Intervention de Denis Baupin

Réunion du 7 mai 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin, rapporteur :

Les responsables actuels de l'ANDRA ne sont pas responsables de toutes les décisions prises depuis cinquante ans ; il n'empêche que certaines questions restent en suspens, que nous devons poser à l'Agence parce que les autres acteurs de la filière nucléaire n'y ont pas répondu.

Le conseil d'administration de l'ANDRA a reconnu que le projet Cigéo n'était pas mûr. On voit, là encore, un exemple des comportements irresponsables qu'a dénoncés hier un collègue UMP de la commission du développement durable, en parlant de ceux qui, il y a plusieurs dizaines d'années, ont développé une filière sans savoir ce que l'on ferait de ses déchets. Nous devons donc nous montrer à la hauteur du défi et trouver des réponses.

J'aimerais d'abord savoir comment l'ANDRA compte traduire une préoccupation exprimée aussi bien par l'ASN et l'IRSN que par la CNE et le débat public : la nécessité de se donner le temps d'expérimenter avant de prendre une décision. À la façon dont vous présentez les choses, on a l'impression que la décision est déjà prise : l'ANDRA va certes continuer à expérimenter et rendra compte de ses résultats au bout d'une dizaine d'années mais, de toute façon, Cigéo sera construit.

Vous avez rappelé vous-même que 1,5 milliard d'euros a déjà été consacré à la construction d'un laboratoire à Bure. Plutôt que de prendre maintenant la décision de réaliser un site d'enfouissement, ne vaudrait-il pas mieux effectuer des tests dans ce laboratoire et recueillir ainsi, en profitant d'une installation existante – même s'il faudrait probablement l'aménager et en changer le statut –, le maximum d'éléments pour un coût limité ?

Pourquoi vous signer dès aujourd'hui une sorte de chèque en blanc, alors que dans cinq à dix ans, selon votre calendrier – mais l'IRSN parlait plutôt de quinze ans –, le Parlement sera, de toute façon, amené à prendre une décision, comme il en a d'ailleurs toujours été de sa responsabilité en matière de déchets nucléaires, en se fondant sur les résultats de l'expérimentation ? J'ai le sentiment que la façon dont l'ANDRA traduit la préoccupation soulevée n'est pas complètement neutre.

Dès lors que nous ne sommes pas sûrs de réaliser le centre de stockage souterrain, il faut élaborer un plan B, envisager d'autres solutions. La première loi sur les déchets avait identifié trois pistes : la transmutation, le stockage en subsurface et l'enfouissement. Le président a eu raison de souligner que ce dernier constitue la solution de référence, mais il faut envisager l'hypothèse qu'il pourrait ne pas aboutir, par exemple en raison d'un conflit entre réversibilité et sûreté. Je trouve dommage que l'ANDRA ne profite pas du temps qui lui est laissé pour aller plus loin dans la recherche sur le stockage en subsurface. Dans le cas où cette solution s'avérerait finalement la seule réalisable, l'Agence serait ainsi bien mieux préparée qu'elle ne l'est aujourd'hui.

J'en viens à certaines questions posées dans le cadre du débat public. Qu'en est-il de la cohabitation, pendant un siècle et sur un même site, de deux installations nucléaires de base ? Tout ne se passera pas en profondeur : pour entreposer les déchets nucléaires, il est prévu, si j'ai bonne mémoire, de construire en surface des hangars de 300 mètres de côté et de 30 mètres de haut – hangars qu'il faudra d'ailleurs démanteler à la fin. Sur le plan logistique, le système est-il au point ? Au vu des éléments que l'on peut recueillir ici ou là, on peut en douter.

J'ai été frappé que l'IRSN ne souhaite pas voir stocker les déchets bitumineux dans Cigéo au cours des premières années d'exploitation. Lors de son audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), M. Duplessy, le président de la CNE2, a souligné le risque, a-t-il dit, « qu'une grosse fumée noire provienne du site de stockage Cigéo par les puits qui y auront été creusés. Un tel incident inquiéterait considérablement la population, même s'il est techniquement possible d'y faire face. » Il recommande d'éviter de stocker ensemble des déchets de différents types, ce qui pourrait poser des problèmes en cas d'incendie.

Je pensais, naïvement, que ce genre de question ne pouvait plus se poser, que l'on avait sérié et réglé les problèmes posés par le stockage de différents types de déchets. Or le rapport publié il y a deux semaines par l'ASN montre qu'un certain nombre de déchets entreposés à La Hague peuvent être considérés comme mal conditionnés. Si l'existence de divers modes de gestion des déchets n'a rien d'illogique, considérant la succession, au cours de l'histoire, de plusieurs générations de réacteurs et de différentes technologies, il importe d'en tenir compte pour assurer la sûreté des installations.

Cela m'amène naturellement à la question de l'inventaire. L'ASN a besoin de connaître ce qui sera placé dans le centre de stockage avant même de prendre une décision sur son autorisation ; pour votre part, vous dites espérer une décision de l'État sur ce sujet avant 2015. Or une loi sur la transition énergétique doit être bientôt adoptée, qui pourrait avoir des conséquences significatives sur cette question.

Auditionnés dans le cadre de la commission d'enquête, certains interlocuteurs d'EDF ou d'AREVA nous ont ainsi appris qu'il ne coûterait pas plus cher de stocker directement les combustibles dits « usés », sans passer par le cycle de retraitement et de fabrication du MOX. Du point de vue du coût, les deux options semblent donc équivalentes. En revanche, le coût ne serait pas le même pour Cigéo, puisque la surface des installations du centre devrait passer de 15 à 25 kilomètres carrés pour pouvoir stocker le combustible usé. C'est un changement d'échelle significatif. Dès lors, comment pouvez-vous estimer les coûts du projet en 2014 avant même de connaître l'inventaire ? Allez-vous chiffrer les différentes options possibles ?

J'ai été stupéfait que l'on ne puisse pas savoir, pendant le débat public, comment seront acheminés vers le futur centre les centaines de milliers de colis qu'il doit accueillir. Seront-ils transportés par route ou par rail ? Je n'ai pas eu le temps de prendre connaissance en détail des informations communiquées hier par l'ANDRA, mais j'ai cru comprendre que Cigéo serait raccordé au réseau ferré. Cela signifie-t-il que tous les déchets arriveront par le rail ?

En ce qui concerne la réversibilité, j'ai bien noté que le communiqué de l'ANDRA mentionne explicitement la possibilité de récupérer les colis de déchets. Cela lève toute ambiguïté. Certains propos laissaient, en effet, entendre que réversibilité et récupérabilité n'étaient pas équivalentes.

S'agissant de la gouvernance, le débat public a fait apparaître la difficulté de débattre de façon sereine. Je rappelle, pour éviter toute confusion, ce qu'a toujours affirmé ma formation politique : nous tenions à ce que le débat public puisse se tenir dans de bonnes conditions, parce qu'il relève du fonctionnement normal de la démocratie. Sur ce point, nous étions en désaccord avec d'autres personnes qui partagent pourtant des convictions communes avec nous.

Quoi qu'il en soit, l'ASN a souligné que de gros progrès devaient être accomplis en matière de gouvernance et qu'il fallait se montrer exemplaire en termes de transparence. Or, sur cet aspect, les décisions du conseil d'administration de l'ANDRA me semblent un peu légères. On ne peut pas parler d'un saut qualitatif majeur de nature, sinon à mettre tout le monde d'accord – ce qui ne semble pas un objectif atteignable –, du moins à mettre fin, chez les uns, au sentiment que l'on cache tout, et, chez les autres, à l'idée que tout ce que l'on pourra proposer se heurtera à la même opposition.

À propos du calendrier, si je comprends bien, votre proposition revient à modifier la loi. Cela paraît d'ailleurs logique, et l'ASN ne dit pas autre chose. Concrètement, quelle forme prendrait cette modification ?

En ce qui concerne les coûts, vous insistez sur la difficulté à évaluer, sur cent ans, l'ensemble des postes. C'est vrai, mais cela s'explique aisément : l'enfouissement des déchets nucléaires, contrairement à l'exploitation d'une autoroute, par exemple, ne génère aucun revenu ; ce n'est pas une activité rentable. Il est donc nécessaire d'estimer ce qu'elle va coûter pendant toute la durée de son fonctionnement, et de ne pas se tromper, faute de quoi les générations futures devront payer à notre place – ou plus exactement à la place de notre génération, des précédentes et de toutes celles qui profiteront des centrales – pour des déchets que nous aurons produits.

Vous affirmez que vous ne connaissez pas ce coût, mais peut-être pouvez-vous nous dire, à quelques semaines de l'échéance, de quelle estimation il est le plus proche : 15 milliards d'euros, comme l'affirme EDF, ou 36 milliards ? Pour calculer le coût du kilowattheure, nous avons, en effet, besoin d'évaluer correctement le montant des provisions destinées à financer la gestion des déchets radioactifs.

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