Les citoyens n'ont pas nécessairement le même point de vue sur le processus de décision selon qu'il concerne la santé, les transports ou le nucléaire. Nous avons le sentiment que, sur ce dernier point, des clivages plus forts se dessinent en raison de la perception par l'opinion d'une grande opacité du côté des experts. Diverses crises récentes ont amené nos concitoyens à remettre en cause plus facilement l'expertise. En tout état de cause, dans le trio de la décision publique que forment le citoyen, l'expert et le politique, on ne peut pas dire que le premier soit suffisamment considéré par les deux autres.
Pourtant, aujourd'hui, la société civile compte de plus en plus de jeunes retraités qui ont été eux-mêmes experts et qui ont accès à l'information à l'échelle mondiale grâce à internet. À l'époque où j'étais directeur des routes, il m'est arrivé de recevoir des contre-projets, élaborés par des associations regroupant d'anciens ingénieurs, géologues et conseillers d'État, de meilleure qualité que ce qui m'était proposé par ma propre administration. Il est difficile d'ignorer cette évolution. Plus l'information se diffusera, plus les citoyens voudront se prononcer sur les sujets qui les intéressent.
S'agissant de Cigéo, je ne suis pas certain que le débat public, imposé par la loi, constituait la meilleure méthode pour traiter du sujet. Il se serait probablement tenu dans de meilleures conditions si une alternative avait été soumise au public et que les citoyens n'avaient pas eu le sentiment que tout était déjà bouclé. Il est indispensable de restaurer la confiance des citoyens, sans laquelle tout peut se bloquer – c'est ce qui se produit en Corée du Sud, où l'on cherche à installer un équivalent de notre CNDP, et l'Allemagne rencontre également ce type de problème.
Il convient aussi d'assurer un continuum entre la loi, le débat public et l'enquête publique. La complexité favorise l'incompréhension, la méfiance et le contentieux. Il y a plus à gagner à consulter les citoyens de façon approfondie qu'à multiplier les textes. Les collectivités locales, mais aussi les maîtres d'ouvrage, prennent progressivement conscience de l'apport des débats publics qui peuvent améliorer les projets proposés.
Le débat public ne doit pas être lancé lorsque le dossier proposé par le maître d'ouvrage n'est pas satisfaisant. Le manque d'information, par exemple sur les coûts, n'est pas susceptible de renforcer la confiance des citoyens. S'agissant du financement de Cigéo, je relève que, dans sa délibération du 5 mai, « le conseil d'administration de l'ANDRA rappelle que les documents sur le coût et le financement du projet, consultables sur internet, vont au-delà du niveau d'évaluation habituellement mis en oeuvre sur les projets soumis à débat public. ». Il me revient d'affirmer que, depuis 2002, soixante-dix débats publics ont été organisés par la CNDP, et que très peu d'entre eux ont donné lieu à la transmission d'une quantité d'informations financières aussi légère.