Je ne puis m'étendre sur l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, car la Cour est saisie par la Commission d'une demande d'avis à ce sujet, sur lequel nous avons tenu, lundi et mardi de la semaine dernière, des audiences au cours desquelles tous les États se sont exprimés. Que les champs d'intervention de la Cour de justice et de la CEDH se recoupent n'est pas un fait nouveau ; mais les interférences se sont accrues avec l'extension des compétences de l' Union aux questions relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, par définition dévolues à la CEDH.
Les deux juridictions ont été conçues et se sont développées séparément, chacune élaborant sa jurisprudence. Bien entendu, la Cour de justice a veillé à ne pas trop s'écarter de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Des conflits restent possibles mais, pour l'heure, on n'en déplore aucun, en dépit des pronostics des professeurs de droit.
La CEDH a conscience de la particularité politique de l'Union, qui n'est ni un État, ni une fédération. Elle a ainsi développé une jurisprudence dite « Bosphorus », qui présume assuré le contrôle des droits fondamentaux au sein des pays de l'Union, de sorte que la CEDH n'exerce ses compétences qu'en cas de violation flagrante.
Dans ces conditions, l'adhésion relève d'une décision politique des États, en l'occurrence consacrée par le traité de Lisbonne. On fait souvent grief à ce dernier de rendre l'adhésion obligatoire au motif que le texte qui s'y rapporte est au présent de l'indicatif ; mais si cela suffisait à établir une obligation, Portalis l'aurait dit. Bref, le traité prévoit l'adhésion, que son protocole n° 8, doté d'une force juridique égale à celle de l'article 6 – auquel on aurait donc pu l'intégrer –, soumet à un certain nombre de conditions : en particulier, l' adhésion doit se faire à travers un traité, qu'il incombera ensuite aux quarante-sept États membres du Conseil de l' Europe de ratifier.
Quoi qu'il en soit, cette affaire souffre d'une certaine impréparation du point de vue technique : lorsque deux systèmes cohabitent, il faut soit les coordonner, soit subordonner l'un à l'autre. Il y a deux ans encore, on affichait une confiance assez insouciante à cet égard. Mais la Cour de justice et la CEDH se rencontrent chaque année, alternativement à Strasbourg et à Luxembourg, pour une journée de travail et, de nos discussions parfois vives, il est ressorti qu'une coordination était nécessaire. Par la voix de leurs présidents – Jean-Paul Costa, alors à la tête de la CEDH, et Vassilios Skouris –, les deux juridictions, dans une déclaration conjointe adressée au Conseil, ont préconisé de laisser la Cour de justice se prononcer d'abord sur toute affaire intéressant les droits fondamentaux avant de la porter, s'il y a lieu, devant la CEDH. L'idée, en somme, est d'épuiser les voies de recours internes à l'Union.
L'absence de réflexion préalable sur les questions de politique étrangère et de sécurité communes n'est pas moins étonnante. Certains de vos collègues m'ont interrogé à ce sujet dans le cadre du rapport qu'ils y ont consacré. J'ai appelé leur attention sur le fait qu'aux termes de l'article 24 du traité de l'Union, la Cour de justice n'a pas de compétences en matière de politique étrangère et de sécurité communes. On aurait pu imaginer que la CEDH soit seule habilitée à juger les violations de droits fondamentaux intervenues, par exemple, lors d'une opération militaire extérieure. En tout état de cause, il appartiendra à la Cour d'apprécier la conformité des procédures d'adhésion aux dispositions du protocole n° 8.