Intervention de Marie-Claude Dupuis

Réunion du 7 mai 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, ANDRA :

Cela, c'était avant le choix du site pour le laboratoire souterrain. Une fois ce choix effectué, l'engagement avait été pris de ne jamais y placer de déchets radioactifs ; il était donc exclu de transformer le laboratoire en centre de stockage. Néanmoins, pour des raisons de sûreté à long terme, il fallait rester dans la couche d'argile, qui présente d'excellentes qualités de confinement. Une zone de 250 kilomètres carrés a donc été identifiée en Meuse pour accueillir en profondeur des déchets radioactifs. Or un projet industriel aussi ambitieux ne comprend pas que des implantations souterraines : il a fallu sélectionner également une zone en surface, dans un milieu rural comprenant des terres cultivées et des forêts. La concertation a alors été engagée pour trouver le lieu où l'on dérangerait le moins, celui qui permettrait d'accéder à la couche argileuse tout en préservant la qualité de vie et les activités en surface. Nous avons accompli un important travail de terrain – dont beaucoup se souviendront – avant de proposer une implantation.

Il est vrai que ce travail a surtout concerné les élus locaux ; les propos du président de la CNDP faisaient donc peut-être référence à la société civile. C'est oublier que le Parlement avait confié au Comité local d'information et de suivi (CLIS) dédié à Cigéo un rôle important d'information et de concertation. Et il a accompli un gros travail en ce domaine. Bien entendu, cela n'a pas empêché l'ANDRA de mener ses propres actions de concertation. Avant même l'organisation du débat public, mes équipes avaient affrété un minibus afin de présenter, avec l'accord des maires, le projet Cigéo dans toutes les communes concernées. Souvent, cette présentation avait lieu le jour du marché. Or, en dehors du maire venu nous remercier de notre venue et de quelques personnes intéressées, nous n'avons eu que très peu de visiteurs. Nos échanges avec le CLIS de Bure révèlent d'ailleurs qu'il rencontre les mêmes difficultés.

Avant de recourir à ce minibus, nous avions organisé des réunions d'information et d'échanges dans toutes les communes de la zone Meuse-Haute-Marne : elles n'ont attiré au plus qu'une dizaine de personnes. Même en allant au-devant du public, il s'est avéré extrêmement difficile de l'intéresser.

En revanche, les journées « portes ouvertes » organisées au laboratoire de Bure sont un succès. Ces visites sont l'occasion d'un véritable échange avec les populations.

On ne peut donc pas affirmer que l'ANDRA ne fait que communiquer. Elle ne se contente pas de confectionner des dossiers de presse, mais réalise un travail considérable sur le terrain. Nous écoutons beaucoup, et le produit de cette écoute, au-delà même du bilan du débat public, est ce qui nourrit notre projet au quotidien.

J'en viens à la question de la réversibilité qui, selon moi, aurait pu constituer le coeur du débat public. Nos propositions sur ce sujet n'ont pas toujours été comprises, les quiproquos sur les notions de réversibilité et de récupérabilité contribuant à la confusion. C'est pourquoi le conseil d'administration s'est attaché à reformuler les choses dans sa décision.

Notre analyse est que la réversibilité comprend deux dimensions.

La première, qui répond à une demande forte, est d'ordre technique. Elle consiste à prévoir la possibilité, pour les générations futures, de retirer les colis de déchets. De fait, l'ANDRA s'engage à dimensionner les installations Cigéo de façon à permettre ce retrait pendant cent ans, avec des épaisseurs d'acier et de béton suffisantes, des robots capables de fonctionner dans les deux sens, etc.

La seconde composante est plus politique. Selon nous, la réversibilité se définit comme la capacité à offrir à la génération suivante un choix : soit opter pour le stockage en scellant les alvéoles, soit retirer les déchets. Cigéo permet ce choix, notamment parce que notre projet est flexible et sa mise en place très progressive.

En attendant le vote d'une loi sur les conditions de réversibilité, nous avons donc tenté de traduire cette notion avec nos propres mots et d'élaborer des propositions sur ce sujet.

Avant tout, le projet Cigéo intégrera, dès sa conception, la possibilité de récupérer les colis de déchets pendant les cent ans que durera la période d'exploitation, garantissant aux générations futures la possibilité de faire un choix.

Au-delà de la réversibilité ou de la récupérabilité, le vrai choix porte sur la fermeture plus ou moins progressive des alvéoles et des ouvrages de stockage. Afin de rassurer tout le monde, je me dois de préciser qu'aucune alvéole ne sera scellée pendant la phase industrielle pilote. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'elles resteront ouvertes à tous les vents. Les alvéoles pour les déchets de moyenne activité à vie longue, qui prendront la forme de tunnels de 400 mètres de longueur et de 9 mètres de diamètre, seront closes par des portes blindées pouvant être rouvertes. Pour assurer la sûreté à long terme – un million d'années –, le scellement définitif sera obtenu par des ouvrages en béton de 30 à 40 mètres associés à de la bentonite.

Pour résumer, pendant la phase industrielle pilote, les alvéoles seront fermées par des portes blindées pouvant être ouvertes : la réversibilité sera assurée à 100 %. Et l'ANDRA s'engage à n'envisager un calendrier de fermeture qu'à l'issue de cette phase. Même à ce moment, nous disposerons encore d'un choix et de temps pour le faire.

L'Autorité environnementale nous a invités à travailler, pendant la phase industrielle pilote, sur trois scénarios d'exploitation et de fermeture du stockage. Les évaluateurs – ASN, IRSN, CNE2 – préconisent d'effectuer le scellement le plus tôt possible, afin d'assurer la sûreté passive, tandis que la société civile tend à vouloir le plus possible retarder ce moment, afin de laisser les choix ouverts. Nous allons approfondir ces deux scénarios, ainsi qu'un troisième, intermédiaire, qui consisterait à fermer les alvéoles par quartiers compte tenu de la nécessité de les surveiller.

Tout cela sera inscrit dans le plan directeur, qui identifiera les points de décision. L'ANDRA, en effet, n'a pas l'intention d'exploiter le centre en cachette : elle présentera en 2015 les différents scénarios d'exploitation possible, puis le point sera fait après la phase industrielle pilote.

Par ailleurs, trois engagements forts ont été pris par le conseil d'administration. Le premier consiste à garantir la sûreté avant tout, un objectif qui reste la priorité absolue pour l'Agence. Le deuxième, à veiller à la bonne insertion du projet dans le territoire qu'il doit contribuer à développer. Nous avons notamment l'intention de demander une labellisation de type « grand chantier », susceptible de structurer le dialogue entre l'État, les collectivités territoriales, l'ANDRA et les autres entreprises de la filière nucléaire. Une telle intention rejoint d'ailleurs la proposition faite par certains de créer une zone d'intérêt national. Dans les deux cas, il s'agit de tenir compte du fait que Cigéo est plus qu'un simple projet industriel, un projet d'intérêt national qui doit être traité de manière spécifique. Enfin, le troisième engagement est de veiller à la maîtrise des coûts et de réduire les dépenses sans pour autant transiger sur la sûreté et la sécurité.

Cela m'amène à la question du chiffrage du coût du projet. Les derniers éléments rendus publics sur ce sujet sont contenus dans le rapport de la Cour des comptes, qui a d'ailleurs bien souligné la difficulté de l'exercice. La seule estimation officielle a été publiée en 2005 par le ministère de l'énergie, mais les travaux sur ce chiffrage se poursuivent.

J'insiste sur le caractère inédit de l'exercice assigné à l'ANDRA, qui n'est demandé à aucun industriel : chiffrer un coût complet, comprenant non seulement l'investissement initial correspondant à la phase industrielle pilote, mais aussi le coût de l'exploitation de l'installation pendant plus de cent ans, de sa fermeture, du démantèlement des installations de surface, etc. Or non seulement une telle estimation dépend de toutes sortes de paramètres techniques, mais elle ne peut être réalisée qu'à partir d'hypothèses de travail. Quelle sera, par exemple, la fiscalité applicable à Cigéo en 2020, année où le projet pourrait être autorisé ? Que dire alors sur une période de cent ans ? Sur de telles questions, nous attendons les hypothèses de l'État.

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