous n'avons jamais avancé qu'elle était un mauvais élève du désarmement nucléaire. Elle a renoncé à l'une des composantes, décidé de démanteler une partie de sa force océanique, passant de six à quatre sous-marins, fermé ses usines d'enrichissement. Je rappelle que le stock non-officiel d'uranium enrichi est de 30 tonnes et celui de plutonium de cinq tonnes, ce qui laisse de la marge pour la création de futures armes nucléaires.

Reste qu'aujourd'hui elle barre la route du désarmement. Discutez donc avec des diplomates de pays amis, allemands ou italiens, par exemple, pour vous en rendre compte. Ce ne sont pas seulement les Îles Marshall qui attaquent la République française auprès de la Cour internationale de justice pour non-respect de ses obligations internationales. Mme Duflot a rappelé cette idée préconçue selon laquelle, sans l'arme nucléaire, la France ne serait plus une grande puissance ou perdrait de ses moyens. Je vous demande de réfléchir au futur et de ne pas penser qu'au passé, monsieur Meunier. Nous devons conjurer tous ensemble un échec du TNP en 2015. Nous vous avertissons avec sérieux : le danger est réel. C'est pourquoi la conférence de Vienne qui se tiendra au mois de décembre est aussi placée sous l'égide du TNP, comme l'a bien indiqué le ministre autrichien des Affaires étrangères. La France a un rôle moteur à jouer ; nous pouvons mener des négociations avec les Chinois, par exemple, sur les questions de désarmement.

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