Intervention de Alain Tourret

Réunion du 21 mai 2014 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur :

J'associerai à mes propos Georges Fenech, avec lequel j'ai travaillé dans un esprit constructif sur cette réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive.

Notre Commission est aujourd'hui saisie, en deuxième lecture, de cette proposition de loi que nous avions examinée en première lecture et adoptée à l'unanimité – en commission comme en séance – en février dernier. Son objet est clair : trouver un meilleur équilibre entre le nécessaire respect de l'autorité de la chose jugée – l'un des piliers de la République – et la nécessité de réparer les erreurs judiciaires, soit par la révision, quand une erreur de fait entache une condamnation pénale définitive pour un crime ou un délit, soit par le réexamen, lorsqu'une erreur de droit commise en violation de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales vicie la décision pénale définitivement prononcée.

Le Sénat a conforté l'esprit de cette proposition de loi en approuvant les principales dispositions qu'elle comporte : l'amélioration des conditions matérielles d'exercice du recours en révision, par l'allongement à cinq ans de la durée de conservation des scellés criminels lorsque le condamné le demande et la systématisation de l'enregistrement sonore des débats des cours d'assises, dispositions votées en termes quasi identiques par les deux assemblées ; la création d'une juridiction unique chargée de la révision et du réexamen, la cour de révision et de réexamen, dont la composition est précisément définie dans un souci d'impartialité ; la clarification et la juridictionnalisation de la procédure suivie devant elle par la codification de pratiques déjà établies ou de nouvelles prérogatives : incompatibilité de certaines fonctions, caractère contradictoire du procès, accès des parties au dossier, information systématique de la partie civile, dont nous avons renforcé tous les droits.

Le Sénat a par ailleurs sensiblement enrichi le texte de l'Assemblée sur plusieurs points. En premier lieu, il a élargi aux arrière-petits-enfants la liste des requérants fondés à former un recours en révision ou en réexamen pour le condamné, lorsque celui-ci est décédé ou déclaré absent. Nous avions déjà actualisé cette liste pour y ajouter les concubins, les personnes pacsées et les petits-enfants ; ce nouvel élargissement constitue un progrès supplémentaire.

En deuxième lieu, là où Georges Fenech et moi-même avions beaucoup hésité, le Sénat a fusionné en un seul motif les quatre cas actuels de révision : la survenance d'un fait nouveau ou la production d'un élément inconnu au jour du procès et susceptible d'avoir un impact sur la décision de condamnation incluent désormais les motifs tenant à la preuve de l'inexistence de l'homicide, à la condamnation pour faux témoignage de l'un des témoins et à la découverte d'une condamnation inconciliable.

En troisième lieu, le Sénat a clarifié les pouvoirs d'instruction confiés à la nouvelle cour de révision et de réexamen, en confirmant leur large étendue – ils seront similaires à ceux du juge d'instruction – mais en excluant la possibilité d'entendre un tiers impliqué dans la commission des faits, pouvoir dévolu au procureur de la République.

En quatrième lieu, il a transféré à la chambre criminelle de la Cour de cassation le soin de statuer sur les demandes de suspension de l'exécution de la condamnation. Pour rappel, je vous avais proposé de rendre plus contradictoire cette procédure, en instaurant un recours contre la décision rendue par la formation d'instruction devant la formation de jugement.

En dernier lieu, il a étendu l'effacement des données de l'intéressé à tous les fichiers de police judiciaire dits d'antécédents, regroupés aujourd'hui dans le traitement des antécédents judiciaires, ou TAJ, et aux principaux fichiers de police d'identification, le fichier automatisé des empreintes digitales, le fichier national automatisé des empreintes génétiques et le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, afin de rendre réellement effective l'annulation de la condamnation par la cour de révision et de réexamen.

Sur l'ensemble de ces modifications comme sur celles, de moindre ampleur, tendant à utilement préciser ou simplifier le texte, je salue le travail réalisé par le rapporteur Nicolas Alfonsi et la commission des Lois du Sénat. Il a permis de renforcer le caractère juridictionnel et impartial des organes chargés d'examiner les requêtes en révision et en réexamen, et de rééquilibrer les droits des parties en faveur du requérant d'abord, investi de nouveaux pouvoirs d'initiative en matière d'investigation, mais aussi de la partie civile. Même si nous pouvions diverger sur les réponses concrètes à apporter à tel ou tel problème, les solutions proposées par le Sénat renforcent les objectifs poursuivis par ce texte.

Ne demeure qu'un point sur lequel les positions de l'Assemblée et du Sénat sont contradictoires : le doute nécessaire à la révision d'une condamnation pénale. Nous avions souhaité inscrire dans le code de procédure pénale que le « moindre doute » devait suffire à la révision. Nous nous étions fondés sur le travail réalisé par la mission d'information que Georges Fenech et moi-même avions conduite et qui avait estimé qu'il n'était pas concevable de considérer que seul un « doute sérieux » pouvait conduire à la révision d'un procès.

Les sénateurs ont préféré suivre la position qu'avait en son temps défendu Michel Dreyfus-Schmidt, lequel avait obtenu la suppression de l'adjectif « sérieux » de la loi de 1989 au motif que le doute était indivisible. Ce choix repose sur la conviction que la modification de la composition et la rénovation du mode de fonctionnement de la nouvelle cour de révision et de réexamen lui conféreront « toute la largeur de vues et l'impartialité requise », selon les termes utilisés par le rapporteur, Nicolas Alfonsi. Gageons que ce voeu ne restera pas pieux et que les magistrats seront éclairés par nos travaux et nos débats : qu'il soit clair pour eux que, pour votre rapporteur, le doute s'entend comme « le moindre doute ».

En l'absence d'accord avec le Sénat sur ce seul point, il importe de faire confiance aux magistrats pour appliquer avec clairvoyance cette réforme, qui mérite d'être rapidement mise en oeuvre, afin d'améliorer les conditions d'exercice de ces recours essentiels pour la crédibilité et la solidité de l'État de droit.

Je remercie le Premier ministre, M. Manuel Valls, d'avoir bien voulu inscrire l'examen de cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire du Gouvernement. J'associe à ces remerciements la Chancellerie, qui soutient l'idée que nous adoptions le texte voté par le Sénat sans modification.

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